Ces véhicules proviennent du transfert de sommes anciennement détenues dans un régime de retraite. De plus, nous ne traiterons que des CRI et FRV de compétence québécoise ainsi que des REER immobilisés et FRV de compétence fédérale.

Comme nous l’avons expliqué dans des articles précédents (voir Serge LESSARD, « Votre CRI est-il prioritaire ou non prioritaire? » [2011), vol. 16, no 1 Stratège 40-42. Voir aussi Serge LESSARD, « Partie B – CRI, REER immobilisés et FRV au décès », dans Congrès 2009, Montréal, Association de planification fiscale et financière, 2010, pp. 32:43-66), au décès du titulaire de ces régimes, le conjoint a droit à ces sommes.

S’il s’agit d’un régime de compétence fédérale, la priorité existe en faveur du conjoint de fait après un an de vie commune ou, à défaut d’un conjoint remplissant ce critère, en faveur du conjoint marié.

Cependant, s’il s’agit d’un véhicule de compétence provinciale (Québec), le conjoint marié a priorité ou, à défaut d’un conjoint marié, le conjoint de fait après trois ans de vie commune (ou un an de vie commune + un enfant). Quand cette priorité existe, elle contrecarre totalement une désignation de bénéficiaire (lorsqu’une telle désignation est possible) ainsi que toute volonté contraire dans le testament.

Cette priorité est-elle bénéfique? Il n’y a pas de réponse claire à cette question car, en fait, il s’agit d’une opinion personnelle. Certains diront haut et fort qu’il faut protéger les conjoints. Ils ont raison. D’autres seront outrés qu’on brime les libertés individuelles, comme celles de tester ou de désigner des bénéficiaires.

Ils ont aussi raison. D’autres encore prétendront que leurs enfants qu’ils chérissent depuis 40 ans ont une place dans leur cœur plus grande que celle d’un conjoint de fait avec qui ils habitent depuis 1 an. Leurs sentiments ont tendance à faire le calcul suivant : 39/40 aux enfants, 1/40 au conjoint. Et, bien sûr, ils ont aussi raison.

En partant du principe que les gens ont leurs propres raisons, nous, à titre de conseiller, pouvons-nous les aider? La réponse est oui.

Il y a trois situations où la priorité de paiement en faveur du conjoint au décès ne s’applique pas :

• quand les droits dans le régime sont acquis à l’occasion d’une séparation (et aussi à l’occasion d’un décès dans le cas des régimes fédéraux);

• quand le propriétaire est marié mais séparé légalement (CRI et FRV de compétence québécoise);

• quand on s’est défait de ces types de véhicules.

1. Quand les droits dans le régime sont acquis à l’occasion d’une séparation

Le contrat de CRI (les FRV québécois et les régimes fédéraux sont au même effet) doit contenir la mention suivante prévue à l’article 29 du Règlement sur les régimes complémentaires de retraite (« R.R.C.R. ») :

« 29. […]

3° que, dans le cas où le constituant qui est un ancien participant ou un participant décède avant la conversion du solde du compte en rente, ce solde est versé à son conjoint ou, à défaut, à ses ayants cause; […]. » (Notre soulignement)

Si le propriétaire du CRI ou du FRV n’est pas un participant ou ex-participant du régime de retraite, c’est-à-dire s’il s’agit d’un ex-conjoint qui a acquis le CRI ou FRV par le partage du patrimoine familial d’un divorce antérieur (cas fréquents) ou dans le cadre d’une séparation de fait avec partage forcé par une convention de vie commune ou volontairement (cas rares) (par. 146(16) et 147.3(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »); art. 107 et 110 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite (« L.R.C.R. »)), la priorité au conjoint ne s’applique pas et le propriétaire peut désigner le bénéficiaire de son choix (toujours seulement si le produit permet une telle désignation comme c’est le cas pour une rente/fonds distinct). En l’absence de bénéficiaire, les sommes seront versées à la succession et le testament, ou en l’absence de testament les règles en dévolution successorale, en disposera.

