Aleksandr Davydov / 123rf

Il y a quelques mois, un agent général (AG) communiquait une mauvaise nouvelle à des conseillers en sécurité financière sous contrat.

«En vigueur 30 jours après la date de cette lettre, votre contrat sera résilié. Nous vous prions de faire transférer ces contrats et vos affaires dans les 60 jours suivant cette lettre», apprenaient-ils.

Cet AG, un des plus importants du pays, voulait ainsi concentrer son attention sur les conseillers «pleinement dévoués à leurs pratiques d’affaires».

Était-ce là une réaction aux coûts d’implantation d’APEXA, le nouveau portail de traitement des contrats de distribution des conseillers ?

Lancé en 2019, APEXA vise à fluidifier les processus de mise sous contrat et de suivi de conformité des conseillers. Les AG assument des coûts pouvant atteindre 75 $ par année et par conseiller.

«Chez certains agents généraux, les frais d’APEXA pourraient représenter plusieurs dizaines de milliers de dollars par année», constate Adrien Legault, directeur des finances et chef de la conformité chez Aurrea Signature.

Les AG doivent également consacrer du temps et des ressources humaines pour intégrer, à la plateforme d’APEXA, diverses données concernant leurs conseillers.

«Vaut-il la peine de donner du temps à des conseillers semi-actifs ou inactifs ? Et vaut-il la peine de leur fournir des services coûteux comme la formation ? APEXA entraîne des intervenants du milieu des agents généraux à se poser diverses questions, dont celle de la segmentation des conseillers», affirme Adrien Legault.

Directrice générale du Groupe SFGT, Caroline Thibeault estime que «sans être la cause unique, APEXA semble forcer certains agents généraux à faire un certain ménage de leurs effectifs».

Pour sa part, Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers, croit voir dans ce mouvement vers la segmentation une justification de son modèle d’entreprise.

«Je comprends nos concurrents qui veulent segmenter leurs groupes de conseillers en se détachant de ceux qui ne produisent pas ou peu. Les modèles d’affaires basés sur n’importe quoi tirent à leur fin. APEXA nous y amène !» lance-t-il.

«Le milieu des agents généraux se dirige vers l’écrémage des conseillers», dit Yan Charbonneau, président et chef de la direction d’AFL Groupe Financier.

Selon lui, APEXA fait réfléchir sur l’atteinte des objectifs de rentabilité : «On ne peut plus repousser la réflexion sur les conditions de rentabilité. Les exercices annuels de segmentation des conseillers pourraient s’imposer dans l’industrie.»

À l’ombre de la conformité

Des AG attribuent une autre cause à cette segmentation : leur gestion, de plus en plus importante, de la conformité des conseillers.

«Les responsabilités des agents généraux en matière de conformité augmentent et continueront à augmenter. APEXA peut forcer les agents généraux à évaluer la production des courtiers ou, à tout le moins, à avoir des conversations avec les courtiers. Il y a une tendance de plus en plus forte à la rationalisation», dit Roger Boulos, directeur général du Groupe Financier Boulos.

L’arrivée d’APEXA fait ressortir de graves enjeux en conformité, d’après Dominic Demers, président de la Financière S_entiel : «APEXA constitue un premier pas vers l’imputabilité aux agents généraux de la conformité des conseillers. Cet outil nous est imposé par les assureurs qui veulent s’assurer de la conformité de nos conseillers.»

«Le jour où l’on deviendra juridiquement responsables et imputables sera celui où nous inviterons des conseillers inactifs et semi-actifs à quitter notre organisation. Et ça s’en vient !» prévient Dominic Demers.

Les lettres de résiliation de contrats pourraient être plus nombreuses en 2020 en raison de la progression d’APEXA auprès des AG.

Certains d’entre eux qui y ont adhéré en 2019 ont commencé par y intégrer les dossiers des nouveaux représentants. Dans leurs cas, les dossiers des conseillers sous contrat suivront en 2020. «C’est à cette étape que se posera l’enjeu des conseillers qui vendent peu», dit Adrien Legault.

Par ailleurs, à l’instar du Groupe Cloutier, d’autres AG n’ont pas encore adhéré à APEXA. Pour eux, 2020 sera l’année du passage à cette plateforme. Lorsque leur tour viendra, ils devront eux aussi envisager la segmentation des conseillers sous contrat.

L’évaluation concerne non seulement les coûts et la productivité des conseillers inactifs, semi-actifs ou qui génèrent relativement peu de primes, explique Adrien Legault : «Supposons qu’un agent général effectue son exercice de segmentation. Comment, ensuite, se fera le transfert des contrats et des books d’affaires à d’autres agents généraux ? Car rien n’oblige les agents généraux à reprendre toutes les gammes d’activité de conseillers aux contrats résiliés.»

Le milieu des AG se livrera à une réflexion en 2020, selon lui. «Jusqu’à quel point les AG ont-ils la responsabilité de venir à la rescousse de conseillers absents ?»