Trois hommes dans un tracteur à la campagne.
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« On calcule à 44 billions de dollars américains la valeur économique ajoutée par la biodiversité et les services écosystémiques qu’elle rend, soit 50% du PIB mondial », affirme un document de FAIRR (Creating a Stink : Mismanagement of manure drives pollution and biodiversity risk).

FAIRR est un OSBL britannique regroupant un réseau d’investisseurs dont l’actif total sous gestion s’élève à 70 billions de dollars américains et qui se concentre sur les risques ESG dans le secteur de l’alimentation mondiale. Le site Internet ne précise pas quelle part de cet actif est consacrée aux thèmes ESG.

« On aide les investisseurs à gérer leur relation avec les producteurs alimentaires, à mieux comprendre leurs modèles d’affaires et leurs problèmes environnementaux », explique Max Boucher, directeur principal de la recherche et spécialiste de la biodiversité et de l’aquaculture chez FAIRR. L’objectif est d’instruire le secteur financier de façon à ce qu’il oriente le secteur alimentaire vers des pratiques plus durables.

Plus de rejets que les ménages

Les défis sont nombreux, mais aucun n’est plus pressant que celui de la gestion du fumier et des lisiers. « Les liens entre l’agriculture industrialisée, la gestion inadéquate des effluents d’élevage et les effets négatifs de la pollution par les nutriments sur la biodiversité et les écosystèmes sont clairs et préoccupants. Pourtant, le fumier pourrait être une force positive s’il était pleinement exploité par les entreprises qui le produisent », explique le document de FAIRR.

Le problème tient à une circularité rompue dans le cycle de production alimentaire. Dans une ferme de dimension modeste, le fumier du bétail est recyclé sur place et sert d’engrais dans d’autres productions, qu’il s’agisse de foin ou de légumes. Les usines colossales d’élevage produisent annuellement plus de trois milliards de tonnes de fumier et d’urine, un volume de rejets de 50% supérieur à celui des déchets domestiques.

Or, ces masses d’effluents ne sont pas recyclées, mais plutôt rejetées, souvent avec des conséquences néfastes. Par exemple, on calcule qu’environ 50% de la perte de biodiversité en eau fraîche est attribuable aux systèmes alimentaires. Une importante partie de ces rejets s’écoule dans les réseaux aquatiques, ce qui résulte en problèmes d’algues, de cyanobactéries et de perte d’oxygène, le tout suscitant ultimement un appauvrissement de la biodiversité. « Dans le Golfe du Mexique, on se retrouve avec un important problème d’algues, indique Max Boucher. Quand elles meurent, l’eau perd en oxygène et cela affecte la biodiversité. » Or, dans une perspective de circularité, l’eau est un des plus importants intrants de l’agriculture.

Les problèmes environnementaux entraînés par l’élevage ne se limitent pas au fumier. Par exemple, « l’élevage de bœuf et la culture du soya sont responsables à 80% de la déforestation dans le monde », affirme Max Boucher.

Créer des engrais à partir du fumier

Cependant, le problème prioritaire est celui de la gestion du fumier. Par exemple, les Pays-Bas ont décidé de réduire leur population animale d’un tiers au cours des dix prochaines années. D’une part, explique Max Boucher, on y importe la nourriture pour le bétail et, d’autre part, on ne dispose d’aucun lieu pour déverser leurs rejets.

Le travail de FAIRR est « de voir avec les investisseurs comment réinstaurer des cycles ‘naturels’ de façon artificielle, dit le spécialiste de la biodiversité. Par exemple, on étudie la possibilité de subventionner le transport de ces fumiers vers des lieux où ils peuvent être plus utiles. » Une autre voie d’intervention est d’étudier avec les compagnies agrochimiques la possibilité de produire des engrais à partir des fumiers plutôt qu’à base de composés de chimie de synthèse.

Le défi est de taille. FAIRR calcule que la totalité de l’industrie de l’élevage est fautive dans sa gestion du fumier. La feuille de route est plus « propre » du côté des grandes sociétés de transformation, comme Danone ou Nestlé, qui recourent aux produits des éleveurs. « Danone ou Nestlé ont des objectifs plus ambitieux, mais elles n’ont pas une même empreinte sur la terre, par contre elles influencent des millions de producteurs », fait ressortir Max Boucher.

Une majeure partie de l’activité de FAIRR consiste donc à orienter les investisseurs de façon à susciter chez les producteurs agro-alimentaires des pratiques plus durables. Et tout commence avec l’obtention d’engagements de la part des entreprises pour qu’elles rendent compte des impacts de leurs effluents sur les sols et les eaux, ou encore qu’elles identifient des spécialistes à l’interne en gestion de fumier et de nutriments.

Évidemment, COP15 sera l’occasion de porter les problèmes dont traite FAIRR à l’attention des décideurs gouvernementaux qui seront réunis à Montréal du 7 au 19 décembre pour discuter de l’ensemble des problèmes liés à la biodiversité.

Un dernier mot de précision au sujet du nom « COP15 », qui peut porter à confusion après la fin du récent COP27 en Égypte. « COP » veut simplement dire « Conference of Partners ». Or, une filière de ces « conférences », rendue à sa 27e édition, vise la situation du climat, alors qu’une autre filière, rendue à sa 15e édition, vise la biodiversité et aura lieu à Montréal.