Stratégie

Lors d’une négociation dans le cadre d’une séparation, le conjoint à qui l’on propose de se faire transférer des actifs dans un régime immobilisé en paiement de la créance du patrimoine familial ne devrait généralement pas craindre de se heurter à la priorité de

paiement au décès puisqu’elle ne s’appliquera pas. Cependant, l’immobilisation demeure, ainsi que la protection contre les créanciers.

Un bémol s’impose toutefois. Dans le cas où le conjoint serait participant au même régime de retraite que celui du CRI qu’il se voit transféré, les conséquences sont incertaines. Par exemple, Monsieur a quitté le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (« RREGOP ») et a transféré les sommes dans un CRI. Il se sépare et transfère 50 % du CRI à son ex-conjointe qui est enseignante et cotise au RREGOP.

Force est de constater qu’elle est la propriétaire/constituante du nouveau CRI et qu’elle est une participante. La priorité de paiement s’applique-t-elle sur le CRI transféré? On se posera donc la question suivante : à quel instant faut-il respecter chacun des critères de l’article? Nous n’avons malheureusement pas de réponse certaine. Cependant, il nous semble que l’intention du législateur concernant la priorité de paiement au conjoint est de protéger le conjoint au décès et non pas le « conjoint du conjoint ». Il nous apparaît donc probable (mais il ne s’agit que d’une opinion) que la situation décrite ci-dessus ne mènerait pas à une priorité de paiement en faveur d’un nouveau conjoint au décès de la conjointe enseignante.

2. Quand le propriétaire est marié mais séparé légalement (CRI et FRV de compétence québécoise)

La Loi sur les régimes complémentaires de retraite définit le conjoint comme suit :

« 85. Pour l’application de la présente sous-section, le conjoint est la personne qui, au jour considéré en vertu du deuxième alinéa:

1° est liée par un mariage ou une union civile à un participant;

2° vit maritalement avec un participant non marié ni uni civilement, qu’elle soit de sexe différent ou de même sexe, depuis au moins trois ans ou, dans les cas suivants, depuis au moins un an :

– un enfant au moins est né ou à naître de leur union;

– ils ont conjointement adopté au moins un enfant durant leur période de vie maritale;

– l’un d’eux a adopté au moins un enfant de l’autre durant cette période. […]

Séparation de corps.

Malgré le paragraphe 1° du premier alinéa, la personne qui est judiciairement séparée de corps du participant au jour où s’établit la qualité de conjoint n’a droit à aucune prestation en vertu de la présente sous-section, à moins qu’elle ne soit l’ayant cause du participant ou que celui-ci n’ait transmis l’avis prévu à l’article 89. » (Notre soulignement)

Cet article de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite s’applique aussi au CRI et au FRV en vertu des articles 16 et 27 R.R.C.R.

Si le propriétaire du CRI est marié mais judiciairement séparé de corps de son conjoint, ledit conjoint ne se qualifie plus à titre de conjoint aux fins de la priorité de paiement au conjoint au décès. Mais, puisque le propriétaire du CRI est toujours marié, personne ne peut se qualifier à titre de conjoint, même un conjoint de fait depuis trois ans, tant que ledit propriétaire ne divorce pas. Notons que la séparation de corps n’est pas la séparation de fait : il faut un jugement en séparation de corps pour être séparé de corps.

Stratégie

Une personne mariée mais détenant un jugement en séparation de corps pourrait être tentée de conserver cet état afin que la priorité de paiement ne s’applique pas malgré une union de fait de plusieurs années. Bien entendu, le fait de choisir de rester marié apporte aussi son lot de conséquences et le conjoint doit en être conscient.

