Un homme d'affaire qui réfléchit. Devant lui on voit des bulles avec plusieurs sortes de graphiques.
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En mars, la volatilité des marchés financiers a créé une apparente dislocation entre le prix de plusieurs fonds négociés en Bourse (FNB) obligataires et leur valeur liquidative.

L’écart entre ces mesures s’est établi entre 0 et 12 % durant ce mois, atteignant un creux juste avant l’annonce, le 23 mars, d’un programme de rachat massif de titres à revenu fixe par les banquiers centraux américains et canadiens, d’après une étude menée par une équipe d’analystes de Banque Nationale Marché des capitaux, dont Daniel Straus, Tiffany Zhang et Linda Ma. L’écart s’est resserré depuis. Voici une autopsie de cette situation anormale du marché des FNB de titres à revenu fixe, faite par les auteurs de l’étude.

Que s’est-il passé?

Depuis le début de la crise mondiale liée à la pandémie actuelle, pratiquement tous les actifs ont affiché des baisses de leurs valeurs et une volatilité sans précédent. La baisse des prix de nombreux FNB d’obligations de qualité supérieure et d’obligations agrégées (marché total) au Canada et aux États-Unis a préoccupé de nombreux investisseurs, car ce type d’actif est censé servir de « coussin » pendant les périodes difficiles. Malgré les baisses, les FNB obligataires se sont échangés avec un volume record du 16 au 20 mars, soit le triple de leur volume habituel. En effet, il est possible que les FNB soient restés le seul outil de placement relativement liquide pour ceux désirant à tout prix vendre des titres à revenu fixe, d’après l’équipe de Daniel Straus.

Pourquoi les prix des FNB obligataires ont-ils chuté ?

D’abord, cela découle de la baisse de la valeur des actifs sous-jacents. Les écarts de crédits des sociétés de première qualité se sont élargis de 100 points de base à 200 points de base à ce jour, ont observé les auteurs de l’étude. Cette hausse du rendement des obligations fait que leur prix baisse, la relation entre le prix et le rendement étant inverse. Ainsi, au début d’avril, l’indice FTSE Canada All Corporate Bond a reculé de -8,4 % par rapport à son sommet du 6 mars, notaient les auteurs de l’étude.

Ensuite, les prix des FNB reflètent la faible liquidité des titres sous-jacents. En effet, avant l’intervention des banques centrales, il n’y avait plus d’acheteur de titres à revenu fixe de sociétés. Cet assèchement de la liquidité s’est répercuté dans le prix des FNB, qui a diminué. Résultat, le prix des FNB d’obligations a affiché un escompte présumé par rapport à la valeur liquidative, alors qu’en temps normal cet écart est nul ou quasi nul.

Pourquoi la valeur liquidative d’un FNB était différente de son prix ?

Parce que la valeur liquidative est une mesure inexacte, lit-on dans l’étude de Banque Nationale Marché des capitaux. Les valeurs liquidatives des FNB et des fonds communs de placement sont calculées à l’aide de cotations théoriques d’obligations qui ne sont pas applicables en cas de crise.

Pour les titres obligataires qui sont moins fréquemment négociés, les agences de notations des obligations et les fournisseurs d’indices utilisent des cotations soumises par les courtiers qui sont rassemblées et arrondies en moyennes pour estimer les justes valeurs marchandes, même pour les obligations totalement illiquides qui n’ont pas été négociées depuis des jours.

FTSE Canada, par exemple, interroge les principaux courtiers d’obligations canadiens pour les cotations, supprime les valeurs aberrantes, puis prend le « prix moyen » pour chaque obligation comme entrée pour les niveaux de l’indice et le calcul de la valeur liquidative du fonds.

« Même si l’agence de notation prend en compte les cotations consensuelles et les transactions récentes, les chiffres sont purement théoriques et peuvent ne pas représenter les conditions commerciales réelles lorsque les acteurs du marché sont prêts à mettre leurs capitaux à risque. Les valeurs liquidatives des fonds obligataires réagissent donc lentement aux baisses soudaines de liquidité, notamment lorsqu’aucune transaction n’a lieu pour valider le prix des obligations », écrivent les auteurs de l’étude.

