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Une pratique récente de l’industrie financière sème la grogne auprès de certains conseillers étant donné les questions qu’elle soulève.

Depuis plusieurs années, des conseillers indépendants se plaignent de la manière empressée dont les groupes intégrés encouragent l’adoption des comptes autogérés. En effet, des conseillers indépendants apprécient peu qu’on leur force la main pour transformer les comptes au nom de leurs clients (client name) en comptes autogérés, notamment appelés nominee accounts. Pour les institutions financières intégrées, le passage aux comptes autogérés représente une décision d’affaires logique qui, selon eux, simplifie la vie du client.

Dans le passé, ces groupes ont soulevé la controverse en offrant notamment des rabais aux clients sur les frais liés aux comptes autogérés en échange d’un certain seuil minimum en dollars placés dans des fonds d’investissement maison. Comme ils possèdent souvent à la fois le réseau de distribution, le manufacturier et l’administration fiduciaire, cela leur permet de faire de telles offres.

Lorsque les journalistes de Finance et Investissement se sont intéressés à cette question dans le passé, les groupes intégrés se sont défendus en disant que c’était un rabais accordé au client, et non au conseiller. Le client évitait ainsi de payer des frais sur son compte autogéré. Des conseillers indépendants concédaient même que l’ouverture de comptes autogérés permettait d’éviter qu’un conseiller multiplie les comptes auprès de différents manufacturiers et, du même coup, les frais aux clients.

Vitesse supérieure

Certains groupes intégrés vont maintenant plus loin. Un document dont Finance et Investissement a eu copie révèle que, depuis le 1er septembre 2018, Investia, le réseau de distribution appartenant à iA Groupe financier, demande à ses conseillers d’avoir au moins 75 % de leurs clients dans des comptes autogérés. Un client est d’ailleurs considéré comme «autogéré» lorsqu’au moins un de ses régimes (REER ou CELI) est dans un compte autogéré offert par l’un des trois fournisseurs autorisés par Investia, soit Investia, B2B ou CWT.

Le conseiller qui choisit de ne pas atteindre le seuil des 75 % se verra imposer des frais administratifs mensuels de 100 $ par Investia.

Rappelons que, bien qu’ils simplifient la vie du client en ne générant qu’un seul relevé de compte et en lui faisant économiser des frais, les comptes autogérés positionnent le courtier comme un intermédiaire très important entre le manufacturier et le client. Au lieu d’avoir plusieurs comptes en son propre nom auprès de différents manufacturiers, le client a un seul compte, au nom du courtier, qui centralise ses relations avec les différents manufacturiers.

Ainsi, lorsqu’un conseiller souhaite changer de firme avec des comptes autogérés, c’est le fiduciaire, soit le groupe intégré, qui est responsable de traiter l’opération. Avec des comptes au nom du client (client name), l’opération se déroule directement entre le manufacturier et le conseiller. Certains conseillers indépendants craignent donc que, au moment de changer de firme avec des comptes autogérés, leur ancien courtier tente de causer des délais ou des frais supplémentaires.

Les conseillers indépendants font le choix d’être indépendants parce qu’ils croient à ce modèle. On ne peut donc pas les blâmer de ne pas aimer se voir imposer des frais mensuels s’ils ne se conforment pas au choix d’affaires de leur courtier. On ne peut pas non plus être surpris du fait que certains indépendants n’aiment pas voir leur courtier s’immiscer dans la relation qu’ils entretiennent avec leurs clients et rendre potentiellement plus difficile un transfert vers un autre réseau.

Interrogée sur la nouvelle exigence d’Investia, l’Autorité des marchés financiers (AMF) s’est dite au fait de la situation et a indiqué ne pas vouloir commenter. Alors que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières envisagent de forcer les firmes de courtage à mettre en place des contrôles suffisants pour traiter un conflit d’intérêts au mieux des intérêts de leur client, l’AMF devrait se pencher sur cette pratique qui soulève des questions sur le plan des conflits d’intérêts.

Décisions d’affaires

Pierre Picard, responsable des relations publiques chez iA Groupe financier, a indiqué dans un courriel qu’il s’agissait ici d’une décision d’affaires.

«Les comptes autogérés permettent justement une meilleure administration en gestion à honoraires. Ils donnent aussi accès à des produits présentant des frais réduits. De plus, l’accès aux fonds négociés en Bourse (FNB) et aux Platform Traded Funds (PTF) est seulement disponible à partir de comptes autogérés. De plus, l’industrie des valeurs mobilières fonctionne seulement en autogérés. Cela n’est pas un phénomène nouveau. Les conseillers de Holliswealth, une entreprise que nous avons acquise en 2016, fonctionnent en très grande majorité en autogérés.»

Il ne faut pas croire qu’Investia est seule à favoriser les comptes autogérés. C’est une tendance lourde dans l’industrie.

En effet, nos recherches, menées en 2017, ont démontré que Manuvie offrait aussi des rabais à leurs clients sur les frais associés aux comptes autogérés lorsqu’ils plaçaient un montant fixe en dollars, et non un pourcentage des actifs, en fonds maison. L’assureur ne demande toutefois pas à ses conseillers d’avoir un minimum de leurs clients en autogérés. De son côté, SFL Partenaires de Desjardins sécurité financière dit laisser ses conseillers faire affaire avec le fournisseur de leur choix pour les comptes autogérés et ne pas exiger de pourcentage minimum de clients dans ce type de comptes. Le Groupe financier Peak et MICA Cabinets de services financiers, deux réseaux indépendants, offrent aussi des comptes autogérés à leurs conseillers.

Les firmes ont le droit de prendre les décisions d’affaires qui correspondent à leurs besoins, dans la mesure où le client est respecté et que ces décisions d’affaires le traitent équitablement. Cela dit, les conseillers peuvent aussi montrer leur désapprobation en partant et en choisissant la firme qui leur offre un environnement de travail où ils ont réellement l’impression que leur indépendance est respectée.

L’équipe de Finance et Investissement