La planification de la relève dans les firmes de gestion de patrimoine au Canada a beaucoup évolué au cours de la dernière décennie, passant d’initiatives individuelles et souvent improvisées à des stratégies structurées soutenues par les firmes et les conseillers eux-mêmes, avec pour objectif de garantir une transition harmonieuse et la stabilité des clients.
Selon les données colligées dans le cadre des dossiers Report Cards 2025 publiés par Investment Executive (IE), 51,8 % des conseillers des canaux de courtage et de cabinets indépendants disposent désormais d’un plan de relève documenté, contre 45,9 % l’année précédente, 40,6 % en 2020 et seulement 28,9 % en 2015.
L’âge moyen des conseillers interrogés est demeuré autour de 51 ans sur cette période de dix ans.
Une mentalité qui a évolué
Ce qui a évolué, c’est la façon de penser des conseillers et la manière dont les entreprises prennent désormais des mesures proactives pour éviter le risque de se retrouver avec des clients orphelins. « De plus en plus de conseillers reconnaissent la nécessité de protéger leurs clients et leurs activités, tandis que les entreprises encouragent également les conseillers à se préparer pour l’avenir », explique Katie Keir, responsable de la recherche chez IE.
« Les conseillers ont des plans plus ou moins détaillés, constate-t-elle. Cependant, même parmi ceux qui ont déclaré ne pas avoir encore de plan officiel, nombreux sont ceux qui ont indiqué qu’ils cherchaient à entrer en contact avec un repreneur et/ou avaient commencé à élaborer une stratégie de sortie. D’autres ont dû revoir leurs plans en raison d’événements imprévus. »
Le résultat des recherches dirigées par Katie Keir montre que « chaque année, de plus en plus de dirigeants vantent les avantages du travail d’équipe et de l’apprentissage entre pairs, et demandent à mieux comprendre les défis auxquels sont confrontés les conseillers en matière de succession. » Il reste toutefois difficile de déterminer la meilleure façon pour les entreprises d’atteindre les conseillers qui ne se sont pas encore engagés dans cette voie.
Des progrès, mais encore trop peu de plans
Christine Timms, conseillère à la retraite qui a rédigé plusieurs manuels à l’intention des conseillers, notamment Transitioning Clients et Retirement Exit Decision, estime que le fait que de plus en plus de conseillers élaborent des plans de succession est une bonne nouvelle, mais que la proportion de conseillers ayant un plan au Canada « reste insuffisante ». (Aucune source externe n’a eu accès aux résultats spécifiques de la recherche d’IE, car ceux-ci sont confidentiels jusqu’à leur publication).
« Même si vous avez 40 ans, vous pouvez être renversé par un bus ou avoir une crise cardiaque, et tout le monde se retrouvera dans une situation difficile, résume-t-elle. Les chiffres doivent donc être meilleurs. »
L’étude de cette année montre que les conseillers âgés de 40 ans et moins étaient moins proactifs que leurs pairs :
- seulement 31,7 % des conseillers de 40 ans et moins ont un plan de relève documenté,
- contre 56,3 % chez les 41 ans et plus,
- et plus de 60 % chez les conseillers de 60 ans et plus.
Néanmoins, tous ces résultats sont supérieurs à ceux enregistrés il y a dix ans. Selon les données de 2015 relatifs aux courtiers et aux négociants, même les conseillers âgés de 60 ans et plus avaient beaucoup à faire pour améliorer la situation, seuls 38,1 % d’entre eux ayant déclaré avoir un plan formel.
Rétrospective et perspectives
Lorsqu’elle a pris sa retraite en 2016, Christine Timms rapporte que son cabinet disposait d’un modèle de contrat de plan de succession et d’un processus de calcul approximatif pour estimer la valeur d’un cabinet, qu’elle a qualifié de « très utile ».
