Homme d'affaire devant un panneau technologique.
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L’adoption massive de l’intégration de nouveaux clients (onboarding) de manière numérique par les courtiers, entre autres grâce à la démocratisation de la signature électronique, a engendré un avantage indirect pour les firmes : elles peuvent plus facilement accueillir des conseillers venant d’un courtier concurrent.

Même s’il est difficile de quantifier la proportion de conseillers qui ont changé virtuellement de courtier durant les périodes de télétravail forcé par les diverses vagues de confinement, on sait anecdotiquement que le phénomène a été bien présent en 2021 et 2022.

Tout le travail des conseillers a été transformé, surtout le transfert entre firmes. « Avant la pandémie, pour l’accueil de nouveaux conseillers, on était dans un monde de proximité, de poignées de main, fait ressortir André Langlois, vice-président, ventes et distribution, réseaux indépendants au Mouvement Desjardins. En moins de deux ans, on est passé aux rendez-vous virtuels, à la formation virtuelle, aux transactions virtuelles, et il en a été ainsi pour les conseillers tant débutants qu’expérimentés. »

Le nombre de transferts a varié d’une firme à l’autre et n’a pas particulièrement augmenté au cours de la pandémie, tout au moins pas dans le réseau SFL. Situation différente à MICA Cabinets de financiers, affirme son président, Gino Savard: » On a accueilli beaucoup de transfuges. »

Cependant, « la COVID-19 a probablement entraîné des questionnements chez les conseillers, observe André Langlois. L’isolement s’est peut-être fait sentir davantage. La solitude, l’appui d’un réseau, l’aide à la transition de blocs d’affaires, ces interrogations ont peut-être motivé des transferts à ce moment-là. »

Pour ceux qui ont migré vers d’autres firmes, le monde s’est parfois avéré bien différent. Le terrain technologique était déjà implanté au sein de plusieurs cabinets. « Un an avant la COVID, nos solutions de signature électronique, de présentation de produits, d’agenda, de transfert de documents, de sécurité étaient déjà accessibles », dit André Langlois. La pandémie a simplement accéléré un virage déjà amorcé. « Sans elle, la transition se serait probablement faite sur sept ans », juge Steve Galimi, vice-président, stratégie et performance à la Financière Banque Nationale.

La plateforme qu’a mise en place MICA a été d’un précieux soutien pour accueillir les transfuges et, avant tout, assurer le passage des dossiers clients. « Avant leur arrivée, on ne peut pas voir les dossiers, puisqu’on n’en a pas encore l’autorisation. Par contre, on a pu donner accès à notre portail aux conseillers pour qu’ils s’y relient de n’importe où, explique Gino Savard. Le candidat a pu y travailler en mode canevas, acheminer à chaque client son dossier pour approbation, ce qu’il a fait par signature électronique. Une fois le dossier autorisé, le conseiller pèse sur Enter et nous envoie le tout. Tout s’est fait sans rencontre en présence. »

Selon Gino Savard, « le virtuel accélère les processus. Tout se fait plus rapidement : pas besoin de se déplacer, pas besoin d’affronter le trafic, de trouver un stationnement ». Si les transferts et les échanges sont accélérés, ça ne change rien aux aspects de base du métier et au fardeau réglementaire. « La charge de paperasse demeure la même, nuance ainsi l’entrepreneur. Oui, certaines choses sont facilitées, mais pas toutes. »

Même son de cloche de la part de Steve Galimi. « L’onboarding a été facilité par le virtuel. Par exemple, la vidéoconférence a beaucoup aidé. La technologie a simplifié certaines interactions avec les clients, notamment lorsque ceux-ci souhaitent inclure un spécialiste, par exemple un comptable, dans la conversation avec leur conseiller. Mais ça ne change rien au métier lui-même et il y a toujours autant de paperasse à remplir et à signer. »

Cette « virtualisation »a-t-elle rencontré des obstacles de la part des autorités réglementaires ? « Les obstacles étaient là auparavant », rappelle Gino Savard. Mais l’urgence de la situation, reconnaît-il, a fait que l’Autorité des marchés financiers (AMF) a assoupli ses positions. Comme l’indique Nancy Cyr, vice-présidente et directrice à BMO Gestion privée, les discussions et les tractations avec les régulateurs pour convenir d’une multitude d’ajustements se sont faites au plus haut niveau hiérarchique.

Difficile de dire si le transfert de conseillers d’un courtier s’accélérera ou non dans les prochaines années. Cependant, l’adaptation parfois difficile aux nombreux outils virtuels reste bien réelle et continuera probablement d’influencer les transferts futurs.

En effet, le passage aux plateformes virtuelles était loin d’être évident. « On est dans un métier où les relations interpersonnelles priment, fait remarquer Nancy Cyr. On ne croyait pas qu’il était possible de le faire basculer du côté virtuel. » Mais la pandémie en a décidé autrement. C’est dire que les régulateurs n’ont pas été les seuls à grincer des dents et les défis n’ont pas été relevés seulement pour l’accueil et l’intégration.

« Ce fut un processus de deuil; il a fallu beaucoup de patience et passer plusieurs étapes avant d’arriver à un modèle optimal », souligne Caroline Renaud, vice-présidente et directrice de marché à BMO Gestion privée. Tous les conseillers, comme l’ensemble du personnel, n’étaient pas prêts à faire le saut. « Il y avait [certains] de nos gens, explique-t-elle, tout en petits papiers et en carnets, dont les habitudes ont été changées de fond en comble. Certains qui ne voulaient pas entendre parler du virtuel au départ en sont venus à ne vouloir que du virtuel, et il a fallu les ramener vers le présentiel. »

Passer au télétravail non plus n’allait pas de soi et on a dû tenir compte d’une foule de contraintes inattendues. « Certains vivaient chez leurs parents et devaient travailler sur la table de la cuisine, rappelle Caroline Renaud. D’autres devaient se cacher pour faire des téléconférences et ne déranger personne. D’autres vivaient en loft avec un conjoint, lui aussi en télétravail. On a alloué des petits budgets pour les aider à s’organiser et à acheter des fournitures. »

Les premières téléconférences sur Teams sont vite devenues des épisodes « épouvantablement chaotiques », affirme Nancy Cyr. Certains oubliaient constamment de désactiver leur micro et leurs commentaires privés résonnaient dans les écouteurs de tous les participants, d’autres ne voulaient pas être vus et éteignaient leur caméra. Un détail apparemment anodin : que mettre en arrière-plan d’une téléconférence ? « On a eu beaucoup de discussions là-dessus », dit-elle.

Une formation à la téléconférence s’est vite imposée, mais pas uniquement pour les contrôles techniques du logiciel. On a dû montrer aux gens comment travailler dans un tel mode. En présentiel, les interlocuteurs peuvent saisir une foule de nuances physiques auxquelles chacun réagit en faisant des mises au point au fur et à mesure pour préciser le propos. En virtuel, par exemple, « il faut parler de façon plus claire, indique Nancy Cyr, et après la rencontre, il faut écrire un courriel pour la résumer et préciser les points couverts ».

Aujourd’hui, la poussière de ce vaste transfert est retombée et le bilan semble globalement positif. « Au bout de deux ans, on a un processus transactionnel 100 % numérisé pour nos conseillers, précise André Langlois. La pandémie a même donné un nouvel élan à certains d’entre eux. Beaucoup ont constaté que les longues rencontres sur l’heure du lunch n’étaient peut-être pas si efficaces. »