Une femme remplit des papiers fiscaux.
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Le 17 mai 2019, le ministère des Finances du Québec a annoncé, dans son dernier Bulletin d’information 2019-5, des mesures fiscales visant les opérations de prête-nom et de trompe-l’œil. L’objectif de ces mesures est de déterminer les conséquences fiscales pour les bénéficiaires ultimes des biens visés par de telles opérations.

Le Projet de loi n° 42, visant les mesures relatives à l’obligation de divulgation d’un contrat de prête-nom, a été sanctionné le 24 septembre 2020. Désormais, les contrats de prête-nom (qu’ils soient sous forme orale ou écrite), sous réserve de quelques exceptions, doivent être divulgués à Revenu Québec dans le délai prescrit.

Notre texte ne comprend pas tous les éléments techniques entourant la divulgation des contrats de prête-nom, mais se veut un questionnement sur l’obligation additionnelle de les divulguer à d’autres registres gouvernementaux et sur certains éléments connexes lors de l’application de ce nouveau régime.

Pour revoir les critères techniques des contrats de prête-nom et les changements pour les entreprises constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, vous pouvez consulter l’excellent texte de Me Thierry L. Martel dans la revue Stratège publiée à l’automne 2019 (Volume 24 – Numéro 3).

Le but fiscal de la divulgation des contrats de prête-nom est de s’assurer que les revenus sont imposés comme tels dans les mains du bénéficiaire ultime du bien. Or, le gouvernement du Québec se propose d’ajuster certains registres pour que ceux-ci permettent l’identification des bénéficiaires ultimes. Comme la divulgation des contrats de prête-nom permet déjà à Revenu Québec d’obtenir cette information aux fins fiscales, il y a lieu de se demander si ces ajustements aux registres ne seront pas superflus. En effet, le dilemme est de pouvoir conserver le secret de ces contrats aux yeux du public tout en respectant leur divulgation fiscale à Revenu Québec. Le fait de les rendre publics diminuerait l’utilisation de ce type de contrat, même s’il est légal. Cela pourrait entraîner plutôt une non-divulgation des contrats de prête-nom dans ces registres.

Analyse du dilemme associé aux changements proposés à certains registres au Québec

Le Registraire des entreprises du Québec (« REQ »)

Depuis 1994, toute entreprise faisant affaire au Québec doit s’inscrire auprès du REQ. Le rôle principal du REQ est de permettre l’identification des actionnaires, des administrateurs et des associés.

Le Québec propose, selon son dernier document de consultation Transparence corporative d’octobre 2019 (« Document de consultation »), d’obliger les entreprises à déclarer, comme elles le font au fédéral en vertu du Projet de loi C-86 adopté en décembre 2018 et entré en vigueur le 13 juin 2019, l’identité de tout individu qui est un « bénéficiaire ultime » d’actions dans une entreprise.

Lorsqu’un particulier actionnaire a recours à un contrat de prête-nom pour faire détenir par une autre personne ses actions dans une société, ce contrat de prête-nom est parfaitement légal selon les articles 1451 et 1452 du Code civil du Québec. Le contrat de prête-nom, toutefois, ne doit pas enfreindre la loi ni contrevenir à l’ordre public.

Selon le Projet de loi n° 42, cet actionnaire doit déjà divulguer, aux fins fiscales, son contrat de prête-nom à Revenu Québec. Le but de la divulgation du contrat de prête-nom est de s’assurer que le bénéficiaire ultime (mandant) des actions d’une entreprise déclare correctement ses revenus. Il faudra veiller à ce que la position fiscale du mandataire reflète correctement celle du mandant.

Le Document de consultation propose que dorénavant, l’actionnaire dévoile au REQ sa détention ultime des actions de l’entreprise. Par contre, le ministère des Finances du Québec n’a pas encore précisé sa position de rendre publique ou non l’information obtenue sur les contrats de prête-nom reflétés au REQ.