Cependant, elle aurait souhaité que le cabinet soit en mesure de fournir une image plus précise de la clientèle qu’elle accompagnait. Au début de sa carrière, elle avait déjà pris les devants en créant son propre système de classement des clients en fonction de la taille du ménage, des actifs, des revenus et de l’âge.
« Le cabinet n’avait pas suffisamment d’informations à me fournir, même pour savoir quels étaient mes ménages les plus productifs et la valeur de leurs actifs », explique Christine Timms, qui a travaillé pendant 33 ans dans ce secteur. « D’après mes conversations avec des conseillers, je comprends que de nombreuses entreprises ont amélioré leurs méthodes d’analyse et sont donc peut-être en mesure de mieux évaluer les risques. »
Les lacunes importantes dans les processus d’analyse commerciale constitueraient un problème grave pour le secteur aujourd’hui, dans un contexte de transfert de richesse massif. On estime que des centaines de milliards de dollars ont déjà changé de mains, et que 120 à 150 milliards de dollars supplémentaires devraient être transférés au cours des deux prochaines années. Les conseillers et leurs entreprises pourraient soit gagner les héritiers de leurs clients, soit les perdre au cours de ce processus.
Ces dernières années, le secteur a aussi encouragé la constitution d’équipes, ce qui a amélioré le processus de planification de la succession à tous les niveaux, affirme Christine Timms.
L’essor du travail en équipe
Il existe généralement deux types d’équipes de conseillers, soutient-elle. Les conseillers chevronnés peuvent s’associer à un partenaire ou recruter des collaborateurs ayant différents niveaux d’expérience. Dans les deux cas, il est possible d’élaborer un plan de succession efficace, à condition que le conseiller plus âgé travaille avec une ou plusieurs personnes plus jeunes que lui et qui ont une carrière plus longue devant elles.
Au moment de prendre sa retraite, Christine Timms comptait six personnes d’âges différents dans son équipe, dont deux associés qui étaient ses successeurs.
Un soutien accru des firmes
John Novachis, vice-président exécutif, croissance et succession des conseillers chez Investment Planning Counsel (IPC), rapporte qu’il y a dix ans, les conseillers qui quittaient le secteur disposaient de peu de ressources. Il travaille dans ce secteur depuis plus de trois décennies.
« À l’époque, les conseillers étaient livrés à eux-mêmes, affirme John Novachis. Il n’y avait aucun soutien. Il n’y avait aucun financement. Il y avait un manque de successeurs. Les types de transactions conclues étaient très risqués. Les cycles de transaction étaient très, très longs. Le montant du capital investi initialement dans une transaction [était faible, voire nul]. »
De nombreux commentaires formulés par des conseillers dans la série de sondages de 2015 d’IE abondent dans le même sens.
« J’aimerais voir plus de tout. J’achète des books depuis des années, et aucune entreprise ne fait un bon travail dans ce domaine [soutien à la relève] », commente un conseiller-courtier des Prairies. Un conseiller en courtage de l’Ontario soutient que le programme de succession de son entreprise est « assez vague. [Il] ne s’applique qu’à un certain niveau de producteurs ».
Les entreprises ont « intensifié leurs efforts » et créé davantage de choix pour les conseillers depuis, selon John Novachis, notamment en proposant des programmes de financement pour soutenir les transactions entre pairs et du réseautage. Il souligne également l’importance accordée au renforcement de l’esprit d’équipe afin d’assurer une transition en douceur des clients d’un conseiller à son successeur.
« Aujourd’hui, on accorde simplement plus d’attention [et] on met en place davantage de structures, constate-t-il. Historiquement, l’évaluation comptable était vaguement basée sur un multiple des commissions de suivi, ou de revenus récurrents, [qui constituaient] l’indicateur quantitatif le plus prévisible et le plus compréhensible pour l’activité d’un conseiller ». Cependant, « divers facteurs influencent la stabilité des revenus récurrents », notamment l’âge moyen des clients, la taille moyenne de leur patrimoine, etc.
