«Depuis quelques mois, il est devenu courant d’avoir des fluctuations quotidiennes de 5 % et plus dans les titres aurifères. Les gestionnaires sont désorientés», constate Frank Zwarts.
Deux facteurs expliquent le recul de ces titres aurifères : le repli du prix de l’or et la compression des multiples attribués à ces titres. L’once d’or a atteint un sommet de 1 876,81 $ le 5 septembre 2011. Il avait reculé à 1 625,10 $ le 1er avril dernier et ne valait plus que 1 316 $ l’once à la mi-octobre.
Il y a eu deux chutes importantes : la première a débuté le 10 avril, lorsque Goldman Sachs a émis une recommandation de vente sur l’or. Le prix a reculé de 13 % en deux sessions, la chute la plus importante depuis 33 ans. Le 14 avril, le ministre des Finances de Chypre annonçait que le pays pourrait vendre des réserves d’or pour recevoir de l’aide internationale. La deuxième chute est survenue lorsque la Réserve fédérale américaine (Fed) a laissé entrevoir son intention de mettre fin éventuellement à la troisième phase de détente quantitative (QE 3). L’or a alors reculé de 11 % entre le 14 et le 28 juin.
«De plus, les bonnes nouvelles économiques aux États-Unis, tant dans le secteur de l’immobilier que dans le secteur manufacturier, ont fait grimper le dollar américain et baisser la valeur de l’or. Il y a eu des ventes massives de fonds négociés en Bourse (FNB) détenant de l’or physique, ce qui a exacerbé la baisse, tout comme les achats massifs de ces FNB avaient exacerbé la hausse», ajoute Frank Zwarts.
Ras-le-bol
La plongée en vrille des titres aurifères s’explique aussi par la désaffection des investisseurs envers les directions des entreprises qui, depuis au moins deux ans, ont trop promis et n’ont pas respecté leurs engagements, poursuit Frank Zwarts : «Le mantra était de « croître à tout prix » en faisant des acquisitions coûteuses, en s’engageant dans des projets trop compliqués et trop chers, tout cela dans le but de faire miroiter une croissance élevée au cours des cinq prochaines années. Les investisseurs étaient prêts à payer une prime pour cette forte croissance. Or, la gestion d’une mine est une activité aux nombreux aléas et pleine d’imprévus, notamment la baisse soudaine de la teneur minière, les bris d’équipement ou les grèves», explique-t-il.
Il prévoit que les multiples que les investisseurs accorderont désormais aux aurifères ne remonteront pas de sitôt : «Le marché est las du marché aurifère. Les sociétés n’ont plus le choix de réduire leurs dépenses et d’être plus disciplinées, tant en ce qui concerne les opérations actuelles que les projets et les acquisitions, afin d’accroître le bénéfice d’exploitation», insiste Frank Zwartz, qui dit favoriser les titres dont les coûts de production sont inférieurs à la moyenne et dont l’endettement est faible. En effet, si le cours de l’or chute fortement, il n’y aura pas de problème de remboursement. Dans cette veine, son titre favori est celui d’Argonaut Gold.
Il y aurait 75 % de probabilités que nous assistions actuellement à la formation d’un prix plancher pour l’or, selon Jon Case, cogestionnaire du Fonds de croissance de métaux précieux Sentry, et ce, pour les raisons qui suivent.
D’abord, la dégringolade récente du cours de l’or est une réaction exagérée à la nouvelle voulant que la Fed envisage de réduire l’envergure du programme de détente quantitative (QE 3) dès 2013, pour y mettre fin en 2014. La décision de la Fed, en septembre, de ne pas commencer à réduire ce programme le conforte dans son opinion qu’une telle réduction s’étendrait sur une période nettement plus longue que ce que le marché semble escompter, car les données économiques sont plutôt ternes.
