Crédit: Martin Laprise

Jarislowsky Fraser est devenue, le 1er mai 2018, une filiale en propriété exclusive de la Banque Scotia, au terme d’une transaction évaluée à près de 950 M$. Elle exerce ses activités, depuis, à titre de division autonome.

«Brian Porter, qui est président et chef de la direction de la Banque Scotia, est venu chercher Jarislowsky Fraser spécifiquement parce qu’il aimait ses caractéristiques. Sa volonté consiste à ne pas les dénaturer et non pas à prendre les actifs», affirme Maxime Ménard.

Arrivé au sein de Jarislowsky Fraser en 2003, Maxime Ménard a été nommé président et chef de la direction en décembre 2018. Il compte plus de 20 années d’expérience en commerce des valeurs mobilières, ayant fait ses débuts chez Fidelity Investments en 1997, à la suite de ses études en économie à l’Université York, à Toronto.

«J’ai toujours connu Maxime comme un homme d’action, fonceur, qui adore les défis», témoigne Martin Lavigne, président de la Financière Banque Nationale, gestion de patrimoine, qui l’a côtoyé lors de son passage chez Fidelity.

Le premier défi significatif de Maxime Ménard fut certainement de choisir Toronto afin d’effectuer son parcours universitaire. Alors âgé de 18 ans, le jeune homme issu d’une famille de la classe moyenne de la région de Granby ne parlait pas encore anglais. «Cette expérience a été déterminante pour le reste de ma vie et a littéralement défini ma carrière, lance-t-il sans hésitation. Lorsque tu viens d’une petite région et que tu t’en vas à Toronto, que tu te débrouilles à l’extérieur de ta zone de confort, ça démystifie beaucoup de choses. Ça te fait réaliser que tout est possible.»

S’il avait prévu au départ revenir au Québec à la suite de son baccalauréat afin de poursuivre des études de droit, il a plutôt choisi à la fin de son cursus de travailler une année à Toronto. Par ailleurs, après avoir fait ses débuts chez Fidelity, Maxime Ménard n’a jamais quitté le secteur de la finance. Il n’est rentré au Québec que plusieurs années plus tard, à l’âge de 28 ans, afin de se joindre à Jarislowsky Fraser. Il obtiendra finalement, après son retour, un MBA de HEC Montréal.

«Ce fut une école extraordinaire», affirme Maxime Ménard au sujet de son passage chez Fidelity, estimant en avoir tiré «la plus belle expérience que je pouvais obtenir». Il s’agissait alors d’une «entreprise émergente» qui comptait environ 100 employés, dont très peu au Québec, dit-il. Une situation qui s’est traduite par plusieurs belles occasions et qui lui a permis de rencontrer différentes personnes qui marqueront sa carrière.

«Déjà chez Fidelity Investments, Maxime avait une discipline de travail remarquable. Il était appliqué, intéressé et énergique dans toutes les circonstances et a obtenu de magnifiques résultats d’affaires», témoigne Vincent Hogue, qui a travaillé plusieurs années avec lui à cette époque.

Chez Jarislowsky Fraser, Maxime Ménard a ensuite trouvé un environnement de boutique qui lui a permis de se familiariser davantage avec le secteur de l’investissement.

«Lorsque je me suis joint à la firme, les actifs n’avaient pas encore atteint 30 G$ et elle avait le vent dans les voiles. C’était extraordinaire : j’avais la chance de travailler avec un mentor comme Stephen A. Jarislowsky. À l’époque, il prévoyait prendre sa retraite et m’avait dit que ce n’était pas lui qui allait me former. Au final, il n’a jamais été bien loin.»

En effet, comme le rappelle Maxime Ménard, malgré ses 93 ans, Stephen A. Jarislowsky travaille encore aujourd’hui six jours par semaine, 12 heures par jour, arrive très tôt au bureau et repart très tard.

«Stephen A. Jarislowsky est une personne dotée d’une grande humilité et l’élément le plus important pour lui a toujours été de faire la meilleure chose pour son client, explique Maxime Ménard. Son secret, c’est la discipline, l’intégrité, la rigueur au travail et de grandes convictions. C’est encore de cette façon qu’on fait fonctionner la firme aujourd’hui.» Il ajoute : «Mon rôle dans l’organisation, c’est d’être le gardien de tout ça.»

Haute définition

Si, d’un côté, l’expertise que détient Jarislowsky Fraser se révèle extraordinaire pour la Scotia, «parce qu’aujourd’hui, bâtir une expertise institutionnelle avec un historique de 60 ans, ça ne se fait pas, ça s’achète», Maxime Ménard est d’avis que l’acquisition permettra en contrepartie de nourrir de nouvelles avenues de croissance.

