Un homme d'affaire qui marche sur un fil comme un équilibriste.
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Dans leur mémoire déposé lors de la consultation sur le Projet de Règlement modifiant le Règlement 81-105 sur les pratiques commerciales des organismes de placement collectif, Mérici Services Financiers et Groupe Cloutier Investissements ont mené un sondage auprès de leurs conseillers sur les conséquences prévues de l’abolition des FAR.

Résultat, les représentants en épargne collective sondés envisagent de mettre en place des seuils d’actifs minimaux à investir et d’abandonner leurs plus petits comptes pour des questions de rentabilité.

L’effet de l’abolition des FAR serait plus prononcé chez les conseillers en début de carrière. Chez Mérici, 50 % des répondants affirment conseiller moins de 100 clients détenant des fonds communs de placement (FCP). Dans ce sous-groupe, 78 % ont un actif sous gestion de moins de 5 M$ en FCP, 50 % pratiquent depuis moins de cinq ans et 83 % utilisent, à des degrés divers, les FAR dans leur pratique. D’ailleurs, 67 % des conseillers de cette portion de l’échantillon utilisent les FAR dans moins de 45 % de leurs nouvelles entrées de fonds.

Interrogés sur l’impact d’une éventuelle interdiction des FAR, ces conseillers le qualifient, dans 78 % des cas, de «remarqué, majeur ou catastrophique». Un quart des répondants indiquent qu’ils songeraient même à quitter le domaine de l’épargne collective. Afin d’assurer leur rentabilité, 50 % réfléchiraient à se départir de leurs plus petits clients, 61 % fixeraient un plancher d’investissement minimal et 75 % devraient offrir d’autres produits financiers afin de toucher une rémunération adéquate pour les services rendus.

Chez Groupe Cloutier Investissements, 38 % des professionnels sondés étaient âgés de 45 ans ou moins et 20 % possédaient un permis en épargne collective depuis moins de cinq ans. De plus, 64 % avaient un actif sous gestion inférieur à 10 M$ et 53 % servaient moins de 100 clients.

«En 2017, 38 % des revenus des conseillers de 40 ans et moins provenaient des commissions versées au moment de la souscription, peut-on lire dans le mémoire du Groupe Cloutier. Comment pourront-ils continuer à évoluer dans un environnement où ils devront trouver une solution de remplacement pour 38 % de leurs revenus ? Il est inévitable qu’une proportion non négligeable devra se réorienter vers d’autres secteurs d’activité, faute de pouvoir dégager un revenu suffisant.»

Parmi les représentants du Groupe Cloutier dont l’actif sous gestion est supérieur à 10 M$, 69 % avaient l’intention de fixer un seuil d’actif minimal afin d’accepter de servir un nouveau client si on abolissait les FAR. Parmi ce groupe, 40 % l’ont chiffré à 100 000 $ et près de 20 % d’entre eux se départiraient de leurs plus petits clients, faute de rentabilité.

Sur l’ensemble des conseillers sondés par Mérici, 31 % n’ont jamais recours aux FAR classiques, 19 % n’ont jamais recours aux frais d’acquisition réduits et 94 % affirment avoir «diminué ou maintenu» le recours aux FAR durant les cinq dernières années. Si les FAR étaient abolis, 67 % de l’ensemble des répondants fixeraient un plancher d’investissement minimal, 62 % offriraient d’autres produits financiers afin de toucher une rémunération adéquate, 45 % songeraient à se départir de leurs plus petits clients et 21 % penseraient abandonner le domaine de l’épargne collective.

Indépendants sacrifiés ?

Dans son mémoire, Groupe Cloutier Investissements critique le fait que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ne proposent pas d’autres solutions que l’interdiction des FAR, et ce, sans considérer l’impact que l’abolition aura sur le segment des courtiers indépendants en épargne collective.

«Aucune piste de solution n’est proposée pour les distributeurs indépendants autre que d’accepter une baisse importante des revenus et de trouver des moyens pour « internaliser » les coûts et les risques associés au recrutement et à l’accueil de nouveaux conseillers», lit-on dans le mémoire du courtier.

«On y présente cette constatation comme un dommage collatéral triste, mais nécessaire, écrit le Groupe Cloutier. Nous ne pouvons que déplorer le peu de considération pour les impacts de la réforme proposée sur des dizaines de courtiers et des milliers de représentants que l’on a laissés s’épanouir depuis des décennies et à qui l’on dit aujourd’hui que cet essor a été fait au détriment des intérêts du client.»

