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Le Bitcoin, une autre bulle ou un mouvement irréversible?

Dans le secteur financier, l’année 2017 a notamment été marquée par la croissance vertigineuse du Bitcoin, cette cryptomonnaie dont le cours d’échange est passé de moins de $1,000 US à près de $20,000 US un peu avant  Noël. Il s’agit d’une hausse de valeur d’environ 1600 % sur une seule année, et ce, malgré de nombreuses fluctuations (1).
Aux fins de rappel, le Bitcoin est « une monnaie virtuelle décentralisée, dont l’existence et la valeur ne reposent pas sur un État ou une banque centrale, mais sur un système informatisé complexe et sur les transactions dont elle fait l’objet ». (2) On parle donc d’un système de paiement électronique sans intermédiaire.

Il est également utile de rappeler que même si on entend maintenant parler du Bitcoin, le concept de cryptomonnaie demeure en lui-même encore assez opaque. On peut, malgré tout, recenser 1,324 cryptomonnaies, et chacune d’elle a des caractéristiques différentes. (3) D’autres parlent plutôt de 1,360 cryptomonnaies, en rappelant que le nom apparaît pour la première fois « le 31 octobre 2008, un mois et demi après la faillite de Lehman Brothers qui déclenchera une crise financière mondiale »  (4)
On se trouve donc devant un produit financier complexe, spéculatif et extrêmement volatil (sa valeur a fluctué à la baisse jusqu’à près de 50% à la mi-janvier) (5) et pourtant sa popularité ne cesse de croître.

Comment apprécier la  situation crée par cet engouement?

Je ne suis pas la seule à avoir un réflexe de prudence avant de conclure qu’il s’agit d’un autre changement de nos modes de fonctionnement amené par la technologie des chaînes de bloc (blockchain), en dépit de son intérêt. Cette technologie a été initialement développée comme un système d’horodatage (6) et ses applications pourraient par exemple faciliter l’enregistrement des contrats ou la traçabilité alimentaire ou de fournisseurs. (7)

Pour l’instant, on est en présence d’une frénésie dont « la flambée évoque le spectre d’une bulle ». (8) On évoque aussi une « ambiance de l’an 2000… il suffisait de mettre  ‘‘.com » dans sa  raison sociale pour ameuter les investisseurs… le marché attribuait des valeurs hallucinantes  à des bineries.com. »(9)

Je fais partie de ceux qui se rappellent bien de cette période ou tout le monde se considérait comme un « crack » et se vantait de rendements deux fois supérieurs à ceux obtenus par des professionnels chevronnés du placement.

Le parallèle est assez évident quand on regarde l’emballement et surtout le fait que, encore une fois, on attribue des valeurs sans  comprendre ou connaître leurs bases. De récents propos de William White, un de ceux qui avaient prédit la crise de 2007-2008, sont à l’effet que l’explosion du Bitcoin est un indice préoccupant de crise tout autant que la valeur de 450 millions de dollars attribuée à une toile de Léonard de Vinci sans authentification. (10) Et pourtant, la capitalisation boursière actuelle serait de 572 milliards de dollars. (11)

Que des spéculateurs perdent leur mise, c’est le risque qu’ils ont pris!

Quand ce sont des petits épargnants qui sont entrainés ou qui en deviennent les victimes, c’est une autre histoire. On parle du  mystérieux Satoshi Nakamoto, l’inventeur du Bitcoin qui en détiendrait près d’un million (19,4 milliards de dollars) mais qui ne semble avoir rien dépensé. (12)

« La  question n’est pas de savoir si cette cryptomonnaie va s’écraser mais de savoir quand cela va arriver. Acheter et vendre des Bitcoins, c’est jouer avec le feu. (13)

Appels et réactions des Autorités réglementaires

Ici, comme ailleurs, les autorités réglementaires sont vigilantes face à ce phénomène. Dans un communiqué du 18 décembre 2017, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont rappelé que les produits liés aux cryptomonnaies comportent des risques même s’ils sont négociés sur une Bourse réglementée. (14).

