Le conjoint de fait désigné bénéficiaire et la protection contre les créanciers
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Les contrats de rente à capital variable basés sur des unités de fonds distincts (ci-après appelés « Fonds distincts » ou « CRCVFD ») sont, comme leur nom l’indique, des contrats de rente. À ce titre, il est possible de désigner un bénéficiaire qui recevra la somme accumulée au décès.

Cet article ne vise que les fonds distincts non enregistrés. Une chronique future traitera des REER.

Un avantage notoire de ces contrats de rente est la possibilité de les protéger contre une saisie des créanciers, généralement au même titre qu’une police d’assurance de personnes, en désignant le bon bénéficiaire au décès et de la bonne façon. Voici quelques points qu’il convient d’analyser.

Protection contre les créanciers au décès

1. Par défaut, i.e. en l’absence d’une désignation de bénéficiaire, au décès le capital du contrat de rente est payable au titulaire (propriétaire) du contrat. Puisque dans la majorité des cas la vie assurée de la rente (parfois appelée le rentier ou la vie sur laquelle le risque est pris) est aussi titulaire du contrat, ce droit du titulaire d’obtenir le capital de la rente sera transmis à sa succession. La succession recevra le capital et cette somme servira potentiellement à payer ses dettes. Cependant, lorsqu’un bénéficiaire est désigné (peu importe son lien de parenté avec le titulaire), la somme est payable directement à ce bénéficiaire par la compagnie d’assurance. La somme ne fait pas partie de la succession. Donc, sauf exception, il s’agit d’une forme de protection contre les créanciers puisque cette somme ne servira pas à payer les créanciers de la succession (voir l’exception décrite dans notre article « Comment contrecarrer l’effet d’une désignation de bénéficiaire valide ». Veuillez noter que lorsqu’on nomme à titre de bénéficiaire les héritiers légaux, les ayant droits, selon le testament, la succession, etc, ou une expression similaire (art. 2456 C.c.Q.), il ne s’agit pas d’une désignation de bénéficiaire (appelons-les des « faux bénéficiaires »);généralement, dans un tel cas, la somme sera versée au titulaire du contrat ou à sa succession s’il est décédé. Ceci aura pour effet de faire perdre l’avantage ci-dessus décrit puisque la somme fera partie de l’actif de la succession. Par définition, un bénéficiaire est une personne autre que le titulaire ou la succession de ce dernier.

2456. C.c.Q. L’assurance payable à la succession ou aux ayants cause, héritiers, liquidateurs ou autres représentants légaux d’une personne, en vertu d’une stipulation employant ces expressions ou des expressions analogues, fait partie de la succession de cette personne.

Protection contre les créanciers du vivant de la vie sur laquelle le risque est pris

2. Généralement, tous les conseillers savent qu’il est possible de protéger les valeurs de rachat d’un fonds distinct contre les créanciers du vivant de la vie sur laquelle le risque est pris en désignant un bénéficiaire approprié en cas de décès.

Le cas des bénéficiaires spéciaux révocables

a. L’article 2457 C.c.Q. prévoit une protection contre les créanciers lorsque le bénéficiaire est l’ascendant (parents, grands-parents, arrière-grands-parents, etc.), le descendant (enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, etc.), le conjoint uni civilement (l’union civile n’est pas l’union de fait. L’union civile a presque toutes les caractéristiques d’un mariage sans en porter le nom.) ou le conjoint marié. Si un titulaire choisit de désigner un de ces bénéficiaires à titre irrévocable, cela n’ajoute rien au degré de protection contre les créanciers.

2457. C.c.Q. Lorsque le bénéficiaire désigné de l’assurance est l’époux ou le conjoint uni civilement, le descendant ou l’ascendant du titulaire ou de l’adhérent, les droits conférés par le contrat sont insaisissables, tant que le bénéficiaire n’a pas touché la somme assurée.

Le cas des bénéficiaires irrévocables

b. L’article 2458 C.c.Q. prévoit une protection contre les créanciers lorsque le bénéficiaire (peu importe le lien de parenté avec le titulaire) est désigné à titre irrévocable. Voir notre commentaire ci-dessus concernant les « faux » bénéficiaires. Cependant, il faut se placer dans le contexte d’un investissement. En effet, il est généralement admis qu’en présence d’un bénéficiaire irrévocable, il faudra la permission de ce dernier pour effectuer des retraits du placement. Il est très rare que cette contrainte soit acceptable dans le cadre d’un placement.

