En plus de soutenir ces professionnels, qui ont parfois une éducation incomplète en matière de finance, dans leurs enjeux fiscaux internationaux, leur représentant doit gérer les sollicitations d’investissement qu’ils reçoivent en raison de la médiatisation de leur revenu.
«L’évaluation du risque, tant sur le plan de la répartition d’actif que sur celui de la longévité des carrières, est au coeur des décisions de placement du gestionnaire de portefeuille qui conseille des athlètes professionnels», note Christian Daigle, agent certifié auprès de l’Association des joueurs de la Ligue nationale de hockey (AJLNH) et partenaire de la firme Momentum hockey.
Peter Pomponio, vice-président de Gestion de capital Assante, représentant et propriétaire de la succursale Assante de l’arrondissement Saint-Laurent, qui compte plusieurs athlètes dans sa clientèle, est du même avis.
Il estime que la portion de la carrière durant laquelle un athlète recevra une rémunération significative est de cinq à six ans en moyenne, tous sports confondus. En contrepartie, «leur retraite pourrait durer 50 ans, et beaucoup de joueurs n’ont aucune idée de ce qu’ils feront alors».
Les athlètes doivent donc commencer à épargner rapidement s’ils veulent éviter d’avoir à se préoccuper de leur revenu une fois à la retraite. «L’idéal serait d’établir à 21 ans un plan valable pour 60 ans et de s’y tenir rigoureusement», affirme Peter Pomponio.
De la discipline avant tout
D’après une étude publiée par le magazine Sports Illustrated en mars 2009, 78 % des joueurs de la National Football League (NFL) faisaient faillite ou connaissaient des difficultés financières deux ans après leur départ à la retraite. Par ailleurs, 60 % des joueurs de la National Basketball Association (NBA) n’avaient plus d’argent cinq ans après leur départ à la retraite.
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Pour de nombreux athlètes, il s’avère difficile d’établir une discipline aussi rigoureuse pour la gestion de leur argent que dans la pratique de leur sport, avance Peter Pomponio.
«À 20 ans, lorsqu’on gagne des millions de dollars, un contrôle doit être mis en place et le conseiller à un travail important à faire de ce côté-là», estime-t-il.
«Compte tenu de la brièveté de sa carrière et de ses besoins futurs, il est important de dire à un joueur qui gagne 5 M$ par an qu’il devrait limiter ses dépenses à 500 000 $, ou qu’il devrait payer sa maison 750 000 $ plutôt que 2 M$», illustre Peter Pomponio.
Le client doit comprendre rapidement les exigences à satisfaire pour lui permettre d’assurer sa retraite, dit An-Lap Vo-Dignard, conseiller en placement au Groupe VPP, associé à la Financière Banque Nationale, qui compte de nombreux athlètes parmi sa clientèle.
«Le réveil est brutal, et survient lorsqu’on étudie leur train de vie. On compare ce qu’ils gagnent et ce qu’ils dépensent et on fait une projection à long terme, disons jusqu’à 90 ans. Ils se rendent compte alors qu’ils n’auront pas suffisamment d’argent pour combler leurs besoins à long terme s’ils continuent à dépenser au même rythme», remarque An-Lap Vo-Dignard.
Selon Peter Pomponio, l’athlète ne devrait pas dépenser plus de 25 % par an de la valeur de son contrat.
«Selon nos calculs, s’il respecte ce pourcentage et qu’il récolte un minimum de revenus après la fin de sa carrière, l’athlète pourra maintenir son train de vie une fois à la retraite, assure Peter Pomponio. Par contre, il en sera incapable s’il dépense 2 M$ par an. Subir une baisse de sa qualité de vie, personne n’aime ça.»
En conséquence, le conseiller doit bien connaître la situation de son client, ainsi que ses attentes à court et à plus long terme, dit Peter Pomponio. Il utilise un questionnaire d’une trentaine de pages pour y parvenir.
Planification fiscale nécessaire
Pour les joueurs qu’il représente, Christian Daigle préconise une approche basée sur la gestion quotidienne des liquidités et sur la gestion de l’actif à plus long terme. L’objectif est d’«assurer une transition douce entre la retraite comme joueur actif et le début des prestations du régime de pension de la LNH pour les athlètes qui y auront droit.»
