homme d'affaire écrivant sur un calepin
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C’est le message que de nombreux membres de l’industrie livrent aux ACVM dans le cadre de leur consultation sur les réformes axées sur le client et sur les modifications proposées au Règlement 31-103.

Peu importe leur taille, nombre de courtiers montrent du doigt le coût important et le fardeau supplémentaire des mesures proposées ainsi que leurs effets potentiellement négatifs sur l’étendue de l’offre aux clients. C’est tout le contraire du côté des groupes de défense des consommateurs, qui jugent que les ACVM devraient même être plus exigeantes. Voici quelques faits saillants des 131 mémoires rendus publics par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario sur la question.

Le conseiller ne peut être omniscient

Beaucoup de membres de l’industrie jugent irréaliste que les ACVM exigent que les représentants d’une firme comprennent «de façon générale, les titres offerts par l’entremise de la société inscrite qu’elle peut acheter ou vendre pour le client ou lui recommander ainsi que leur mise en comparaison», comme on peut le lire dans la proposition de modification du Règlement 31-103.

«Il nous apparaît irréaliste de croire qu’il soit possible pour un représentant de connaître tous les produits autorisés par la société auprès de laquelle il est inscrit et de lui imposer cette obligation. Ceci reviendrait à dire qu’un représentant de courtier en épargne collective devrait connaître tous les fins détails de milliers de fonds communs de placement et ce, en tout temps, et malgré le fait qu’il ne se sert pas de plusieurs de ces produits dans son offre de services», lit-on dans le mémoire de MICA Cabinets de services financiers.

Dans le sien, le Mouvement Desjardins soutient que «le processus souhaité par les ACVM représente un travail d’envergure pour les sociétés et les représentants. Il sera impossible de les former au sujet de tous les produits offerts par le courtier.»

En conséquence, les courtiers risquent de réduire considérablement le nombre de titres financiers offerts ainsi que le nombre de manufacturiers de fonds avec qui ils traitent, déplore le Mouvement Desjardins. Les clients risquent d’être ainsi perdants et bon nombre de représentants, frustrés, ajoute le mouvement coopératif : «Les représentants les plus informés ne pourront pas faire approuver certains produits plus complexes, en raison du groupe et de la difficulté à former convenablement tout un chacun. C’est tout simplement un nivellement par le bas. De plus, ceci pourrait ne pas être à l’avantage des clients puisque l’offre de produits sera réduite.»

«L’obligation du représentant devrait se limiter à bien comprendre chaque titre qu’il achète ou vend pour le client ou lui recommande», écrit le Mouvement Desjardins. Cette opinion est reprise dans plusieurs mémoires.

RBC Dominion valeurs mobilières (RBCDVM) recommande de limiter l’obligation du représentant à une connaissance générale des différents types de titres financiers. Cette obligation devrait aussi être limitée aux titres qu’il a le droit d’offrir en fonction de son permis et de ses compétences.

Coûteuse analyse comparative

Bon nombre de courtiers s’inquiètent des coûts importants pour les firmes qu’entraîneraient les obligations proposées de connaissance des produits.

Les ACVM suggèrent en effet que les courtiers prennent des mesures raisonnables pour comprendre les éléments essentiels des titres qu’ils offrent aux clients, y compris leur comparaison avec les titres semblables sur le marché, qu’ils approuvent le fait que ces titres soient proposés aux clients et qu’ils surveillent et réévaluent les titres approuvés.

Selon le Mouvement Desjardins, «le processus souhaité par les ACVM représente un travail colossal». D’abord, la comparaison en continu avec des titres semblables sera très exigeante, selon le mouvement coopératif : «L’identification de changements significatifs dans les produits déjà offerts demandera une vigie démesurée de chaque fonds offert par le courtier. En d’autres termes, les courtiers devront réduire considérablement leur offre de produits pour respecter ces exigences, ce qui aura des conséquences directes sur le choix des épargnants.»

MICA Cabinets de services financiers arrive aux mêmes conclusions : «Si une société souhaitait respecter en tous points les exigences proposées elle devrait, entre autres, embaucher des ressources spécialisées supplémentaires ; développer des outils informatiques permettant les analyses demandées ; et en conséquence, engager des coûts importants.»

«A-t-on idée de la tâche colossale que l’analyse, telle qu’exigée, représente ? Et ultimement, toutes proportions gardées, les avantages concrets pour le client ont-ils une commune mesure avec l’envergure de ce qui serait exigé des sociétés ? Nous en doutons», écrit MICA dans son mémoire.

«Aujourd’hui, nous offrons plus de 90 000 produits, incluant les titres financiers individuels, souligne la Banque Nationale dans son mémoire. Avec les changements proposés, il sera impossible pour une firme d’analyser, de surveiller et d’être à jour pour ces 90 000 produits. Les représentants seront incapables d’avoir une connaissance et de surveiller ces 90 000 produits et de les comparer avec des produits similaires.»

MICA fait valoir que, selon le projet d’instruction générale relative au Règlement 31-103, la société inscrite ne devrait pas se servir des documents ou informations rendus disponibles par l’émetteur de produits, mais plutôt se baser sur d’autres sources afin de procéder à l’analyse des produits.

«Si les sociétés ne peuvent pas se servir des informations obtenues des émetteurs ni de leur documentation, auriez-vous l’obligeance de nous indiquer auprès de qui et comment nous pourrions obtenir les informations nécessaires ? D’ailleurs, les documents des émetteurs de fonds communs de placement ont été au préalable visés par l’une ou l’autre des autorités provinciales, alors pourquoi les sociétés inscrites ne pourraient s’y fier ?» lit-on dans le mémoire de MICA.

