Deux hommes d'affaire se serrant la main en surimpression sur un paysage urbain
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En septembre 2013, Placements Mackenzie nommait Alain Bergeron au poste de vice-président principal, gestion des placements, et chef de l’équipe de répartition de l’actif.

Fait inusité, le nouveau venu n’avait que 36 ans. «Mon âge était la question numéro un que me posaient les clients lors de mes premières années chez Mackenzie !» évoque-t-il.

Il provenait de l’univers des grandes caisses de retraite, plus précisément de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada (OIRPC). Il y avait passé dix ans, dont trois à titre de vice-président et chef de l’affectation tactique de l’ensemble de l’actif.

Les décideurs de Mackenzie savaient ce qu’ils faisaient. Ils avaient recruté un joueur de premier trio en gestion d’actif afin de contribuer à revitaliser leur marque, alors en difficulté.

Selon les rapports annuels de la maison-mère de Mackenzie, à savoir la Société financière IGM (propriété de Power Corporation), les rachats nets de fonds communs de placement (FCP) de Mackenzie avaient atteint en 2011 et 2012 un montant cumulatif de 4,5 G$.

Fructifier l’épargne de façon responsable

Portant maintenant le titre de vice-président principal, gestionnaire de portefeuille, et chef de l’équipe des stratégies multi-actifs, Alain Bergeron a pour tâches principales la répartition d’actif et la supervision du risque de plusieurs fonds de Mackenzie, y compris des fonds multi-gestionnaires, des solutions gérées et des stratégies alternatives.

Il pilote les décisions touchant environ 20 G$ d’actif sous gestion, ce qui représente environ 13 % de l’actif sous gestion de la Financière IGM (157,6 G$ en actif sous gestion le 28 février 2019). À son arrivée en 2013, il chapeautait environ 3 G$ en actif sous gestion.

Titulaire d’une maîtrise en finances de HEC Montréal (2000), Alain Bergeron a contribué à appliquer, à cet univers de fonds de détail, les principes d’investissement typiques des grandes caisses de retraite.

En gros, ces principes recouvrent la gestion de risques ; la définition et la séparation des décisions d’investissement en termes de facteurs communs ; la systématisation des décisions d’investissement ; la primauté du long terme ; l’optimisation de la gestion des devises sur le portefeuille entier et l’incorporation de stratégies alternatives.

Alain Bergeron résume ainsi sa vision de l’investissement. «Investir, c’est prendre des risques. On veut et on doit générer de bons rendements dans le temps, mais rien ne fonctionne toujours de façon uniforme et constante. De plus, faire fructifier les épargnes des gens de façon responsable constitue une responsabilité très sérieuse. La façon de faire la plus responsable possible consiste à utiliser l’approche des grandes caisses de retraite. Surtout dans le monde complexe et interrelié dans lequel on navigue», dit-il.

Selon le consultant Jean Morissette, l’arrivée d’Alain Bergeron chez Mackenzie s’inscrit dans une tendance de fond. «Les caisses de retraite ont atteint un haut niveau de sophistication et les grands manufacturiers de fonds grand public ont atteint la taille nécessaire pour appliquer leurs processus d’investissement», dit ce connaisseur de la gestion d’actif.

Les Mackenzie de ce monde, explique Jean Morissette, ont développé de larges gammes de produits, incluant des fonds alternatifs. Ils ont besoin de combiner au mieux les divers éléments composant les portefeuilles, en fonction notamment de la gestion de risques. En conséquence, «ils ont besoin de super-gestionnaires formés par de grandes caisses de retraite, de gens qu’on pourrait aussi appeler des chefs d’orchestre», ajoute-t-il.

Dans la potion magique

À l’instar d’Obélix, célèbre personnage d’une des bandes dessinées les plus vendues au monde, Alain Bergeron est tombé jeune dans une certaine potion magique. Un jour, il propose à son père de l’accompagner à un salon de l’investissement. Il n’avait que treize ans. «Je lui ai demandé de poser, à ma place, des questions précises à des exposants que j’avais préalablement choisis. Je ne pensais pas que ces exposants auraient pris au sérieux les questions d’un garçon de 13 ans !» dit-il.

À force d’assister à des conférences et à force de lectures spécialisées, Alain Bergeron en arrive à penser que le succès en investissement repose sur une méthode calculée, reproductible et en mesure de limiter les dégâts lors de conjonctures défavorables.

«Une mauvaise expérience au cégep m’a enlevé mes dernières illusions. Un moment donné, j’avais suivi un soi-disant « tuyau » d’un camarade de cégep et j’y ai perdu mes économies ! Cette erreur m’a convaincu à jamais de l’importance de la gestion de risque et de la protection du capital», dit-il.

«Tu vas rebondir !»

Alain Bergeron a lancé sa carrière en se joignant au noyau des bâtisseurs de l’OIRPC.