Il mentionne à cet égard l’accès à un important réseau de distribution, mais surtout des occasions d’affaires sur les marchés internationaux, qu’il considère comme l’une des sphères de croissance importantes pour l’avenir de la firme. Selon lui, la Scotia avait une présence limitée en matière d’investissement institutionnel et dans le secteur de la clientèle fortunée (les high-net-worth individuals, ou HNWI). À l’inverse, en décembre 2018, près de 68 % des actifs de Jarislowsky Fraser étaient détenus dans le secteur institutionnel, le reste étant géré pour les clients de détail, par l’intermédiaire de mandats de sous-conseil, et pour ses clients privés.

Il évoque l’ouverture prochaine d’un bureau en Amérique latine, possiblement au Mexique, qui s’ajoutera au siège social de Montréal et aux bureaux que Jarislowsky Fraser possède à Toronto, Calgary, Vancouver et New York.

«Je suis déjà allé au Mexique et en Colombie, et j’irai bientôt au Pérou et au Chili, qui sont en fait les quatre marchés les plus importants pour la Banque Scotia», indique Maxime Ménard.

Il signale aussi que la firme prévoit développer une gamme encore plus étendue de services dans le segment des HNWI afin de ne plus seulement accueillir des comptes de 2 M$ et plus, mais aussi des comptes d’une valeur contenue entre 25 et 100 M$. «Nous désirons introduire à cet égard un concept de multi-family office [MFO, ou cabinet de gestion de fortune familiale], en misant évidemment sur l’international.»

Maxime Ménard demeure toutefois prudent et hésite à trop s’emballer, rappelant que le mandat premier de la firme consiste à donner la meilleure performance possible à ses investisseurs. Il convient d’ailleurs que la période de 2016 à 2018 a été difficile et évoque la présence de «défis importants sur les marchés».

Ainsi, si en janvier 2019 les actifs sous gestion de Jarislowsky Fraser étaient évalués à près de 38 G$, ils n’étaient que de 35,7 G$ en décembre 2018, et sont toujours en deçà des 38,3 G$ enregistrés en décembre 2016. Il se montre toutefois optimiste pour la suite des choses et entend même amener la firme à accroître ses actifs sous gestion de façon significative au cours des cinq prochaines années, de manière à atteindre «au moins 70 G$».

Maxime Ménard est toutefois d’avis que son principal défi consiste à prioriser les meilleures opportunités stratégiques afin de croître de manière réaliste. «C’est un défi réel, car je suis une personne très enthousiaste, bien que je travaille sur ça extrêmement fort, dit-il en riant. Les gens de la Scotia sont très excités de nous avoir avec eux et nous présentent de nombreuses opportunités. Ils font affaire dans près de 50 pays dans le monde, alors que nous sommes une petite organisation de type boutique. C’est pourquoi je dois m’assurer, tout en participant à l’aventure, de demeurer fidèle à ce que nous sommes.»

Il ajoute que si plusieurs transactions similaires à l’acquisition de Jarislowsky Fraser par la Scotia n’ont pas fonctionné dans le passé, cela s’explique par le fait que «souvent, on ne se cantonne pas dans ce que l’on est, on va trop du côté commercial et on perd son identité».

C’est pourquoi Jarislowsky Fraser doit impérativement conserver la sienne, affirme-t-il. «La priorité consiste à garder le siège social à Montréal et à adhérer fermement aux principes fondamentaux posés par Stephen Jarislowsky en matière d’investissement de grande qualité à moindre risque, en étant axé sur la recherche et centré sur le client.»

La recherche et l’expérience client sont d’ailleurs les deux piliers sur lesquels Maxime Ménard entend construire l’avenir, notamment par des investissements en matière technologique. Il estime que la Banque Scotia investit près de 3 G$ par année en technologie et considère que l’accès à ces technologies pour Jarislowsky Fraser tout comme le soutien dont il peut bénéficier sur le plan de la conformité, par exemple, représentent indéniablement «un effet de levier extraordinaire sans lequel il serait impossible de développer une structure économiquement viable».

Maxime Ménard évoque également sa volonté de bâtir la meilleure équipe de recherche possible et souligne qu’un programme visant à recruter des ressources au sein des universités a notamment été mis sur pied. «Nous sommes réputés comme étant un cabinet de recherche spécialisé, et ce n’est pas que nous n’avons pas les gens qu’il nous faut, mais si l’on ne veut pas devenir marginalisé dans une industrie de plus en plus consolidée, il faut constamment engager les meilleurs.»

Il ajoute que Jarislowsky Fraser veut continuer à croître à partir d’ici et influencer positivement l’écosystème financier du Québec. La firme engage d’ailleurs beaucoup de gens présentement, dans tous les secteurs, que ce soit celui de l’investissement, des opérations ou du relationnel, et participe aussi à des programmes de mentorat dans différentes universités du Québec. «Nous croyons qu’à travers ce mentorat et notre volonté d’offrir une accessibilité à notre organisation, nous pouvons donner la chance à des gens d’ici de se bâtir une belle carrière à Montréal.»

Maxime Ménard croit beaucoup dans le mentorat et l’accompagnement. «J’ai rencontré des gens tout au long de ma carrière qui m’ont aidé et à qui je dois une bonne part de mon succès. C’est en quelque sorte ma façon de redonner au suivant», dit-il.