Le Mouvement Desjardins juge que les manufacturiers de fonds devraient avoir quand même l’obligation d’aviser les courtiers s’il y a des changements apportés aux titres qu’ils offrent : «Ce travail ne peut relever totalement du courtier. Il s’agit d’un tout.»

Iniquités et graves conséquences inattendues

Dans leurs mémoires, les membres de l’industrie financière soulignent une série de conséquences inattendues des obligations proposées de connaissance du produit. Plusieurs redoutent que les firmes réduisent le nombre de produits offerts aux investisseurs de détail, ce qui peut nuire au potentiel de diversification de leur portefeuille.

«La complexité grandissante d’un compte réglementé incitera les personnes inscrites à privilégier les comptes ayant un encours plus important», note Desjardins.

Une réduction de l’étendue de l’offre des firmes de courtage risque aussi de dérégler le fonctionnement des marchés des capitaux, notent l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM) et la Banque Nationale. Les plus petits émetteurs de titres financiers, soit les entreprises elles-mêmes qui se financent sur des marchés publics, perdraient l’accès à des capitaux provenant d’investisseurs de détail.

«Il est important de noter que [la diminution de l’étendue de l’offre de produits] va engendrer des règles du jeu inéquitables en comparaison avec des produits semblables qui n’auraient pas les mêmes exigences réglementaires, comme des fonds distincts, ce qui sera en défaveur de l’industrie des valeurs mobilières», lit-on dans le mémoire de la Banque Nationale.

Le Groupe Cloutier appréhende aussi une difficulté accrue pour les manufacturiers de produits de niche ou ayant une offre de produits moins élargie de percer les réseaux de distribution des courtiers, ce qui pourrait engendrer la disparition des plus petits manufacturiers par de la consolidation.

De plus, les exigences de connaissance du produit augmenteraient les coûts de fonctionnement des firmes de courtage, ce qui diminuerait leurs marges bénéficiaires et risquerait de précipiter la consolidation éventuelle de courtiers en épargne collective de plus petite taille, note le Groupe Cloutier.

Par ailleurs, ces exigences d’analyse, comme proposées, défavorisent de façon importante les sociétés offrant beaucoup de produits par rapport à des sociétés qui en offrent peu, d’après MICA : «Certaines autres sociétés ne distribuent que leurs propres produits ou les produits d’une filiale. Puisqu’elles se limitent à leurs produits, il sera beaucoup plus facile pour elles d’analyser, tel que proposé, leurs produits, car beaucoup moins nombreux. En conséquence, les sociétés qui croient important d’offrir une gamme de produits élargie au bénéfice des clients se verraient désavantagées par rapport à celles qui ont une offre de produits limitée. Ceci a-t-il vraiment du sens ?»

Les conseillers doivent connaître tous les titres du marché

Certains groupes appuient les modifications proposées aux obligations de connaissance des produits et pensent que les ACVM devraient même imposer des exigences accrues. C’est le cas notamment de la Coalition des associations de consommateurs du Québec (CACQ) et de FAIR Canada.

Le représentant devrait connaître, de manière générale, comment les titres financiers offerts par sa firme se comparent avec ceux qui sont proposés dans tout le marché, selon FAIR Canada : «Pour déterminer si une recommandation est appropriée et si elle donne la préséance aux intérêts du client, il ne suffit pas d’examiner les autres options de remplacement disponibles dans la liste de produits de la société. Si un produit offert par la firme est convenable, mais qu’il existe un produit de placement disponible sur le marché qui serait nettement meilleur pour le client (meilleur rendement net ou même rendement à un niveau de risque significativement inférieur), le représentant doit en informer le client.»

Selon la CACQ, il est aberrant «qu’il faille ajouter au Règlement 31-103 une obligation de connaissance du produit», alors que le consommateur de services financiers s’attend à ce que son représentant ait une connaissance approfondie des produits. La CACQ déplore par ailleurs qu’on impose encore aux assujettis seulement une obligation de moyens, alors que les clients s’attendraient à une obligation de résultat : «Il nous paraît inadmissible qu’on astreigne les assujettis en matière de valeurs mobilières à une norme de compétence inférieure à ce que les consommateurs – et les tribunaux – attendraient de fournisseurs dans des domaines beaucoup moins sensibles.»

Parmi les exigences proposées de connaissance du produit, plusieurs mémoires favorisent l’adoption d’une approche de surveillance des produits basée sur les risques. Ce genre d’approche collerait davantage à ce que prévoit l’encadrement d’organismes d’autoréglementation comme l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM).

C’est le cas du Mouvement Desjardins, qui favorise une vigie diligente par catégorie de produits avec une approche basée sur les risques : «Un processus plus important devrait s’appliquer aux produits plus complexes comme les titres dispensés, mais il devrait être moins lourd pour les fonds communs de placement vendus par prospectus.»

Les fonds communs à prospectus régis par le Règlement 81-102 devraient être en effet traités de manière séparée, estime Mérici Services financiers, «considérant leur encadrement déjà rigoureux effectué par les ACVM».

Le Groupe Cloutier propose de créer une série de filtres dans sa sélection de produits, puis de confier au service de conformité du courtier la responsabilité de «valider de façon indépendante du représentant le degré de risque du produit, les objectifs d’investissement et les autres caractéristiques qui pourraient faire que le produit convienne ou non au client (horizon temporel, âge du client, situation financière, etc.). Le courtier aura alors la responsabilité d’approuver ou non la transaction.»

«Un processus [de connaissance du produit] plus léger basé sur des principes permettrait aussi d’assurer une certaine compétitivité dans le marché en favorisant l’émergence de nouveaux manufacturiers de fonds communs de placement et de courtiers en épargne collective», écrit le Groupe Cloutier.