Tempête en mer face à un homme d'affaire
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Il existe tout un éventail de variables qui peuvent s’abattre sur une entreprise et la faire sombrer dans la détresse financière. Si on organisait ces divers facteurs en forme de pyramide, on retrouverait à la base des éléments d’ordre macroéconomique, comme le cycle économique, la croissance nationale/mondiale, l’inflation, les politiques monétaires des banques centrales et le contexte politique – autant de réalités qui ne sont en fait pas du ressort de l’entreprise. En poursuivant notre ascension le long de notre pyramide, on atteindrait les risques propres au secteur d’activité ou à l’entreprise, notamment les décisions à l’égard de la répartition du capital, comme le rendement des actionnaires, les acquisitions et le recours à l’endettement.

Les avantages de l’endettement, ou de l’effet de levier, sont nombreux : on peut s’en servir pour réduire le revenu imposable en déduisant les charges d’impôts sur les intérêts, pour créer un bouclier fiscal et pour amplifier les rendements si le coût du capital est inférieur au potentiel de rendement pouvant être généré. Il y a toutefois un hic puisque si le vent change de côté ou que la marée se retire, la probabilité de se retrouver en situation de détresse financière s’accroît rapidement. Les programmes de rémunération des cadres principaux encouragent par ailleurs l’endettement puisqu’il offre le potentiel de se prévaloir de gains asymétriques pour la surperformance de l’entreprise. Cette possibilité procure à certains cadres une raison fort convaincante de pousser l’effet de levier au-delà de ce que permet la structure de capital optimale de l’entreprise.

Nous avons été témoins de cette situation pendant la pandémie avec le secteur du transport aérien : celui-ci a été frappé de plein fouet par un événement exogène qui a fait fondre ses recettes à zéro. Au cours des années qui ont précédé la pandémie, ce secteur avait tiré parti, après des décennies de consolidation, d’une amélioration de son pouvoir de fixation des prix, de la production de nouveaux revenus accessoires (frais pour bagages, choix des sièges) et de la diminution du prix du carburant, ce qui a permis aux transporteurs de faire croître leurs flux de trésorerie dans les milliards de dollars. À la place de mettre ces liquidités à l’abri pour les mauvais jours, les transporteurs aériens ont restitué des milliards à leurs actionnaires et ont accru leurs dettes afin d’amplifier les rendements. Lorsque la pandémie a sévi, ils n’étaient pas en mesure d’encaisser cette énorme perte de revenus et l’amoncèlement des dépenses – ils ont donc dû être rescapés pour assurer leur survie.

Les entreprises qui doivent composer avec un trio de risques – les risques de marché, les risques opérationnels et les risques stratégiques – ont une marge de manœuvre plutôt étroite pour endosser d’autres risques financiers comme celui de l’endettement. Le cycle de la détresse typique passe d’une défaillance au stress (échec, insolvabilité et défaut), puis à la faillite où il subsiste une lueur d’espoir qu’une nouvelle entreprise renaisse de ses cendres. Ce processus est souvent graduel, puis très soudain. Pour citer le roman Le Soleil se lève aussi d’Ernest Hemingway :

« Comment avez-vous fait faillite? »

« De deux façons, a répondu Mike. Graduellement, puis soudainement. »

Au cours de la phase graduelle, les investisseurs potentiels peuvent mettre au jour un nombre important d’indices sur le bilan de santé actuel et futur de l’entreprise. À cet égard, plusieurs outils comptables et boursiers peuvent servir à repérer les situations de détresse. Sur le plan comptable, il est possible d’examiner les états financiers annuels et trimestriels à l’aide d’outils qui évaluent l’entreprise en fonction de variables comme la liquidité, la rentabilité et la solvabilité. Cette approche a l’avantage de produire des données facilement accessibles et comparables.

Les méthodes axées sur le marché ont pour leur part recours aux données boursières et les modèles sont typiquement mis à jour quotidiennement, ce qui signifie que, contrairement à l’analyse des états financiers, elles ne comportent aucun effet de décalage. Le cours boursier contient en fait beaucoup de renseignements qui peuvent faire la lumière sur les perspectives d’une entreprise. Bon nombre des données de marché rendent compte de la volatilité des actions, des obligations, des options et des swaps d’une entreprise.

Ainsi, au moyen des deux modèles, les investisseurs peuvent profiter d’une analyse plus exhaustive pour détecter les signes avant-coureurs d’une éventuelle détresse. Dans le contexte actuel caractérisé par des taux d’intérêt élevés, l’incertitude sur les marchés et les perturbations technologiques, les entreprises peuvent rapidement commencer à battre de l’aile. Les investisseurs pourront donc s’éviter bien des malheurs en apprenant à bien connaître les facteurs qui mènent à la détresse et à reconnaître les premiers signaux d’alerte.