Comme l’indique notre tableau, le visage de l’industrie de l’assurance de personnes a changé depuis 2007.
Nous avons demandé à deux spécialistes, Robert Landry et Sylvain Gagné, de prendre un temps d’arrêt afin d’éclairer les enjeux de cette course sans fin aux parts de marché.
Robert Landry a passé une quinzaine d’années chez AXA Canada, notamment à titre de vice-président exécutif. Il est désormais consultant. Pour sa part, Sylvain Gagné a été vice-président régional chez Empire Vie pendant cinq ans. En décembre dernier, il est passé dans l’univers des agents généraux (MGA) à titre de directeur général de BBA Groupe Financier.
La concentration s’approfondit
Le tableau confirme que la concentration s’est accrue. En 2007, les cinq premiers acteurs captaient 59,9 % des primes. En 2012, c’était 64,5 %.
De plus, les assureurs à charte québécoise se sont renforcés. Leurs parts de marché, qui étaient de 48,9 % en 2007, sont maintenant de 52 %.
«Une progression de 1 % par an est significative. Et la bonne tenue des assureurs vie à charte québécoise est remarquable», dit Robert Landry.
Loin des yeux…
Maintenant, comment expliquer ces résultats qui favorisent les assureurs québécois ?
Tout d’abord, par le service à la clientèle, le marketing et la proximité des conseillers. «Certains assureurs ont négligé le marché québécois. Ils ont même fini par s’en éloigner, par paresse et par manque de vision. Les consommateurs en entendent peu parler et les conseillers sont laissés à eux-mêmes», résume Sylvain Gagné.
Par exemple, certains assureurs ne proposent pas de formations spécialisées et ne participent pas aux événements organisés par les MGA à l’intention des conseillers. «C’est pourquoi ces compagnies finissent par perdre du terrain», affirme Sylvain Gagné.
En outre, leurs campagnes publicitaires ne ciblent pas les con-sommateurs d’ici. Ce qui n’est pas une bonne idée, selon Sylvain Ga-gné, «car il existe un grand sentiment d’appartenance envers les compagnies québécoises».
Robert Landry précise que certains assureurs ont décidé il y a quelques années de centraliser leurs services de tarification et de réclamations dans la région de Toronto.
«Ils se sont éloignés des réseaux de vente et ils doivent en constater les conséquences sur le développement des affaires», dit-il. En effet, précise- t-il, la tarification et la réclamation font aussi partie du service à la clientèle, mais destiné aux conseillers.
En hausse
Nos experts soulignent la qualité de la vision d’affaire des compagnies du peloton de tête qui progressent le plus, Industrielle Alliance, SSQ et Manuvie.
«Ces dirigeants connaissent leurs marchés. Par exemple, leurs produits sont faits pour Monsieur et Madame Tout-le-Monde, pas pour les millionnaires» remarque Sylvain Gagné, qui ajoute que ces dirigeants sont aussi très proactifs avec les MGA et les conseillers.
Robert Landry explique que Manuvie a bouleversé ses équi-pes de gestionnaires des ventes. «La compagnie a également accru les exigences de production des conseillers et MGA», dit-il.
En ce qui concerne SSQ, qui a acquis les activités d’assurance vie d’AXA en 2011, il estime qu’elle exécute ses plans d’intégration «d’une façon efficace».
En baisse
Contrairement aux autres, deux compagnies de tête n’ont à peu près pas progressé depuis 2007, Great-West Lifeco et Sun Life. Pourquoi ?
Si l’on comprend ses trois entités – Great-West, London Life et Canada-Vie -, on constate que Great-West Lifeco occupe maintenant 12,5 % du marché, par rapport à 13,0 % en 2007. Ses parts ont diminué de 4,2 %.
Seules Standard Life et Transamerica ont moins bien performé. Cependant, Standard Life a l’excuse d’avoir totalement quitté le terrain de l’assurance vie individuelle durant cette période.
Sylvain Gagné explique la performance négative de Great-West Lifeco par la culture d’entreprise et l’exclusivité du réseau de distribution. «La compagnie communique très peu. Je ne les ai à peu près jamais croisés au cours de mes 28 ou 29 ans de carrière», dit Sylvain Gagné.
Robert Landry signale que la compagnie gère ses produits et sa tarification avec la plus grande prudence. «En conséquence, elle est peut-être moins concurrentielle depuis la crise financière.» Et comme Great-West Lifeco «ne se démarque pas dans les produits qui font la force des compagnies québécoises comme l’assurance maladie, elle ne peut pas participer à la croissance autant que les autres».
Quant aux parts de marché de Sun Life, elles sont restées pratiquement stables depuis cinq ans.
Pourquoi ? Depuis quelques années, constate Robert Landry, Sun Life s’est davantage illustrée en assurance collective qu’en assurance individuelle. «Pour mieux performer en individuelle, elle doit se rapprocher des MGA», dit-il. Or, Sylvain Gagné estime qu’au cours des dernières années, la stratégie de distribution de la Sun Life a manqué de «clarté» envers les MGA.
À surveiller
Pour sa part, La Capitale groupe financier a notamment bénéficié de l’ouverture de son réseau de distribution. «Les ventes ont progressé lorsque la compagnie a cessé de ne vendre qu’à l’interne», estime Sylvain Gagné.
Quant à Empire Vie, son «appétit pour le risque est supérieur à la moyenne et ses produits sont très concurrentiels. Bien entendu, cette stratégie est exigeante du point de vue de la gestion du risque. Mais les conseillers savent reconnaître les produits les plus avantageux pour leurs clients», dit Robert Landry.
BMO Assurance est un autre de ces acteurs qui montent.
«J’en sais quelque chose, remarque Robert Landry, ayant eu à les concurrencer tant sur les taux que sur le service. C’était une des compagnies que nous surveillons de très près. Un modèle ! Comme quoi, une bonne gamme de produits assortie de taux concurrentiels et d’un bon service à la clientèle compen-sent parfois un réseau de distribution moins étendu. La clientèle finit bien par nous trouver», dit-il.
Par ailleurs, en dépit du fait que RBC Assurances a «suspendu» en juin 2012 les ventes de la Temporaire 100 et de la vie universelle, cette compagnie a tout de même accru ses parts de marché. «Cela témoigne de la force de leur réseau», estime Robert Landry.
Finalement, les succès d’UV Mutuelle ne laissent pas indifférents. «On les connaît peu. Ils pourraient surprendre au cours des prochaines années», remaque Sylvain Gagné.