Une famille avec un père, une mère et un enfant qui regarde une conseillère qui leur explique des papiers.
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La norme réglementaire du « meilleur intérêt » n’établit pas une  de common law.

Dans l’affaire ­Boal (1), la demanderesse a déposé une demande de certification d’une action collective contre des représentants d’un courtier en fonds communs de placement, ­International  Capital Management ­Inc. (ICM), membre de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM) (maintenant l’Organisme canadien de réglementation des investissements – ­OCRI), à la suite de pertes liées à un investissement de billets à ordre. Elle alléguait que les représentants du courtier, membres de ­FP ­Canada (Financial ­Planning ­Standards ­Council – ­FPSC), n’avaient pas respecté leurs obligations fiduciaires. La ­Cour supérieure de l’Ontario a refusé d’accorder la certification, estimant que les allégations ne permettaient pas d’invoquer une obligation fiduciaire. En appel, la ­Cour divisionnaire de l’Ontario a confirmé la décision de première instance, précisant qu’une norme réglementaire n’établit pas à elle seule une obligation fiduciaire. La ­Cour a aussi précisé que l’obligation fiduciaire s’évalue au « cas par cas » et ne peut donc pas donner lieu à une action collective.

L’obligation fiduciaire et sa raison d’être

Dans une relation fiduciaire, un conseiller en services financiers se voit confier un pouvoir discrétionnaire lui permettant de prendre des décisions qui peuvent nuire aux intérêts juridiques et financiers de son client (2). Cela étant, le client accorde une grande confiance à son conseiller et est alors dans une position vulnérable. Ainsi, pour protéger le client, certaines circonstances nécessitent l’imposition d’obligations fiduciaires (3).

Une norme réglementaire n’établit pas à elle seule une obligation fiduciaire

La ­Cour supérieure de l’Ontario réitère que, dans la détermination d’une relation fiduciaire entre un conseiller en services financiers et un client, il faut tenir compte des cinq facteurs interdépendants suivants :

a) ­La vulnérabilité du client, notamment l’âge, l’absence de connaissance ou de compétence en matière d’investissement ;

b) ­Le degré de confiance que le client accorde au conseiller en services financiers et à quel point ce dernier accepte cette confiance ;

c) L’historique de fiabilité, notamment si le client se fie depuis longtemps au jugement du conseiller et à ses conseils ;

d) ­Le pouvoir discrétionnaire du conseiller en services financiers sur le compte du client ; et

e) Les normes professionnelles ou codes de conduite comme outils pour établir les devoirs du conseiller et la norme à laquelle il est tenu (4).

Après l’analyse des cinq facteurs, la cour peut conclure à l’existence d’une relation fiduciaire. Il est à noter qu’on ne peut pas tenir compte d’un seul facteur pour conclure à l’existence d’une relation fiduciaire (5).

Dans ­Boal, la demanderesse avançait que les règlements établis par l’ACFM ainsi que le code d’éthique de ­FP Canada pouvaient constituer à eux seuls la source d’une relation fiduciaire ad hoc (6). La ­Cour supérieure de l’Ontario a rejeté cet argument en énonçant que bien que ces documents soient utiles à l’analyse, ils ne peuvent pas à eux seuls constituer toute l’analyse (7). En d’autres termes, on ne peut pas supplanter une analyse à plusieurs facteurs en ne tenant compte que d’un seul facteur.

L’obligation fiduciaire s’évalue au « cas par cas »

Pour établir l’existence d’une relation fiduciaire entre un conseiller en services financiers et son client, les tribunaux sont tenus de réaliser une évaluation fondée sur les critères précédemment mentionnés, et ce, de manière individuelle pour chaque client. Du fait que cette relation fiduciaire est fortement tributaire de circonstances bien précises, une telle réclamation ne peut donner lieu à une action collective. Il faut noter que chaque client entretient une relation unique avec son conseiller, en fonction de laquelle il est possible de déterminer si une obligation fiduciaire existe ou pas.

Les conclusions de la cour

En conclusion, la cour estime que le critère des « meilleurs intérêts du client » établi par les normes professionnelles ne crée pas en lui seul une obligation fiduciaire pour l’ensemble des clients d’un conseiller. L’existence ou non d’une obligation fiduciaire, dans le cadre d’une relation conseiller-client, dépend des faits de chaque cas, compte tenu de tous les facteurs cités ­ci-dessus (8).

* ­Avocate émérite, associée chez ­McCarthy ­Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., avec la collaboration de ­Maria ­Carla ­Chiara et ­Vincent ­Leduc, étudiants en droit chez ­McCarthy ­Tétrault.

Le présent article ne constitue pas un avis juridique.

1. Boal c. International Capital Management
Inc., 2022 ONSC 1280 (Boal).

2. Id., par. 69.

3. Id., par. 70.

4. Id., par. 64, citant le par. 40 de Hunt c. TD
Securities Inc. (2003), 175 O.A.C. 19 (C.A.).

5. Id., par. 63 in fine.

6. Id., par. 63.

7. Id., par. 70.

8. Id., par. 67.