«Le marché s’adapte déjà tranquillement aux nouvelles réglementations, dit-il. Les clients paient de moins en moins de frais de gestion et ils ont toute l’information dans l’Aperçu du fonds».

Selon lui, ce sont les jeunes conseillers en début de carrière qui subiront l’impact le plus visible d’une abolition éventuelle des commissions intégrées. Il cite l’exemple d’un conseiller d’expérience qui a un bloc d’affaire (book) de 20 M$ et qui négocie des honoraires moyens de 1 % en fonction de l’actif.

«Avec un revenu brut de 200 000 $, il peut s’en tirer, mais le jeune qui commence et qui va chercher 5 M$ d’actif, ce qui n’est déjà pas facile, recevra un revenu brut de 50 000 $. Une fois que le courtier a pris sa part, il lui reste 36 000 $. Ce n’est pas le Pérou pour avoir pris autant de risque», dit François Bruneau.

Et le risque pour la profession est que peu de jeunes voudront s’y aventurer. Ils préféreront d’autres secteurs que celui du placement, croit le vice-président de Groupe Cloutier.

«Un jeune qui décide de faire de l’assurance ne vivra pas riche et ne roulera pas en Mercedes dans les deux premières années, mais il pourra en tirer un salaire qui lui permettra de vivre. En placement, ce sera long avant qu’il puisse en vivre, même en investissant autant d’heures».

Un avis que partage Léon Lemoine, planificateur financier chez Services financiers Whitemont. «Certaines sources dans l’industrie disent qu’un conseiller sur quatre pourrait quitter la profession d’ici les cinq prochaines années», dit-il.

Il croit que l’avenir de la profession repose sur la multidisciplinarité : «Les conseillers qui commencent se retrouveront dans l’obligation d’avoir de multiples revenus, soit comme courtier hypothécaire ou conseiller en sécurité financière».

Pour ceux qui n’auront pas envie de passer des années à suivre des formations pour obtenir tous les permis, l’autre solution sera de joindre un cabinet qui offre déjà une panoplie de services financiers et de profiter du référencement. «C’est la voie de l’avenir», dit Léon Lemoine.

Moins payant

Si les ACVM persistent et suppriment les commissions intégrées, les conseillers passeront d’une rémunération à commission à une rémunération par honoraires. Léon Lemoine calcule que de 5 % de l’actif sous gestion en moyenne, leur rétribution pour les nouvelles ventes de fonds passera à 1 %, soit cinq fois moins selon les tarifs actuellement en vigueur.

Pour compenser, et pour justifier des honoraires plus élevés, les conseillers devront offrir une valeur ajoutée. «De moins en moins de conseillers vont travailler de façon cloisonnée. C’est comme un omnipraticien entouré de spécialistes. Je peux être expert en investissement et recommander mon client à d’autres collègues dans d’autres secteurs», dit Léon Lemoine.

Il n’empêche que les cabinets indépendants comme Whitemont et Groupe Cloutier risquent de subir une guerre de prix déclenchée par les grandes institutions financières, qui peuvent rentabiliser leur réseau grâce à leurs services bancaires.

«C’est la grande inconnue : comment les réseaux qui ont des conseillers à salaire réagiront-ils ? Vont-ils déclarer une guerre des prix pour affaiblir les indépendants ? Et une fois qu’ils auront pris leurs parts de marché, vont-ils remonter les prix tranquillement ? C’est un risque», dit François Bruneau.

Cabinets à vendre

Dans un monde sans commissions, les conseillers plus âgés pourraient aussi avancer leur départ à la retraite et vendre leur cabinet pendant qu’ils peuvent en évaluer plus facilement la valeur. Aujourd’hui, selon François Bruneau, un bloc d’affaires (book) se vend à trois ou quatre fois les commissions de suivi.

«Si les honoraires sont négociés client par client, est-ce que la valeur sera de quatre fois les honoraires ? L’acheteur devra-t-il renégocier avec les clients ? Ça peut être insécurisant pour quelqu’un qui arrive en fin de carrière. Certains vendront plus rapidement, alors qu’ils connaissent la valeur de leur book», dit le vice-président de Groupe Cloutier.

