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L’article en une du présent numéro intitulé «Quotas de production sur la sellette» nous apprend que les assureurs demandent aux AG de maintenir un certain niveau de ventes afin de conserver le droit de distribuer leurs produits.

Ces quotas de vente peuvent être tellement élevés que certains agents généraux, incapables de les atteindre, doivent orienter leurs ventes vers de plus gros AG et se partagent les commissions de vente, ce qui réduit leur marge bénéficiaire. Ces quotas désavantagent directement les plus petits AG régionaux, qui peuvent difficilement atteindre, par exemple, de nouvelles commissions de base de 0,5 M$ par année.

Guy Duhaime, président du Groupe Financier Multi Courtage, un AG de Saint-Hyacinthe, soulève un point intéressant : «Les assureurs ne reconnaissent pas notre travail sur les blocs d’affaires existants. Pour eux, l’en-vigueur n’a pas de valeur. Seules comptent les nouvelles ventes !»

C’est déplorable. Les quotas de vente ont plusieurs effets pernicieux qui portent ombrage au travail des conseillers en services financiers professionnels et consciencieux. D’abord, ils amènent certains AG à augmenter leur bonification sur les commissions de première année (CPA) pour les ventes de polices provenant de certains assureurs avec lesquels ces agents généraux ne veulent pas perdre leur contrat de distribution. Ce faisant, ils amputent leur marge bénéficiaire, ce qui les empêche d’investir suffisamment de ressources en conformité et en surveillance des représentants. En clair, des AG risquent de mal jouer leur rôle.

Cette surenchère des bonis sur les CPA et l’imposition de quotas en général accentuent les risques de conflits d’intérêts de différentes manières. Ainsi, un représentant pourrait canaliser ses ventes vers un assureur en particulier étant donné la généreuse CPA que lui offre un AG, orientant ainsi le client à son insu vers un produit qui n’est peut-être pas le meilleur pour lui. Ou encore, des AG pourraient mettre de la pression sur des conseillers afin qu’ils vendent les produits de tel ou tel assureur, encore une fois au détriment du client.

Ce contexte commercial nuit aux obligations déontologiques du représentant en assurance de personnes, ce qui est dommage.

Interrogés sur la question des quotas de vente en assurance, l’Autorité des marchés financiers (AMF) et le Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA) ont indiqué que ce type de pratique «était sur leur radar».

«Ces quotas ne sont pas des incitatifs directs de vente. Toutefois, ils peuvent mener à des conflits d’intérêts», a soutenu Louise Gauthier, directrice principale des politiques d’encadrement de la distribution à l’AMF.

Occasion de se prendre en main

Les quotas de vente sont une réalité inhérente au milieu des affaires. Il ne serait pas profitable pour un assureur de maintenir des relations avec des AG chez qui il n’a qu’un minuscule volume de vente. Faire des affaires avec un nombre limité d’AG aide également les assureurs à réduire leurs coûts, puisqu’ils n’ont pas besoin de soutenir des effectifs de service à la clientèle aussi importants.

D’un autre côté, faire des affaires engendre des coûts pour les assureurs et ceux-ci peuvent tenter de mieux les contrôler dans d’autres divisions plutôt que d’adopter des politiques qui accentuent des conflits d’intérêts dans les réseaux de distribution.

Les quotas de nouvelles ventes engendrent d’importants risques de conflits d’intérêts et ils ne peuvent continuer d’être appliqués tels quels. Le régulateur devrait se pencher sur la question et encadrer leur utilisation, puisque le client risque de se faire vendre un produit d’un assureur en particulier afin que l’AG avec lequel son conseiller fait affaire atteigne un certain quota de vente.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette pratique fait planer un doute non nécessaire sur toute la «valeur du conseil».

De plus, elle démontre un grand manque de transparence de la part des assureurs. Le client n’a aucun moyen de savoir que son conseiller subit potentiellement de la pression de la part de son AG afin qu’il vende davantage de produits d’un assureur en particulier. Le conseiller lui-même pourrait ne pas savoir que son AG tente d’influencer son choix vers un assureur plutôt qu’un autre.

Pourrait-on revoir la mesure à utiliser afin de permettre aux assureurs de continuer à privilégier les relations d’affaires les plus profitables sans risquer de nuire au devoir déontologique du représentant ? L’industrie de l’assurance n’a pas besoin d’attendre une décision des régulateurs pour changer la façon dont elle s’y prend pour mesurer la qualité de sa relation avec les AG. Pourquoi ne pas opter pour une mesure qui valoriserait moins les ventes à court terme et davantage la valeur apportée au client à long terme ?

L’industrie de l’assurance a une belle occasion de devancer l’intervention du régulateur et de démontrer qu’elle prend au sérieux la question des conflits d’intérêts. On l’a déjà vu dans le passé lorsque certains assureurs ont décidé d’abandonner les concours de vente. L’industrie n’a pas besoin d’attendre que le régulateur lui interdise quelque chose ou lui mette des limites, elle est capable de proposer des compromis afin d’être réellement orientée vers le client.