La rémunération par commissions est dans la mire de cette ancienne professeure d’université de 67 ans qui vise à l’abolir.
La sous-ministre fait face à l’opposition massive de l’industrie financière ainsi que de plusieurs membres du Congrès.
Phyllis Borzi a expliqué sa position lors de sa participation à une table ronde sur la retraite en mars dernier.
Selon elle, le modèle de la rémunération par commissions suscite des conflits d’intérêts dans le choix des produits financiers offerts aux participants. Il serait également trop coûteux. La vidéo de sa conférence est disponible sur YouTube (http://tinyurl.com/pyxjk5c).
Or, cela fait déjà quatre ans que le ministère du Travail des États-Unis tente d’instaurer la règle du devoir fiduciaire. La dernière version de son projet de réglementation a été retirée ce printemps. Une nouvelle version devrait être déposée en janvier 2015.
Phyllis Borzi pourra-t-elle convaincre ceux qui s’opposent à ce grand changement de cap ? Et Wall Street, qui lui dit depuis quatre ans de revoir sa copie ?
Les épargnants écoperaient
La nouvelle réglementation aurait de graves conséquences pour les épargnants, soutiennent les opposants au projet.
La Securities Industry and Financial Markets Association (SIFMA) n’y va pas de main morte. Elle affirme que ce projet «limitera les choix de placements et augmentera les coûts pour les individus». La SIFMA représente quelques centaines de gestionnaires d’actif, de firmes de courtage et de firmes de conseillers (http://tinyurl.com/qelqeve).
La Financial Services Roundtable, qui se présente comme «le groupe de pression de premier plan de l’industrie financière», est plus précis. «Faute de moyens, les épargnants à bas et moyens revenus seront éjectés de l’univers du conseil financier», prévient-elle (http://tinyurl.com/oc7r8nd).
Pour sa part, l’Insured Retirement Institute (IRI), qui regroupe 150 000 professionnels des produits de rentes, affirme qu’avec l’élimination des commissions, 18 millions d’individus n’auront plus accès au conseil. Leurs actifs seront insuffisants pour qu’ils puissent faire affaire avec des conseillers à honoraires, prévoit l’IRI (http://tinyurl.com/nnt6pau).
Cet argument a été repris par certains législateurs noirs qui font partie du Congressional Black Caucus. Ils disent craindre que de nombreux épargnants afro-américains soient laissés à eux-mêmes (http://tinyurl.com/q4y699r).
Ce scénario d’exclusion économique n’échappe pas aux conseillers. Le Financial Services Institute (FSI), qui représente 37 000 conseillers indépendants, soutient que l’élimination des commissions obligerait de nombreux conseillers à se retirer du marché des régimes de retraite. En conséquence, beaucoup de futurs retraités seraient privés de conseil (http://tinyurl.com/kvgdoll).
Selon un sondage mené par le FSI, 9 conseillers sur 10, membres de l’organisation, s’opposent d’ailleurs aux réformes souhaitées par le ministère du Travail (http://tinyurl.com/qakaqg6).
Ce n’est pas tout, car quelques dirigeants de firmes-conseils et de gestion d’actif s’en sont mêlé.
En outre, Scott Curtis, président de Raymond James Financial Services, a soutenu que les Américains à moyens et bas revenus seraient touchés par l’absence de conseil financier (http://tinyurl.com/kjxlczo).
La United States Hispanic Chamber of Commerce s’est aussi mise de la partie. Selon un sondage commandité par ce regroupement d’affaires, une entreprise sur trois de moins de 500 employés envisagerait d’abolir son régime collectif de retraite advenant l’adoption des réformes proposées par le ministère du Travail (http://tinyurl.com/nw3bedz).
Des appuis
Parallèlement, l’initiative pilotée par Phyllis Borzi est appuyée par l’organisme américain de défense des droits des consommateurs, la Consumer Federation of America, la AARP qui regroupe les 50 ans et plus (http://tinyurl.com/nnmsqz6), et la centrale syndicale AFL-CIO (http://tinyurl.com/pwnujd4).
Dans une tribune publiée sur le site WealthManagement.com, une dirigeante de la Consumer Federation of America affirme que les opposants veulent avant tout protéger leurs «flux de revenus» engendrés aux dépens des consommateurs (http://tinyurl.com/q8dhx6c).
Poursuites en vue
Pourquoi la levée de boucliers de l’industrie devant la règle du devoir fiduciaire ?
Bien sûr, parce qu’elle ouvre évidemment la voie à l’abolition des commissions. Mais aussi, aux poursuites judiciaires.
Par exemple, des participants d’un régime 401(k) de Greensboro en Caroline du Nord viennent d’intenter une poursuite collective contre des promoteurs de leur régime.
Ils estiment que ces derniers n’ont pas réussi à surveiller les frais – qu’ils jugent excessifs -, du pourvoyeur de services administratifs et de la firme de courtage gérant ce régime de 20 000 personnes (http://tinyurl.com/p9crmg3).
C’est ce que craignent beaucoup d’entreprises.
En cas de réforme de la réglementation, les promoteurs devront investir davantage d’argent et de ressources dans la gouvernance. Craignant les poursuites, certaines entreprises pourraient abolir leurs régimes, comme l’envisage une PME sur trois, selon le sondage de la United States Hispanic Chamber of Commerce mentionné plus haut.
Il est également possible que la réglementation proposée donne des arguments à ceux qui pensent que les gestionnaires de régimes de retraite doivent être tenus juridiquement responsables de leurs choix.
Par exemple, Fidelity, Vanguard et John Hancock Investments, qui gèrent des régimes de retraite collectifs, pourraient devenir la cible de poursuites si des participants s’estimaient lésés par les options d’investissements, limitées aux fonds d’une de ces sociétés.
C’est ce que laissent entrevoir de récents développements dans le domaine du droit applicable aux régimes de retraite (http://tinyurl.com/q2jq9ez).
Appel aux conseillers
Cela signifie-t-il que la règle du devoir fiduciaire ne passera jamais la rampe ? Rien n’est moins sûr.
En effet, une recherche récente publiée par John Hancock Investments, une filiale de la Financière Manuvie, donne un avis très différent de ce que les autres membres de l’industrie ont affirmé jusqu’à présent.
Les auteurs de la recherche voient de nouvelles occasions d’affaires dans les réformes proposées par le ministère du Travail. Du même souffle, ils incitent les conseillers à se préparer à l’expansion, inéluctable à leurs yeux, du devoir fiduciaire.
«Le temps est venu de réfléchir aux moyens d’être efficaces dans ce nouvel environnement», concluent-ils (http://tinyurl.com/o5wqcye).
Chose certaine, lorsque l’enjeu du devoir fiduciaire commence à s’imposer dans les médias et qu’une fonctionnaire de 67 ans devient «la dame à la main de fer contre Wall Street», c’est signe que quelque chose de très important pour l’avenir de la profession est en train de se produire. Et qu’on doit suivre le tout de très près.