Pour le moment, nul ne peut dire comment les honoraires seront établis dans l’industrie. Seront-ils négociés un à un, suivant une grille fixe établie en fonction de l’actif ou des services rendus ? «Plusieurs options sont à l’étude», observe Léon Lemoine.

Ce dernier, qui fonctionne depuis 10 ans déjà entièrement sur honoraires, a établi une grille selon le niveau d’actif de ses clients, et aucun d’entre eux ne s’y est opposé. «Au final pour le client, c’est combien d’argent il lui reste. En tant qu’indépendant, mes honoraires sont peut-être plus élevés, mais si je peux offrir plus de rendement par année, c’est ce qui compte», dit Léon Lemoine, qui affirme que ses services se comparent avantageusement à ceux des conseillers salariés d’une banque.

«J’ai plus de facilité à obtenir des rendements intéressants pour mes clients parce qu’ils ne sont pas captifs d’une seule institution et de ses produits. Je peux offrir plus de possibilités et saisir les bonnes occasions», dit-il.

En effet, parce qu’il facture des honoraires, Léon Lemoine peut sortir d’un fonds quand bon lui semble. «Avec le modèle par honoraires, le client est libre comme l’air, contrairement au modèle à commission, ou le conseiller recevait une commission à la vente, mais où l’actif de son client était gelé pendant six ou sept ans dans le même fonds», explique Léon Lemoine.

Actif important, petit tarif

Aux États-Unis, une pratique répandue consiste à établir un tarif régressif : plus l’actif sous administration augmente, moins le pourcentage des honoraires est élevé. C’est donc dire que les plus petits comptes assument une part plus importante de la rémunération d’un même conseiller qu’actuellement.

Voilà qui est exactement à l’inverse de l’effet des commissions intégrées, selon Gino Savard, président de MICA Services financiers. «À l’heure actuelle, l’investissement est basé sur un système socialiste. Tout le monde paie le même prix, et les plus riches subventionnent les plus petits», dit-il.

«Avec les commissions, un conseiller fait parfois du bénévolat avec certains clients en espérant grandir avec eux et il est un peu trop payé pour d’autres clients. Mais au bout du compte, il gagne 125 000 $ par an. C’est un professionnel qui est payé comme tel», ajoute le président de MICA.

Selon lui, au Royaume-Uni, où les commissions sont abolies depuis 2013, l’État songe à permettre aux investisseurs de retirer jusqu’à 500 livres sterling de leur fonds de pension sans pénalité d’impôt pour qu’ils puissent payer leur conseiller.

«L’État subventionnerait l’accès au conseil pour les plus petits clients, alors qu’avant, ils avaient cet accès», dit Gino Savard.

Davantage de séries F

On parle aussi dans l’industrie de plafonner les honoraires de façon à ne pas pénaliser les comptes les plus importants pour un même type de service, ou encore de fixer un tarif selon le service rendu.

«Si votre client s’attend à un appel par année et que vous ramassez son chèque REER, c’est une catégorie de service qui coûte moins cher. Par contre, s’il veut recevoir quatre appels par an, avoir droit à deux visites et à un portefeuille rééquilibré tous les ans, ça va lui coûter un peu plus cher», illustre François Bruneau.

Pour les indépendants, c’est ce qui risque d’arriver, selon François Bruneau. Ces derniers bâtiront une grille sur mesure, de façon à obtenir le même ratio de revenu par dollars d’actif sous gestion que celui que les commissions leur permettaient d’aller chercher.

Le passage vers le modèle par honoraires bouleversera le monde des FCP, où il ne restera plus que des fonds de série F ou d’autres séries semblables, dit François Bruneau : «De plus en plus de manufacturiers commencent à offrir des fonds à honoraires (série F) pour lesquels ils effectuent la facturation des honoraires pour les remettre ensuite au courtier.»

Souvent, dit-il, les courtiers qui créent un compte au nom du client ne sont pas équipés pour facturer des honoraires.

Si on ne sait trop encore quelle méthode les conseillers et leur firme choisiront pour établir leur rémunération, il est certain qu’ils chercheront à récupérer le même niveau de revenu qu’à l’époque ou ils travaillaient à commission, selon François Bruneau.

«Je vois mal un conseiller dire : « Moi, je gagne beaucoup trop. Cette réglementation fera en sorte que je gagne un salaire correct »».