L’obligation de dévoiler au REQ l’identité des bénéficiaires ultimes des actions apporterait-elle, au niveau fiscal, quelque chose de plus au gouvernement, vu que Revenu Québec aura déjà en main les informations fiscales pertinentes sur cet actionnaire? L’objectif juridique du contrat de prête-nom serait-il maintenu?

Registre foncier du Québec (« RFQ »)

Le 1er octobre 2020, les règlements du RFQ ont été modifiés afin d’obtenir, lors d’une transaction immobilière, des informations additionnelles sur le nouveau propriétaire, dont :

  • sa citoyenneté et son intention d’occuper la propriété comme résidence personnelle;
  • si c’est une personne morale, le lieu où elle a été constituée et si elle réside au Canada; et
  • pour une fiducie ou une société de personnes, l’endroit où elle a été créée.

Le gouvernement du Québec examine la possibilité pour le RFQ d’obtenir les informations pertinentes sur le « bénéficiaire ultime » des biens immobiliers.

Ici encore, les parties prenantes à un contrat de prête-nom auront déjà déclaré, aux fins fiscales, leur contrat de prête-nom pour être en règle avec Revenu Québec. L’obligation proposée de dévoiler au RFQ l’identité des bénéficiaires ultimes du bien immeuble apporterait-elle, au niveau fiscal, quelque chose de plus au gouvernement? L’objectif juridique du contrat de prête-nom serait-il maintenu?

Bien-fondé d’un contrat de prête-nom

Lors de la préparation d’un contrat de prête-nom, les parties devraient s’assurer que le document est suffisamment détaillé et qu’il respecte leurs intentions. Certains problèmes peuvent survenir et avoir pour les parties des implications fiscales et financières néfastes. En effet, considérons les problèmes potentiels suivants :

  • Décès du mandant ou du mandataire. Qu’arrive-t-il au bien détenu sous prête-nom? De quelle façon le propriétaire ultime pourra-t-il récupérer son bien? Des problèmes pourraient survenir entre les héritiers des deux parties.
  • Bris dans l’entente. L’une des parties peut ne plus respecter ou ne plus vouloir respecter les conditions du contrat. Comment récupérer le bien?
  • L’une ou l’autre des parties peut se faire cotiser pour des raisons autres que celles du contrat. Cela peut amener des implications financières qui pourraient mettre en péril le bien assujetti au contrat.
  • Dénonciation par une tierce partie. L’ex-conjoint, l’ex-ami ou un ex-employé peut dénoncer le contrat de prête-nom. Toute dénonciation est examinée par les gouvernements.
  • Maladie grave de l’une ou l’autre des parties. L’administration peut être retardée ou le mandat d’inaptitude de l’un ou de l’autre peut s’appliquer.
  • Faillite de l’une ou de l’autre des parties. Que fera le syndic avec le bien?

Considérations pratiques associées à l’application des nouvelles mesures visant la divulgation d’un contrat de prête-nom

Exception pour contrat conclu à la demande d’une institution financière

Lors de l’analyse de l’admissibilité à l’exception prévue au Formulaire TP-1079.PN, plusieurs professionnels, dans le cadre de transactions immobilières, se penchent, pour des raisons pratiques, sur la mention « à la demande d’une institution financière ».

Lors de la table ronde de Revenu Québec de 2019, qui a eu lieu dans le cadre de la 71e Conférence annuelle de la Fondation canadienne de fiscalité, et de la table ronde provinciale du Congrès 2020 de l’APFF (collectivement « Table ronde »), Revenu Québec a précisé que l’exception de dévoiler un contrat de prête-nom conclu à la demande d’une institution financière vise à soustraire du nouveau régime la situation du parent qui se porte en apparence coacquéreur de la résidence de son enfant, uniquement afin que ce dernier puisse obtenir du financement auprès d’une banque, à condition que le parent agisse à titre de coemprunteur d’au plus 50 % de la juste valeur marchande (« JVM ») de l’immeuble.