Pourquoi y a-t-il eu un escompte apparent du prix des FNB par rapport à leur valeur liquidative ?

En résumé, en raison de la crise de liquidité des actifs sous-jacents et des données périmées et inexactes concernant la valeur liquidative des FNB.

Prenons un pas de recul. Il est normal qu’il y ait une prime ou un escompte par rapport au prix d’un FNB. Ces écarts sont au cœur du fonctionnement du marché des FNB. Toutefois, ces écarts restent faibles, notamment en raison des actions des mainteneurs de marchés et des arbitragistes, notent les analystes de Banque Nationale Marché des capitaux.

« Si un FNB se négocie réellement à prime par rapport à son panier de titres sous-jacents, le mainteneur de marché va vendre le FNB et acheter les titres sous-jacents. À l’inverse, si le FNB est à escompte, le mainteneur de marché va acheter les unités du FNB et vendre les titres sous-jacents dans des proportions équivalentes », expliquent-ils.

Lorsqu’il y a une prime ou un escompte sur le prix d’un FNB, en général, c’est que le panier de titres sous-jacents est désormais inaccessible ou la valeur liquidative est erronée ou les deux en même temps, font-ils mention.

C’est ce qui semble s’être passé dans le marché des obligations corporatives. Un épais nuage d’incertitude a plané, découlant notamment de la crise de liquidité. Ceci a rendu difficile, pour les mainteneurs de marché, d’établir un juste prix. Ceux-ci ont malgré tout pris des risques en utilisant des indicateurs, comme des produits dérivés, pour établir un prix approximatif, ce qui a permis à des investisseurs de négocier leurs FNB d’obligations, expliquent les auteurs de l’étude.

L’escompte de prix était-il élevé?

La réponse courte serait « pas tant que cela, dans les circonstances ». Pour arriver à cette conclusion, les auteurs ont enregistré, pour chaque jour d’ouverture des marchés, le prix moyen pondéré en fonction du volume, une mesure plus fiable que le prix de clôture. Ils ont calculé l’escompte en dollars de ce prix moyen afin de vérifier combien d’argent a été négocié sous la valeur liquidative durant les deux semaines où le marché obligataire était le plus dysfonctionnel, soit du 16 au 20 mars et du 23 au 27 mars.

L’escompte par rapport au prix moyen pondéré en fonction du volume s’est établi à 117,7 millions de dollars (M$) par rapport à un volume de négociation total de 8,5 milliards de dollars (G$), soit un escompte représentant 1,4 % du volume, ont calculé les auteurs.

« Dans le contexte de toutes les transactions à volume élevé qui ont eu lieu au cours de ces deux semaines de mars, l’ampleur des « dislocations » apparentes à la valeur liquidative n’est pas aussi élevée qu’elles le semblent », écrivent les auteurs de l’étude.

Qu’en est-il des fonds communs obligataires?

La plupart des FNB effectuent des rachats « en nature », c’est-à-dire pour lesquels on échange des paniers de titres au lieu de l’argent. Le gestionnaire de FNB n’a donc pas besoin de liquider un quelconque segment du portefeuille en effectuant une vente de feu, ce qui peut se produire dans d’autres types de fonds, préviennent les auteurs de l’étude.

« Si un fonds commun de placement rencontre une vague de rachats, un scénario de cercle vicieux peut se développer dans lequel les gestionnaires obtiennent des liquidités en vendant d’abord leur couche d’obligations la plus liquide. Les porteurs de parts qui ne sont pas « en première ligne » se retrouvent donc en possession d’un portefeuille de titres de qualité encore plus faible et moins liquide. Si une deuxième vague de clients choisit de racheter leurs parts, le cercle devient encore plus vicieux, et le fonds peut être contraint de bloquer les rachats ou de se dissoudre complètement », écrivent les auteurs de l’étude.

Il y a très peu de risques qu’un FNB s’effondre pendant un scénario de crise, mais on ne peut pas en dire autant d’un FCP qui connaît une ruée vers la sortie, poursuivent-ils : « Nous avons déjà vu certains fonds communs de placement à revenu fixe basés aux États-Unis ajuster soudainement leur valeur liquidative à la baisse, tandis que certains fonds obligataires en Europe ont récemment annoncé des fermetures de rachat. »