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Une action collective contre le Mouvement Desjardins dans une affaire de billets à capital protégé (BCP) a été autorisée par la Cour d’appel du Québec le 31 octobre 2017, par les juges Marie-France Bich, Marie St-Pierre et Claude C. Gagnon.

Des clients ayant détenu des BCP de Desjardins sont mécontents d’avoir vu leurs placements bloqués ne rapporter aucun rendement pendant des périodes variant de trois à sept ans.

L’action collective concerne les placements Épargne à terme Perspectives Plus (EPP) et Épargne à terme Gestion Active (EGA). Desjardins pourrait devoir verser de lourdes sommes en pénalités aux investisseurs touchés, selon Me Serge Létourneau, avocat chez Létourneau Gagné Avocats, qui représente Ronald Asselin, le requérant.

D’abord refusée par la juge Claude Dallaire de la Cour supérieure du Québec dans une décision rendue le 13 janvier 2016, la requête pour obtenir l’autorisation d’intenter une action collective avait été faite de manière conjointe à une autre requête visant des produits semblables vendus par Desjardins.

En effet, une action de groupe similaire concernant les billets Indices Plus Stratégique (IPS) et les billets Indices Plus Tactique (IPT) a été autorisée par le juge Bernard Godbout de la Cour supérieure de Montréal le 30 novembre 2015.

Trois cabinets d’avocats travaillent en collaboration dans ces deux dossiers : Unterberg, Labelle, Lebeau Avocats, Paquette Gadler et Létourneau Gagné Avocats.

«Les requérants, Ronald Asselin (pour les EPP et EGA) et Jean-Paul Dupuis et Francis Tremblay (pour les IPS et IPT) ont d’abord approché Unterberg, Labelle, Lebeau, qui nous a contactés pour nos expertises en droit des actionnaires et des valeurs mobilières», explique Me Guy Paquette, avocat et cofondateur du cabinet Paquette Gadler.

Approché par Finance et Investissement, Desjardins n’a pas souhaité accorder d’entrevue, cette affaire étant toujours devant les tribunaux.

Comprendre les billets sécuritaires

Desjardins, à travers Desjardins Cabinet de services financiers et Desjardins Gestion internationale d’actifs, a vendu à ses clients EPP et EGA des billets à capital protégé.

Sur son site Internet, l’Autorité des marchés financiers (AMF) décrit les BCP, de manière générale, comme des produits qui «offrent la possibilité d’obtenir un taux de rendement supérieur à celui que pourrait offrir un certificat de placement garanti (CPG) ou un autre produit de placement à revenu fixe».

Ainsi, toujours selon la description de l’AMF, la mise de fonds initialement investie est garantie et un gain supplémentaire est aussi possible. En contrepartie, l’argent investi sera bloqué durant plusieurs années avant qu’on puisse le récupérer. Cette période peut, selon les jugements portant sur les deux actions collectives, aller jusqu’à sept ans dans le cas des EPP et EGA, et être de trois, cinq ou huit ans dans celui des IPS et IPT. À partir de là, le rendement des billets, qui n’est pas garanti, dépendra des placements effectués.

Les avocats Serge Létourneau et Guy Paquette donnent l’exemple suivant : sur 100 $ mis dans ces billets sécuritaires, 80 $ sont investis dans des placements qui généreront des intérêts sur le long terme et qui permettront de récupérer les 100 $ initiaux à la fin. Ce sont les 20 $ restants qui généreront des profits, le cas échéant, en étant investis dans des placements plus risqués qui reposent sur des leviers financiers.

En effet, dans le cas des billets structurés de Desjardins, les deux avocats indiquent que ces 20 $ étaient utilisés pour emprunter 100 $ qui étaient par la suite placés sur les marchés boursiers, notamment dans des fonds de couverture.

Selon l’AMF, ces billets offrent une sécurité financière aux investisseurs dans la mesure où ils garantissent que 100 % de la somme investie sera récupérée.

Le cas de Desjardins

Or, à cause de la crise financière de 2008, Desjardins a été forcé de retirer la partie de l’argent servant à rapporter de l’intérêt afin de garantir le capital sécurisé. Pendant ce temps, il était impossible pour les investisseurs de retirer leur argent des BCP, et ce, même si ces sommes ne rapportaient pas un sou.

Conséquemment, les investisseurs se sont retrouvés avec des sommes bloquées rapportant un rendement nul pendant des périodes variant de trois à huit ans. Entre les EPP, EGA, IPS et IPT, les avocats estiment la totalité des sommes investies à près de 6 G$. Plus précisément, Guy Paquette les évalue à 1,2 G$ dans les billets IPS et IPT et à 4,8 G$ dans les EPP et EGA.

Il est important de rappeler que Desjardins a réussi à rendre à ses clients le capital initialement investi, à défaut des éventuels intérêts. Pour Serge Létourneau, le problème est plutôt lié au manque de transparence par rapport au risque au moment de la vente des billets.

L’avocat explique que les dépliants et les témoignages des investisseurs disent qu’«on vous garantit votre capital et on l’investit de manière totalement sécuritaire».

Une majorité de l’argent investi semble provenir des succursales de Desjardins. «Beaucoup de personnes allaient dans des caisses avec l’intention de renouveler des certificats de dépôt ou des obligations d’épargne du Canada. On ne leur proposait pas de les renouveler, mais de transférer les sommes dans les IPS et IPT», ajoute Serge Létourneau.

Les juges Marie-France Bich, Marie St-Pierre et Claude C. Gagnon notent, dans leur jugement d’octobre 2017, que «Desjardins Gestion d’actifs a pris des risques contraires à ses obligations et devoirs légaux et contractuels dans la conception et la mise en oeuvre de leurs stratégies d’investissement».

Les juges de la Cour d’appel ajoutent qu’«une des caractéristiques des placements EPP et EGA est la prétendue absence de risque du capital. […] Or, les sommes affectées au rendement ont dû être liquidées afin d’honorer la garantie de capital du placement PP et du placement GA, démontrant ainsi l’ampleur du risque associé aux stratégies d’investissement préconisées.»

Pénalités pour Desjardins

Par ailleurs, l’action collective se base sur le rendement que l’argent placé aurait pu rapporter s’il avait été investi ailleurs. Selon Guy Paquette, c’est la part de 20 % de placement (soit les 20 $ de l’exemple cité plus haut) qui devrait servir à déterminer la pénalité : environ 200 M$ dans le cas des billets EPP et EGA et 1 G$ dans celui des billets IPS et IPT.

De plus, le rendement offert par les certificats de dépôt et les obligations d’épargne du Canada sur la période de 14 ans s’échelonnant de 2001 à 2015 devrait servir de variable dans le calcul des pénalités, selon Serge Létourneau.

«Ça va aider à établir le rendement d’un placement sécuritaire, explique l’avocat. Le seul problème, c’est qu’il faudra ajuster la somme : en 2008, la Bourse a chuté. En réalité, Desjardins a conservé les capitaux sécuritaires. La Bourse a par la suite généré beaucoup de rendement.»