La tour du parlement à Ottawa sur un fonds de ciel bleu.
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Il est peu probable que le nouveau gouvernement libéral mette en place un impôt sur les grandes fortunes ou augmente le taux d’imposition maximal – deux promesses électorales du NPD pour lutter contre l’inégalité des richesses – même s’il a besoin du soutien de l’opposition pour adopter une loi.

Le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau pourrait plutôt se concentrer sur la mise en œuvre de son propre programme. Celui-ci inclut des hausses d’impôts ciblées, un financement accru de l’Agence du revenu du Canada (ARC) et une surtaxe sur les grandes banques et les assureurs.

« Au début, les libéraux vont probablement gouverner avec un mandat très fort, sachant que personne n’osera les faire tomber », entrevoit Elliot Hughes, conseiller principal chez Summa Strategies Canada.

Fin septembre, le Premier ministre Trudeau a déclaré que ses grandes priorités étaient de soutenir la reprise économique du Canada et de s’attaquer au changement climatique. Le programme électoral des libéraux promettait des dépenses de 78 milliards de dollars (G$) sur cinq ans, dont 30 G$ pour les services de garde.

Elliot Hughes, qui était directeur adjoint de la politique fiscale pour l’ancien ministre des Finances Bill Morneau, prédit que le gouvernement actuel obtiendra les revenus nécessaires à ses priorités en poursuivant les efforts en cours pour imposer un impôt minimum aux sociétés mondiales, ainsi qu’en allant de l’avant avec un impôt minimum de 15 % sur les personnes à revenu élevé et la taxe de luxe proposée sur les véhicules.

Au total, le programme libéral proposait 25 G$ en hausses d’impôts diverses, la plupart visant les riches particuliers et les sociétés « qui ont bien réussi en raison de la COVID-19. »

John Nicola, président et chef de la direction de Nicola Wealth Management, convient que « le NPD n’a pas le levier » pour plaider en faveur d’augmentations d’impôts plus larges visant les riches après leur performance décevante lors des élections du mois dernier. Le NPD a gagné un siège par rapport à 2019, portant son total à 25, et sa part du vote populaire a augmenté d’environ deux points de pourcentage.

Néanmoins, les libéraux auront besoin de votes supplémentaires pour adopter des lois après avoir raté l’obtention de la majorité à la Chambre des communes par 11 sièges. Les néo-démocrates de Jagmeet Singh représentent leur soutien le plus probable. Le NPD pourrait persuader les libéraux d’ajouter plus de mordant à leurs initiatives de hausse d’impôt – par exemple, donner à l’ARC plus de ressources pour cibler la planification fiscale agressive – en échange de leur appui.

John Nicola a déclaré qu’il y avait « peu de marge de manœuvre » pour les libéraux en ce qui concerne l’augmentation des taux d’imposition sur le revenu des hauts salariés et qu’il n’y avait « presque aucune » chance que le gouvernement introduise un impôt sur les grandes fortunes, qui serait complexe à administrer. Ces deux politiques faisaient partie de la plateforme du NPD.

Toutefois, les libéraux pourraient envisager d’introduire des mesures de recettes fiscales plus larges plus tard au cours de leur mandat, comme l’augmentation du taux d’inclusion des gains en capital de 50 % à 75 %, comme le proposait le NPD. (Une hausse des gains en capital n’a pas été mentionnée dans la plateforme libérale.)

Jason Heath, directeur général d’Objective Financial Partners, estime qu’une augmentation du taux d’inclusion des gains en capital est « potentiellement sur la table ». Les libéraux pourraient trouver cela « plus acceptable » d’un point de vue politique « que d’augmenter continuellement les taux d’imposition des personnes à revenu élevé », selon lui.