2458. C.c.Q. La stipulation d’irrévocabilité lie le titulaire de la police, même si le bénéficiaire désigné n’en a pas connaissance. Tant que la désignation à titre irrévocable subsiste, les droits conférés par le contrat au titulaire, à l’adhérent et au bénéficiaire sont insaisissables.

La problématique des conjoints de fait

Le conjoint de fait désigné à titre de bénéficiaire aura pour effet de protéger la prestation de décès contre les créanciers du titulaire au décès de la vie sur laquelle le risque est pris puisque la somme est versée au bénéficiaire et non pas à la succession.

Par contre, concernant la protection contre les créanciers du vivant de la vie sur laquelle le risque est pris, le conjoint ne se qualifie pas à titre de bénéficiaire spécial. Le fait de le désigner bénéficiaire révocable n’apportera pas de protection contre les créanciers.

De plus, toujours concernant la protection contre les créanciers du vivant, est-il pertinent de désigner le conjoint de fait à titre de bénéficiaire irrévocable? Bien sûr, la désignation à titre irrévocable crée une protection contre les créanciers. Cependant, cette situation n’est pas sans contrainte. Premièrement, la subordination de droit de retrait à la permission du bénéficiaire irrévocable n’est presque jamais acceptable du point de vue du titulaire. De plus, une séparation du couple n’annulera pas la désignation de bénéficiaire. Il faut se rappeler qu’un divorce (ou la fin de l’union civile) rend caduque (i.e. désuète et inopérante) la désignation du conjoint marié (ou du conjoint uni civilement) du titulaire, même lorsque cette désignation est irrévocable. Dans le cas des conjoints de fait, ils ne peuvent ni divorcer ni mettre fin à l’union civile puisque, par définition, ils ne sont pas mariés ni unis civilement.

Une solution pour les conjoints de fait?

Voici une solution potentielle. Disons cependant et d’entrée de jeu qu’aucune décision d’un tribunal quelconque ne la valide directement. Cependant, elle a du sens bien que son application soit à vos risques. Idéalement, vous devriez conseiller à votre client de la faire valider par son juriste préféré. Protégez-vous, on ne le dira jamais assez. Et ne donnez pas d’opinion juridique à vos clients si vous n’êtes pas avocat ou notaire!

La solution potentielle est tout de même simple.

• Étape 1 : le titulaire désigne un bénéficiaire du fonds distinct directement auprès de la compagnie d’assurance dans la proposition (nouveau fonds distinct) ou sur un formulaire de désignation de bénéficiaire (fonds distinct existant) qui sera transmis immédiatement. Le bénéficiaire doit être un bénéficiaire spécial révocable (voir ci-dessus la liste des personnes qui se qualifient à titre de bénéficiaire spécial), par exemple l’enfant du titulaire.

• Étape 2 : au moment approprié après l’étape 1, le titulaire se rend chez son notaire et rédige son testament. Le notaire devra ajouter une clause de désignation de bénéficiaire (attention, pas un legs) directement dans le testament. Le bénéficiaire désigné sera le conjoint de fait.

Quel est l’effet recherché?

• Premièrement, la désignation qui sera valide au décès et qui déterminera qui recevra la prestation de décès sera la désignation la plus récente. C’est une question de date. Ainsi, le conjoint de fait recevra la somme au décès.

• Deuxièmement, la désignation qui aura un effet relativement à la protection contre les créanciers est celle faite directement auprès de la compagnie d’assurance. Dans notre exemple, l’enfant du titulaire ayant été désigné comme bénéficiaire sur le contrat, le contrat pourrait possiblement bénéficier de la protection contre les créanciers.

Évidemment, cette solution potentielle nécessite les efforts combinés du conseiller en sécurité financière et du notaire.
Personnellement j’ai bien hâte de voir cette solution testée par les tribunaux.

Veuillez noter que plusieurs exceptions peuvent s’appliquer au contenu de cet article, qu’il vous est fourni à titre informatif et qu’il ne s’agit pas d’une opinion juridique. Les clients et les conseillers doivent rencontrer leur propre conseiller juridique pour vérifier l’applicabilité ou non de ces informations à leur situation personnelle.