Il nous semble que dès l’instant où quelqu’un n’est plus séparé de corps pour cause de divorce, une autre question intéressante doit être soulevée : à partir de quel moment les délais doivent-ils être calculés? M. A possède un CRI et il est marié mais judiciairement séparé de corps de Mme B. De plus, il vit depuis cinq ans en union de fait avec Mme C. Est-ce que Mme C se qualifie à titre de conjointe de fait dès l’instant où M. A divorce de Mme B ou seulement après une période additionnelle de vie maritale de trois ans? Autrement dit, doit-on prendre en compte dans le calcul du délai de trois ans du paragraphe 85(2) L.R.C.R., le temps de vie maritale accumulé pendant la période où M. A est encore marié? Nous n’avons pas de réponse claire à cette question. Cependant, dans le cas d’un divorce après une séparation de corps, l’article 85 L.R.C.R. in fine dit « au jour où s’établit la qualité de conjoint » (notre soulignement). Donc, si on interprète cet article, il semble que l’intention générale est que tous les critères soient respectés individuellement au moment du décès (le jour où s’établit la qualité de conjoint), c’est-à-dire constituant non marié, constituant non séparé de corps et cohabitation de trois ans. Notre opinion est donc la suivante : dès que M. A et Mme B divorcent, Mme C se qualifie immédiatement à titre de conjoint même si la période de trois ans s’est écoulée pendant que M. A était encore marié et même si cette période s’est écoulée pendant que M. A avait le statut de séparé de corps. Mais, il ne s’agit que d’une opinion.

3. Quand le propriétaire s’est défait de ces types de véhicules

3.1. Par transfert lors de la séparation
À l’inverse de la personne décrite ci-dessus qui se voyait offrir une partie d’un CRI lors d’une séparation, une personne peut chercher à se débarrasser de ses CRI en en offrant le plus possible à son ex-conjoint tout en retenant d’autres actifs non soumis à une priorité de paiement en faveur du conjoint (par exemple, REER, fonds enregistré de revenu de retraite (« FERR »), auto, maison, etc.).

Est-il possible de se défaire de plus de 50 % de ses CRI et FRV québécois dans le cadre d’une séparation? D’un point de vue fiscal, les CRI et les FRV sont des REER et des FERR. Il est donc possible d’en transférer 100 % puisque le paragraphe 146(16) L.I.R. n’impose pas de restriction à ce sujet.

D’un point de vue juridique, aucune restriction n’existe pour les régimes fédéraux. En ce qui concerne les régimes provinciaux, l’article 426 du Code civil du Québec empêche un transfert supérieur à 50 % quant aux régimes de retraite régis ou établis par une loi, mais semble ne pas concerner les CRI et FRV.

Cela signifie que pour le partage du patrimoine familial, il serait possible de transférer plus que 50 % des sommes détenues dans un CRI ou FRV. Dans le cas des conjoints de fait, c’est l’article 110 L.R.C.R. qui en traite. On peut partager les CRI et FRV à l’aide d’une convention écrite. Il faut noter que l’article 110 L.R.C.R. ne pèche pas par excès de clarté et qu’il est difficile de savoir si cette convention écrite peut permettre de céder plus que 50 % dans le cas des CRI et FRV. Puisqu’une cession au-delà de 50 % est permise dans le cadre d’un divorce, nous pensons qu’il faut interpréter l’article 110 L.R.C.R. dans le même sens afin que les conjoints de fait puissent bénéficier des mêmes droits.

Exemple 1 : Monsieur possède 100 000 $ en REER et 20 000 $ en CRI et Madame ne possède rien. En cas de partage du patrimoine familial, Monsieur pourrait devoir une somme équivalente à 60 000 $ d’argent enregistré à Madame. Si Monsieur se préoccupe fortement de l’existence de la priorité de paiement au conjoint, il pourrait choisir de donner 40 000 $ de REER et 20 000 $ de CRI plutôt que 60 000 $ de REER (bien sûr, Madame devra donner son accord).
Exemple 2 : Madame et Monsieur sont conjoints de fait et copropriétaires en deux parts égales de la résidence familiale. En cas de séparation, Madame possède un CRI de 200 000 $. Elle pourrait offrir à Monsieur une partie de son CRI en échange de la part de Monsieur dans la résidence. Le tout, sans incidence fiscale (par. 146(16), 73(1) et al. 73(1.01)b) L.I.R.). Cela aurait pour effet d’aider Madame à se défaire partiellement d’un véhicule affublé d’une priorité de paiement au décès.