L’entente collective la plus récente signée en 2013 entre la Ligue nationale de hockey (LNH) et l’AJLNH prévoit un régime de retraite à prestations déterminées (PD) pour l’ensemble des joueurs. Le régime PD est toutefois enregistré aux États-Unis. Les athlètes canadiens peuvent donc tirer profit de plafonds de cotisation plus élevés que ceux prévus par la réglementation canadienne, à condition de bénéficier d’une planification fiscale adéquate.
«Nos joueurs sont encadrés par un fiscaliste canadien spécialisé en impôt américain, précise Christian Daigle. Le fait que le gestionnaire de portefeuille que nous utilisons puisse faire affaire des deux côtés de la frontière rassure beaucoup nos joueurs, qui pourront travailler avec cette personne avant, pendant et bien après la fin de leur carrière.»
Peter Pomponio souligne que la mise en place d’une convention de retraite (CR) est une stratégie assez fréquente chez les athlètes à revenu élevé. La CR est un genre de régime de retraite non enregistré qui permet de différer les revenus dans le temps. L’argent qui y a été injecté est habituellement récupéré au moment où l’impôt à payer est le moins élevé.
Le pays de résidence d’un athlète au moment de la retraite doit également être considéré tôt pendant la carrière et on doit en tenir compte au moment de la planification fiscale, en raison de l’incidence que ce choix aura sur les impôts à payer, remarque Peter Pomponio. Il s’agit d’un enjeu important pour les joueurs étrangers résidant au Canada et pour les joueurs canadiens susceptibles d’effectuer des déplacements transfrontaliers au gré d’échanges entre équipes canadiennes et américaines.
Au nombre des stratégies qui visent à réduire le fardeau fiscal, Peter Pomponio cite la création d’une société par actions dans le cas d’un athlète qui obtient beaucoup de contrats de commandites, et d’une fiducie familiale dans le cas d’un joueur marié ou qui a des enfants à charge.
Pour An-Lap Vo-Dignard, le conseiller doit également savoir si d’autres experts s’occupent du dossier, par exemple un agent ou un comptable, et le cas échéant, s’assurer de ne pas donner des conseils contradictoires à son client.
«Les besoins des athlètes sont souvent très variés. Il peut s’agir de questions fiscales, mais aussi de questions portant sur l’assurance», précise An-Lap Vo-Dignard.
Certains assureurs se spécialisent dans la couverture offerte aux athlètes professionnels. C’est le cas de PCI (Private Client Insurance), dit An-Lap Vo-Dignard.
Les couvertures proposées aux athlètes sont variées et vont au-delà de l’assurance vie et de l’assurance invalidité, qui les protègent lors d’une fin de carrière causée par une blessure ou une maladie. Il existe notamment des protections contre les accidents survenant lors de voyages effectués avec l’équipe, contre l’extorsion et contre les poursuites.
De la vigilance en tout temps
Le conseiller passe beaucoup de temps à protéger l’actif de ses clients athlètes, affirme Peter Pomponio. Les dépenses exorbitantes liées à un mode de vie insoutenable, tout comme les séparations coûteuses, sont des exemples de situations qui peuvent faire dérailler un plan de retraite.
Selon Peter Pomponio, toutefois, la question des projets mis en avant par la famille et les amis doit être abordée avant que l’athlète ne devienne un client et qu’il signe des contrats importants.
«Les athlètes évoluent dans le domaine public, leur salaire est médiatisé, alors ils sont très sollicités, souvent de façon insistante, pour des investissements de toutes sortes», lance An-Lap Vo-Dignard.
Il cite l’exemple du cousin qui s’intéresse à l’immobilier et qui veut convaincre l’athlète d’investir dans un triplex, et suggère lui aussi d’établir rapidement, au commencement de la relation, une marche à suivre avec son client.
An-Lap Vo-Dignard rappelle que plusieurs athlètes ont sacrifié une bonne partie de leurs études pour se consacrer à leur carrière sportive et que leur éducation en matière de finance est souvent insuffisante. Il estime donc que c’est au conseiller qu’il revient de protéger son client contre de telles sollicitations, mais que le client doit lui aussi apprendre à se méfier de lui-même, car il pourrait souhaiter investir ou effectuer des dons destinés à subvenir aux besoins de son entourage.
«Ils signent des contrats de plusieurs millions de dollars, alors c’est compréhensible. Je n’hésite donc pas à leur citer l’exemple d’athlètes très connus qui ont déclaré faillite, comme le boxeur Mike Tyson, l’ancien joueur de football Lawrence Taylor, ou le défenseur de la LNH Jack Johnson. Nos clients se sentent alors moins invincibles», dit An-Lap Vo-Dignard.