Selon le Groupe Cloutier, abolir les FAR est même contraire à la mission des ACVM, qui est de protéger les investisseurs «tout en favorisant l’équité, l’efficacité et la vigueur des marchés financiers».

Or, l’interdiction des FAR «aurait des impacts commerciaux totalement inéquitables puisqu’elle n’affecterait que le secteur de la distribution indépendante, déjà en perte de vitesse».

Le Groupe Cloutier a évalué les répercussions de l’abolition des FAR sur un courtier hypothétique ayant 1 G$ en actif sous administration et dont 30 % des revenus découlent des FAR. Ses revenus passeraient subitement de 9,2 M$ à 6,8 M$. «Certains courtiers qui étaient auparavant dans une situation profitable se retrouveront inévitablement rapidement déficitaires si la mesure proposée par les ACVM était adoptée et appliquée à l’intérieur de 365 jours», indique le Groupe Cloutier.

D’après ce courtier, l’abolition des FAR «fragiliserait ce rempart à la compétitivité que constituent les entreprises [indépendantes] en réduisant leur capacité d’intégrer de nouveaux conseillers. Cela risquerait de créer un vacuum en faveur des réseaux intégrés, résultant inévitablement en une réduction des options pour les clients. Malheureusement, ces conséquences seraient irréversibles.»

Le Groupe Cloutier montre du doigt plusieurs conséquences importantes : «la relève potentielle qui aurait pu se tourner vers le secteur de la distribution indépendante y verra nécessairement moins d’avantages et de stabilité». De plus, «une vague de consolidation risque d’emporter les plus petits courtiers qui ne seront pas en mesure d’assumer une baisse importante de leurs revenus, potentiellement au profit des réseaux intégrés».

Le problème ne serait pas réglé

Même si les ACVM abolissaient les FAR, l’échéancier de frais de rachat différés ne disparaîtra pas pour autant, souligne le Groupe Cloutier. Une firme de courtage pourrait «intégrer une cédule de frais dégressive dans la grille tarifaire de son offre de comptes nominés [aussi appelés comptes autogérés])».

«Rien dans les modifications réglementaires proposées n’empêcherait un courtier de se prémunir contre les pertes de revenus reliées au départ hâtif d’un client vers une autre institution financière par le biais d’une cédule de frais dégressive. Par exemple, il pourrait facturer des frais administratifs de 5 % sur tout rachat effectué dans la première année, 4 % dans la deuxième année, etc.», lit-on dans le mémoire du Groupe Cloutier.

Alors qu’il serait interdit pour les manufacturiers de facturer des FAR dans les comptes au nom des clients, les courtiers seraient «libres d’internaliser à leurs processus la cédule de frais de rachat».

«Les ACVM ne devraient pas tenir pour acquis que l’abrogation du Règlement 81-105 résulterait inévitablement en la disparition complète des cédules de frais de rachat et des inconvénients qui l’accompagnent», écrit le Groupe Cloutier.

Risque d’arbitrage réglementaire

Mérici Services Financiers admet dans son mémoire qu’on n’assistera pas à une migration de masse des actifs en FCP vers les fonds distincts au lendemain d’une interdiction des FAR. Le passage de l’un à l’autre se fera plutôt graduellement – les nouveaux dépôts et les rééquilibrages se feraient dans d’autres produits que les fonds communs – et sera difficile à mesurer, selon le mémoire.

«Ce n’est donc pas immédiatement un mur que frapperont les courtiers en épargne collective qui offrent des services au marché de masse, peut-on lire dans le mémoire de Mérici. L’analogie à utiliser est plutôt une saignée ou une asphyxie qui prendra plusieurs années avant de montrer toute son étendue.»

Abondant dans le même sens que les conseillers qu’il a sondés, Mérici rappelle que, pour les «clients du marché de masse qui n’investissent que quelques milliers de dollars, la rentabilité, du point de vue du conseiller, ne sera tout simplement pas au rendez-vous s’il lui est impossible de percevoir une commission à la vente».

Le courtier ajoute au passage qu’il est d’avis que «la création de la richesse collective passe forcément par l’amélioration de la situation des ménages du marché de masse» et que ce n’est pas «en investissant exclusivement dans des produits bancaires garantis ou dans des produits d’investissement plus coûteux que nous y parviendrons».