«Si on remonte au printemps 2007, il existe une corrélation bien établie entre la création de monnaie fiduciaire (papier-monnaie) et le prix de l’or. Or, même en réduisant de 20 G$ US par trimestre les injections de liquidités de la Fed à compter du 4e trimestre de 2013, son bilan s’accroîtra de 660 G$ US, soit 20 %. S’ajoutent la détente quantitative de 70 G$ US par mois de la Banque du Japon et celle de 41,5 G$ US par mois de la Chine, pour arriver à une création additionnelle de monnaie fiduciaire de 14 % par an. L’or devrait s’apprécier d’autant et vaudrait donc 1 550 $ US l’once», estime-t-il.
Ensuite, la demande d’or physique est en hausse de 54 % en Chine, en réponse à la baisse de son prix. En effet, contrairement aux Nord-Américains, les Chinois considèrent l’or comme une devise. Au premier semestre, ils ont acheté 706 des 2 329 tonnes métriques produites, soit 30 %. Cela donne une certaine assurance que l’or liquidé par les FNB en Amérique du Nord trouvera preneur.
Le plus important de ces FNB, le SPDR Gold, a subi des sorties de fonds de 18 G$ US, et son tonnage en or a diminué de 28 %, à 970 tonnes au 1er semestre, son plus bas niveau depuis février 2009. «L’effet combiné de cette tentative par tous les investisseurs de vendre leur or au même moment est un choc qui équivaut à une augmentation de 75 % de la production d’or», calcule Jon Case, qui se dit impressionné du fait que le prix de l’or n’ait pas reculé davantage.
Récemment, moins de 4 % de son portefeuille était investi dans des entreprises en phase d’exploration avancée ; le reste était investi dans des titres d’entreprises en phase de production qui affichent des rentrées de fonds.
Achats périodiques
Le prix de l’or devrait osciller dans une bande étroite autour de son cours actuel en fonction des nouvelles macroéconomiques, selon Diana Racanelli, gestionnaire du Fonds métaux précieux TD depuis avril dernier. Parmi ces nouvelles, elle croit que la hausse des taux d’intérêt réels après inflation, n’est pas nécessairement mauvaise pour le prix de l’or. «Une étude du World Gold Council montre qu’ordinairement, l’or connaît sa meilleure performance lorsque les taux réels sont négatifs et sa pire performance lorsqu’ils sont élevés. Mais s’ils oscillent entre 0 et 4 %, le prix de l’or peut quand même augmenter : la demande d’or physique des FNB et des pays émergents neutraliserait les effets négatifs de la hausse des taux. Or, c’est probablement ce dernier scénario qui décrit la situation actuelle», juge-t-elle.
Diana Racanelli précise que le coût moyen de production d’une once d’or, y compris le capital de croissance, oscille autour de 1 700 $ US. Même en excluant le capital de croissance, il oscille tout de même autour de 1 400 $ US l’once. Les sociétés procèdent à des interruptions dans l’exploitation en cours et à des reports dans les projets à venir pour abaisser ce coût et pour renouer avec la rentabilité : «C’est une préoccupation à long terme. Les dirigeants que nous rencontrons régulièrement disent les bonnes choses, et ils ont commencé au 2e trimestre à poser les bons gestes. Mais il faudra au moins deux trimestres avant qu’on voie les résultats de ces mesures», prévient-elle.
C’est pourquoi elle croit que les titres aurifères se négocieront dans une fourchette étroite au cours de la prochaine année, au fur et à mesure que les résultats trimestriels permettront de mesurer la rapidité avec laquelle les sociétés mettront de l’ordre dans leur gestion. «Dans ce contexte, des achats périodiques sur faiblesse des cours seraient indiqués», conseille la gestionnaire.
«En admettant que le prix de l’or grimpe pendant que les sociétés abaissent leur coût de production, les marges bénéficiaires pourront s’accroître. De plus, les réductions des dépenses en immobilisations diminueront l’offre à long terme d’or, ce qui offrirait un meilleur soutien à son prix. Cela serait positif pour les titres aurifères», poursuit-elle.
Diana Racanelli préfère se concentrer sur les entreprises dont les coûts de production sont parmi les moins élevés et dont les activités se déroulent dans des endroits sûrs sur le plan géo-politique : Goldcorp et Franco-Nevada, les deux positions les plus importantes du fonds, remplissent ces critères.