Selon les réponses que nous avons récemment obtenues auprès du service juridique de différentes institutions financières, il semble que ces dernières ne demandent jamais à leurs clients de signer un contrat de prête-nom. Aux fins du financement, les institutions financières forcent plutôt tous les cosignataires à figurer sur les titres et n’encouragent pas la pratique d’un contrat de prête-nom qui pourrait rendre le prêteur plus à risque.

Dans la situation citée par la Table ronde, lorsque le contrat de prête-nom est conclu volontairement entre l’enfant (le mandant) et son parent (le mandataire), mais que l’institution financière n’est pas au courant de l’existence de ce contrat, l’enfant et son parent peuvent-ils se prévaloir de l’exception prévue dans le Formulaire TP-1079.PN si les autres conditions sont remplies? C’est l’une des questions pertinentes qui ont été soulevées par les notaires lors de la conférence que nous avons présentée dans le cadre du Cours de perfectionnement du notariat du 25 octobre 2019. La question a été également soumise à Revenu Québec pour analyse.

Correction des erreurs du passé et respect de la nouvelle divulgation d’un contrat de prête-nom

Il n’est pas étonnant de découvrir des erreurs ou omissions, que celles-ci soient volontaires ou non, dans le cas où les parties ont recours à un contrat de prête-nom. Cela dit, les conséquences fiscales pour le bénéficiaire ultime (mandant) n’ont peut-être pas été appliquées adéquatement dans le passé.

Lors d’une erreur ou d’une omission involontaire, la ou les parties en faute peuvent se prévaloir du programme des divulgations volontaires (« PDV »), selon des modalités énoncées au Bulletin d’interprétation ADM.4/ R8, afin de régulariser leur dossier fiscal.

Devant un stratagème impliquant un contrat de prête-nom dont l’objectif est de cacher les faits réels aux autorités fiscales (similaire à un trompe-l’œil), la ou les parties en faute seraient-elles admises au PDV si elles désirent corriger leur omission avant que toute mesure de contrôle soit prise par Revenu Québec?

Dans l’éventualité où le stratagème impliquant un trompe-l’œil est admissible au PDV, la nouvelle pénalité relative au trompe-l’œil serait-elle appliquée au terme d’une demande de divulgation acceptée par Revenu Québec?

Ces questions ont été soumises à Revenu Québec. Un de ses comités se penchera sur ces questions et des précisions additionnelles seront communiquées, le cas échéant.

Allègement possible en cas de défaut de divulgation d’un contrat de prête-nom?

Lors de la Table ronde de 2019, Revenu Québec a précisé que l’un des objectifs de l’obligation de divulgation est l’obtention rapide du portrait juridique réel et actuel des relations entre les parties d’un contrat de prête-nom. En pratique, il est parfois difficile, pour les professionnels ou pour les parties, de s’assurer que la divulgation se fait dans le délai prescrit.

Est-ce que Revenu Québec serait prêt à accorder un allègement administratif si les parties à un contrat de prête-nom ne sont pas en mesure de divulguer le contrat dans le délai prescrit? La question a été soumise à Revenu Québec pour analyse.

Dossiers de divulgation volontaire en cours impliquant un contrat de prête-nom

Le Formulaire TP-1079.PN de divulgation d’un contrat de prête-nom doit être transmis à Revenu Québec sous pli séparé par poste recommandée. Est-ce que les mêmes modalités doivent être suivies pour les dossiers impliquant un contrat de prête-nom qui ont été présentés au PDV de Revenu Québec avant la sanction du Projet de loi n° 42?

Selon les informations obtenues durant une consultation avec le service approprié de Revenu Québec, il est recommandé de faire parvenir au PDV le Formulaire TP-1079.PN dans le délai prescrit afin que ce dernier transmette ce formulaire avec les notes adéquates au bon service pour la ou les parties ayant un dossier en cours avec le PDV de Revenu Québec. Cette approche sert justement à minimiser le risque, pour un contribuable ayant un dossier en cours auprès du PDV, de faire simultanément l’objet d’un suivi par un autre service de Revenu Québec lors du traitement du Formulaire TP-1079.PN.