3.2. Par désimmobilisation

À la suite d’une séparation (ou avant), le titulaire d’un CRI restant pourrait décider de compléter sa stratégie visant à neutraliser la priorité de paiement au conjoint au décès, advenant le fait qu’un jour une nouvelle personne pourrait se qualifier à titre de conjoint. Pour ce faire, il pourrait utiliser la désimmobilisation. Si les sommes sont désimmobilisées, la priorité de paiement au décès disparaît.

Plusieurs articles ont été écrits relativement à la désimmobilisation des CRI, FRV et REER immobilisés (Voir Daniel LAVERDIÈRE, « La désimmobilisation du CRI… et puis après? », Objectif conseiller, septembre 2003). En effet, pour diverses raisons, il peut être souhaitable ou non de mettre en place une des stratégies de désimmobilisation suivantes :

1) Convertir un CRI en FRV afin de transférer dans un REER non immobilisé l’excédent du retrait minimum (qui est de 0 $ au cours de l’année du transfert) sur le retrait maximal permis et, par la suite, convertir le solde du FRV en CRI avant la fin de l’année afin d’éviter l’obligation du retrait minimum l’année suivante. Répéter l’opération annuellement. Cette méthode pourra être utilisée jusqu’à l’année ou le rentier atteint 71 ans. Comme il n’y pas de montant minimum obligatoire à retirer dans un FRV pendant l’année du transfert, cette option permet de transférer au REER non immobilisé sans avoir à retirer ni à s’imposer sur ce minimum.

2) Convertir un CRI en FRV afin de transférer annuellement dans un REER non immobilisé l’excédent du retrait minimum et, par la suite, maintenir le solde du FRV en FRV. Le rentier sera alors soumis a un retrait obligatoire du FRV.

3) Utiliser la désimmobilisation/déblocage de 50 % (au fédéral, avec l’accord du conjoint : selon notre lecture de la loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, si un titulaire a à la fois un conjoint marié et un conjoint de fait, il faudrait obtenir l’accord des deux conjoints pour procéder au déblocage).

4) Effectuer un retrait pour cause de non-résidence (deux ans), etc.

Le présent article ne cherche pas à faire l’analyse des pour et des contre de cette stratégie.

CONCLUSION

Il est important de se rappeler que plusieurs points mentionnés ne sont malheureusement pas encore confirmés par la jurisprudence.

Conformément aux situations décrites ci-dessus, il semble qu’il s’agisse aussi de la position de la Régie des rentes du Québec (« RRQ »), obtenue à l’aide d’échanges de courriels. Nous invitons le lecteur à communiquer avec la RRQ afin de s’assurer qu’il s’agit véritablement de leur position. La RRQ est l’organisme qui surveille l’application de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite.

La prudence s’impose donc dans l’application de ces stratégies.

La neutralisation de la priorité de paiement en faveur du conjoint peut ne pas être la seule conséquence des opérations décrites précédemment. En effet, plusieurs autres éléments doivent être analysés afin de déterminer les bons choix. Il importe de se renseigner judicieusement.

EXERGUES

1. […] il nous semble que l’intention du législateur concernant la priorité de paiement au conjoint est de protéger le conjoint au décès et non pas le « conjoint du conjoint ».
2. Il faut noter que l’article 110 L.R.C.R. ne pèche pas par excès de clarté et qu’il est difficile de savoir si cette convention écrite peut permettre de céder plus que 50 % dans le cas des CRI et FRV.
* Ce texte se veut un résumé d’un article paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 18, numéro 5, du mois de décembre 2013.

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification financière et fiscale (APFF), et a été écrit par Serge Lessard.