Larry Short, gestionnaire de portefeuille et conseiller en placement principal chez iA Private Wealth, suggère que la future politique fiscale canadienne pourrait être influencée par des initiatives fiscales internationales, comme le cadre de l’OCDE pour la réforme de la fiscalité internationale et les récentes mesures prises aux États-Unis pour augmenter les impôts des sociétés et des particuliers fortunés.

Il estime comme pratiquement acquis le fait que les libéraux augmenteront le taux d’inclusion des gains en capital au cours de ce mandat. Ce qui aiderait à financer les dépenses liées à la pandémie.

Le gouvernement libéral a enregistré un déficit record de 354 G$ au cours du dernier exercice financier, tout en offrant un soutien aux entreprises et aux particuliers en cas de pandémie. En utilisant les projections du mois d’août du Directeur parlementaire du budget, la plateforme libérale prévoit un déficit de 156,9 G$ en 2021-22, qui tombera à un peu plus de 32 G$ en 2025-26.

« Beaucoup de gens ont des gains en capital différés sur des propriétés locatives, des chalets, des investissements non enregistrés » et attendent de voir si les libéraux vont augmenter le taux d’inclusion, rapporte Jason Heath, et certains clients ont demandé s’ils devraient déclencher des gains en capital maintenant en prévision d’un éventuel changement.

Selon Jason Heath, la plupart des clients devraient s’abstenir de vendre de manière anticipée une propriété dont les gains en capital ne sont pas réalisés, à moins qu’il y ait une autre raison de le faire. « Je ne pense pas que je vendrais des choses juste pour spéculer sur d’éventuels changements de politique fiscale », déclare-t-il.

Deux autres propositions de politique fiscale mises de l’avant concernaient une surtaxe de 3 % sur les banques et les compagnies d’assurance déclarant des bénéfices de plus d’un milliard de dollars, et une taxe temporaire appelée dividende de redressement du Canada sur ces entreprises. Ces propositions reconnaissent que le secteur des services financiers s’est « redressé plus rapidement et plus solidement que beaucoup d’autres industries », selon le programme de la campagne libérale.

Il est proposé que les deux initiatives débutent en 2022, mais Elliot Hughes pense que les libéraux pourraient les repousser afin de mener des consultations et d’examiner la législation.

Doug Carroll, spécialiste en fiscalité et en succession chez Aviso Wealth, souligne qu’un compte dédié permettant aux jeunes Canadiens d’épargner pour une maison pourrait être utile, mais ajoute qu’il craint que les programmes gouvernementaux d’accessibilité au logement ne faussent le marché. « L’économie devrait décider si les gens achètent ou louent, affirme-t-il. Ce ne devrait pas être le gouvernement qui influence les Canadiens dans le sens de l’un ou l’autre. »

Aaron Hector, vice-président et conseiller financier chez Doherty & Bryant Financial, qualifie une autre proposition du gouvernement visant à introduire un impôt minimum de 15 % sur les personnes se situant dans la tranche de revenu la plus élevée de « quelque peu déroutante ». En partie parce qu’un régime d’impôt minimum alternatif existe déjà dans la Loi de l’impôt sur le revenu.

Selon le programme électoral des libéraux, le nouvel impôt minimum éliminerait la « capacité d’un contribuable de ne pas payer d’impôt de façon artificielle en raison d’un recours excessif aux déductions et aux crédits », ce qui toucherait certains contribuables qui ne sont pas visés par l’impôt minimum de remplacement actuel, qui limite l’accès d’un contribuable à certains avantages fiscaux. Les libéraux ont estimé que le nouvel impôt minimum rapporterait 1,7 G$ sur cinq ans.

Jason Heath laisse entendre que le gouvernement devra relever le défi de trouver des moyens d’augmenter les recettes sans freiner l’économie ou provoquer l’exode des cerveaux. « Il n’y a qu’une limite à l’augmentation des taux d’imposition des particuliers avant que les gens ne commencent à chercher des moyens d’éviter de payer des impôts ou même de déménager ailleurs », assure-t-il