Cependant, pour les dossiers terminés auprès du PDV, le Formulaire TP-1079.PN doit être envoyé selon les modalités prévues.

Responsabilité des professionnels

Depuis la publication du Bulletin d’information du 17 mai 2019, les professionnels se posent la même question sur l’étendue des démarches qu’ils devraient effectuer pour retrouver les contrats de prête-nom conclus il y a longtemps par leurs clients.

Revenu Québec a répondu à cette question en soulignant que les professionnels devraient demander à leurs clients s’ils ont conclu avant le 17 mai 2019 des contrats de prête-nom qui continuent d’avoir un effet en matière d’impôt sur le revenu le 17 mai 2019 ou après cette date.

À titre d’indicatif, en prévision de la conférence précitée que nous avons présentée aux notaires, nous avons obtenu quelques statistiques intéressantes auprès de la Chambre des notaires du Québec. Selon son fonds d’assurance de la responsabilité professionnelle, il n’y avait aucun dossier de réclamation en lien avec les opérations de prête-nom ou de trompe-l’œil jusqu’à octobre 2019.

Afin de minimiser le risque d’être poursuivi par les clients, il est recommandé de bien informer vos clients de ces nouvelles obligations en vertu du régime fiscal québécois le plus rapidement possible. De plus, lorsque vos clients désirent un contrat de prête-nom lors d’une transaction ou si vous fournissez des conseils sur un tel contrat, il vous faut considérer le bien-fondé du contrat, poser toutes les questions nécessaires et pertinentes pour bien saisir l’intention réelle des parties et comprendre la réalité juridique et fiscale s’appliquant à la transaction.

Quant à la nouvelle pénalité visant un conseiller ou un promoteur impliqué dans un contexte de trompe-l’œil, tel qu’il est précisé à la Table ronde de 2019, il incombera à Revenu Québec d’exercer diligemment sa discrétion dans le cadre de l’application de cette pénalité. Revenu Québec devrait démontrer une quelconque intention ou connaissance quant au trompe-l’œil invoqué dans une telle opération. La réponse à la question 2.6 de la Table ronde de 2019 contient les éléments essentiels à ce sujet.

Dans le même ordre d’idée, nous aimerions souligner que lorsqu’un professionnel tente de limiter contractuellement sa responsabilité à l’égard de la pénalité relative au trompe-l’œil, cela ne modifie en rien son assujettissement au nouveau régime. Nous avons obtenu cette clarification en prévision de notre conférence précitée.

Derniers commentaires

La divulgation, aux fins fiscales, des contrats de prête-nom est un pas dans la bonne direction par Revenu Québec pour connaître l’identité des bénéficiaires ultimes qui se conforment aux règles de l’impôt.

Par contre, il est peut-être utopique de penser que les parties à un contrat de prête-nom déclareront, aux fins fiscales, leur identité réelle si la divulgation de leur contrat de prête-nom aux fins du REQ et du RFQ entraîne la publication de leur identité. Par exemple, les bénéficiaires ultimes ne veulent pas se faire connaître aux yeux de leurs concurrents ou de personnes avec qui ils auraient un conflit.

Un deuxième pas dans la bonne direction serait peut-être de permettre aux personnes qui sont parties à un trompe-l’œil de pouvoir effectuer une divulgation volontaire de leur impôt passé pour corriger les années précédentes et pour régulariser leur situation fiscale. Le fait que le gouvernement ait restreint l’accès au PDV empêche la divulgation spontanée des parties à un trompe-l’œil.

Par Jiamin Zhang, LL.M. fisc., Associée, Ouimet Zhang inc., jiamin.zhang@ozfiscalite.ca et

Serge-Hugues Ouimet, CPA, CA, Associé, Ouimet Zhang inc., sh.ouimet@ozfiscalite.ca

Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, (Hiver 2021), vol. 25, no 4.