D’autres vont plus loin, par exemple le président de UBS qui demande aux régulateurs d’intervenir parce que ce n’est pas de la monnaie véritable et qu’il y a un défaut de conception. (15)

Certains États comme le Maroc, la Corée du Sud et la Chine tentent son interdiction. (16) Le ministère des Finances de l’Inde assimile « les investissements en cryptomonnaies à un système de Ponzi qui peut aboutir à un krach soudain et prolongé ». (17)

Deux approches donc, pour une forme d’encadrement par les gouvernements et autorités bancaires (18) et financières, qui seront à suivre en 2018.

Éducation, Éducation, Éducation

Au-delà de connaître l’évolution de la technologie et ses applications possibles, la question fondamentale qui demeure face à un tel « investissement » est encore, pour chaque investisseur, de déterminer si cela lui convient, s’il comprend le risque associé et s’il est prêt à en assumer les conséquences, surtout celles qui pourraient être négatives et se solder par des pertes d’argent importantes. Qui plus est, quelles sont les protections dont cet investisseur pourrait bénéficier ?

Ce dont on parle c’est de la nouveauté, du futur qu’elle représente et des valeurs phénoménales  actuellement attribuées par le marché alors que le produit, son encadrement et ses balises face à une dérive ne sont pas définis.

Il y a une sagesse de la part de nos autorités au Canada de faire des mises en garde, mais un bon rempart pour l’épargnant individuel demeure sa propre capacité à poser et à se poser les bonnes questions, ainsi que sa capacité à vraiment évaluer si le tout lui convient. Et cette capacité, c’est par sa propre éducation qu’elle commence.

L’épargnant, même éduqué,  a aussi souvent avantage à obtenir des conseils de la part de divers professionnels, parce que spécialisés et parce que nos autorités leur ont établi un cadre de responsabilités face à leurs clients.

Un message et un réflexe importants au cœur de l’éducation c’est qu’investir, ce n’est pas participer à une loterie, même inscrite dans la modernité.

(1)La Presse, jeudi 28 décembre 2017, «Les bitcoins dans les montagnes russes ».

(2)Éditorial Finance, Ariane Krol, La Presse, vendredi 29 décembre 2017, « L’année bitcoin ».

(3)Les affaires, Stéphane Rolland, 16 décembre 2017, «  Bitcoin et marijuana : le point sur les secteurs en vogue ».

(4)Paris Match (La Presse), Édition du 31 décembre 2017 », Anne-Sophie Lechevallier et Flore Olive, « Les mineurs de fonds ».

(5)Les affaires, 17 janvier 2018, « Bitcoins : les spéculateurs quittent le navire ».

(6)Idem (4).

(7) Idem (2).

(8)Idem (3).

(9)Daniel Germain, Blogue, Les affaires 19 décembre 2017, « Pourquoi cette bulle du bitcoin est fantastique ».

(10)Conseiller.ca, 20 décembre 2017, « Les signes d’une future crise seraient réunis ».

(11) »Le top 10 des cryptomonnaies qui ont flambé en 2017 », Les affaires, 10 janvier 2018

(12)Idem  (4)

(13)Jean-Paul Gagné, Les affaires,  16 décembre 2017, « Je n’aime pas ».

(14)Communiqué, 18 décembre 2017, « Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières rappellent aux investisseurs les risques inhérents aux contrats à terme sur cryptomonnaies ».

(15)La Presse, mardi 19 décembre 2017.

(16)Idem (4).

(17)La Presse, Édition du 30 décembre 2017, « L’Inde compare le bitcoin au système de Ponzi ».

(18) «  Le bitcoin m’empêche aussi de dormir la nuit » -Discours de Stephen Poloz, gouverneur de la Banque du Canada- François Remy, Les affaires, 14 décembre 2017.