«En 2003, j’étais à Toronto pour apprendre l’anglais. Un de mes mentors, Donald Raymond, était le chef des investissements de l’Office. Il m’a proposé de faire partie de son équipe. Donald était à la fine pointe du savoir en investissement. Rien qu’à lui parler, j’apprenais beaucoup. Je n’ai pas hésité longtemps !» dit-il.

Lors de son embauche, tout était à bâtir. «J’étais le vingt-cinquième employé de l’organisation», dit-il.

Il participe de près à la structuration de trois équipes d’investissement qui deviendront responsables de l’affectation tactique de l’ensemble de l’actif ; de la gestion interne des actions canadiennes et du choix des gestionnaires externes de fonds alternatifs.

En 2003, faire carrière à l’OIRPC comportait un certain risque en raison de l’état embryonnaire de l’organisation. Par exemple, l’OIRPC n’avait pas la capacité de négocier des actions. «On me disait alors que j’allais rebondir !» évoque Alain Bergeron.

Quelques années plus tard, la réputation de l’OIRPC n’était plus à faire. «J’entendais plutôt des propositions du genre « Pourrais-tu m’aider à obtenir une entrevue ? »» se rappelle-t-il.

Dans le monde du détail

Pour bien des gens, être vice-président d’une caisse de retraite affichant près de 190 G$ en actif sous gestion aurait constitué le point d’orgue d’une brillante carrière. Pourquoi avoir pris le chemin de la gestion de fonds d’investissement destinés au grand public ?

«Au bout de dix ans, je n’avais plus l’impact de mes débuts. La boîte de 25 employés avait fait place à une organisation de plus de 1 300 personnes. Le cycle de construction était terminé», dit Alain Bergeron en ajoutant avoir la «passion de créer des équipes d’investissement et ultimement, de susciter quelque chose d’extraordinaire en investissement».

Aux yeux d’Alain Bergeron, Placements Mackenzie offrait les conditions souhaitées. «La formation de nouvelles équipes et l’implantation de systèmes informatiques de pointe ont des coûts. Il fallait un actionnaire ayant une perspective à long terme. Power Corporation a cette réputation de patience et de respect du long terme», dit cet analyste financier agréé.

Par ailleurs, Tony Elavia et Jeff Carney venaient de se joindre à la société, respectivement à titre de chef des investissements et de chef de la direction. «Leur embauche m’a convaincu que Mackenzie avait l’ambition d’être une organisation de premier plan», ajoute-t-il.

À son arrivée en 2013, Alain Bergeron s’est notamment inspiré de son expérience antérieure afin de développer une approche de gestion des rendements ajustés selon le risque.

«Investir, c’est prendre des risques. L’idée de base consiste à définir un budget de risque. Quel est le budget de risque approprié ? Comment s’assure-t-on qu’un portefeuille a le niveau de risque souhaité ? C’est après cette étape seulement qu’on allouera les divers éléments d’actifs aux portefeuilles», dit-il.

En revanche, cette approche requiert énormément de temps. «Ça prend des années à bâtir. Il faut choisir les bonnes personnes et parfois les former. Il faut des outils informatiques de pointe qu’on ne peut pas toujours acheter tout faits et qu’on doit construire une ligne de code à la fois», explique Alain Bergeron.

«Les marchés sont complexes et dynamiques. Les risques sont interreliés. Afin de naviguer dans cette complexité, une bonne équipe pouvant agir avec des outils sophistiqués laisse moins de choses au hasard», précise-t-il.

S’il contribue à bâtir des programmes informatiques ligne de code par ligne de code, Alain Bergeron entend également garder les yeux sur l’ensemble du champ de bataille.

«On se bat avec acharnement pour chaque point de base de rendement. Par exemple, une idée pourrait permettre de gagner cinq points de base par trimestre. Ça peut avoir l’air minuscule, mais ça correspond à 20 points de base par année. Sur dix ans, cela constituera un gain de 2 points de pourcentage et de 4 points sur 20 ans ! Voilà pourquoi on doit être extrêmement attentif à tout ce qui peut influencer les résultats de gestion de portefeuilles, y compris les plus petits détails qui ne paraissent pas importants», dit-il.

Résultats stabilisés

Après quelques années successives de rachats nets chez Mackenzie, un tournant a eu lieu en 2017 avec des ventes nettes de 965 M$. En 2018, les ventes nettes ont atteint 113 M$.

Ce redressement s’explique de bien des façons, incluant le renouvellement de la haute direction, la refonte de la gamme de produits, la restructuration des équipes de vente, diverses percées dans des réseaux de distribution comme celui de la Banque Laurentienne, et l’augmentation à plus de 30 000 du nombre de conseillers externes servis.

Chose certaine, explique Jean Morissette, «aujourd’hui, les grands manufacturiers de fonds comme Mackenzie ne peuvent plus passer à côté des approches d’investissement développées par les grandes caisses de retraite».