« Ces facteurs sont pris en compte dans la détermination de la valeur comptable aujourd’hui », explique John Novachis. Il existe également des facteurs qualitatifs tels que l’efficacité avec laquelle un conseiller travaille et utilise la technologie, ainsi que « ses classements en matière d’audit et de conformité ». En conséquence, « le calcul des valeurs comptables aujourd’hui est un mélange de science et d’art ».
Dans les données du rapport 2025, un conseiller en courtage des Prairies a confirmé qu’il constatait des progrès dans le domaine des outils de succession : « Ils évoluent, donc… ils s’améliorent. »
John Novachis attribue cette évolution au transfert de richesse important, à la transparence accrue dans l’ensemble du secteur et à la pandémie de la COVID-19, qui a rappelé aux entreprises qu’il est important de se préparer au changement.
Les mises en garde et les préoccupations liées aux situations d’urgence ont depuis longtemps renforcé l’importance de la planification dans les recherches d’IE.
« Un conseiller de notre succursale est décédé subitement, rapporte un conseiller en courtage de l’Ontario en 2015. Cela nous a fait comprendre à quel point la planification de la relève est importante. »
« Lorsque j’ai pris cette décision [de planifier à l’avance], l’une de mes principales préoccupations était de savoir ce qu’il adviendrait de moi à mon décès et si ma femme serait prise en charge », souligne un conseiller en courtage, également originaire de l’Ontario. « [Mon entreprise] m’a fourni par écrit l’assurance qu’elle prendrait soin de ma famille, vendrait mon portefeuille et s’occuperait des personnes qui me sont chères.… De plus, mes clients seront bien pris en charge. »
Christine Timms estime que le soutien des entreprises peut être un moteur de changement. « Il suffit qu’une entreprise se lance dans une amélioration et obtienne un avantage concurrentiel pour que les autres entreprises se disent : “Waouh, je vais faire la même chose, sinon je risque de perdre certains de mes conseillers au profit de cette autre entreprise”. »
Ce qui n’a pas changé pour les conseillers
Bien que des ressources supplémentaires soient toujours les bienvenues, Christine Timms estime que les entreprises doivent trouver un équilibre entre le soutien apporté et la pression excessive exercée sur les conseillers qui apprécient leur indépendance. « Il n’est pas judicieux pour une entreprise d’être trop autoritaire, mais il est sage de sa part de fournir des ressources » à ceux qui en font la demande.
Les principales raisons invoquées par les conseillers qui ont retardé leur planification successorale sont restées assez constantes au cours de la dernière décennie. Soit ils ont estimé qu’il était trop tôt dans leur carrière, soit ils étaient toujours à la recherche du successeur idéal. D’autres ont admis avoir tergiversé.
Mais lorsque les conseillers ne planifient pas leur départ à l’approche de l’âge traditionnel de la retraite, les clients sont susceptibles de se demander ce qui se passera une fois qu’ils seront partis, avertit John Novachis. Une enquête réalisée en 2025 par IPC a révélé que si la plupart des Canadiens s’attendent à ce que les conseillers approchant de la retraite aient un plan de succession, 83 % de ceux qui travaillent avec un conseiller s’inquiètent de savoir si leur conseiller planifie de manière proactive.
Au moins certains conseillers en sont conscients. « On nous demande [de planifier l’avenir]. C’est important et cela rassure les clients », déclare ainsi un conseiller en courtage du Québec.
Christine Timms rappelle aux conseillers que le plan qu’ils élaborent initialement n’est pas immuable. « La personne à qui vous souhaitez confier votre portefeuille à 50 ans n’est peut-être pas celle à qui vous souhaitez le confier à 60 ans », donne-t-il comme exemple. Dans cette optique, il n’est pas toujours nécessaire de s’engager à 100 %, « sauf si vous demandez à cette personne de rejoindre votre équipe et de travailler avec vos clients ; dans ce cas, vous avez besoin d’un engagement ».