Le risque caché d'investir dans des sociétés stables

La peur d’une hausse des taux d’intérêt garde, c’est le moins qu’on puisse dire, beaucoup d’investisseurs dans leurs petits souliers. Il est clair qu’une telle hausse est une mauvaise chose pour les investisseurs en actions et en obligations. Il est facile de réduire le risque lié aux taux d’intérêt dans un portefeuille obligataire parce que la sensibilité aux taux d’intérêt, ou durée, est directement liée aux échéanciers des mouvements d’argent.

Les investisseurs en obligations peuvent adoucir le choc d’une hausse des taux d’intérêt en remplaçant des obligations à longue durée par des obligations à courte durée. Toutefois, pour les investisseurs qui veulent s’en tenir aux actions dans un environnement de hausse des taux, les choix offerts pour réduire le risque lié aux taux d’intérêt sont moins clairs. Bien que certains styles de placement puissent limiter les dégâts occasionnés pour un portefeuille, il est important de ne pas perdre de vue le tableau d’ensemble.

Dans un monde simple où les changements de taux (ou les changements connexes dans la solidité de l’économie) n’affectent pas les flux de trésorerie des actions et où la tolérance du risque qu’ont les investisseurs est constante, les actions à dividendes et à croissance lente seraient les moins sensibles aux changements de taux d’intérêt. Ces sociétés dérivent une plus grosse portion de leur valeur totale de leurs flux de trésorerie à court terme que leurs homologues axés sur la croissance, qui génèrent la plupart de leur valeur plus tard. Parce que les intérêts sont composés dans le temps, les changements de taux devraient avoir un impact plus important sur le prix que les investisseurs ne sont disposés à payer pour un titre à mesure que l’échéance de ses flux de trésorerie augmente.

Mais les changements de taux d’intérêt ne s’effectuent pas en vase clos. Ils tendent à augmenter quand l’économie se renforce, ce qui peut accroître les attentes des investisseurs en matière des flux de trésorerie futurs. Les investisseurs peuvent aussi exiger moins de compensation du risque à ces moments-là. À l’inverse, les chutes de taux peuvent être associées à un affaiblissement de l’économie ou une augmentation de la prime de risque des actions. Par conséquent, la sensibilité des actions aux taux d’intérêt peut différer de l’échéancier de leurs versements, comme l’illustrent les rendements des actions à dividendes.

Dans une conjoncture de hausse des taux d’intérêt, les actions versant des dividendes élevés se sont historiquement sous-classées par rapport à leurs homologues à rendement moins élevé et à celles qui ne versent pas de dividendes. Le contraire est vrai quand les taux sont en baisse ou stables. Afin de faire la lumière sur cette relation, j’ai examiné les données de rendement aux États-Unis pour les actions ne versant pas de dividendes, les actions à dividendes représentant les 30 % les moins élevés, les 40 % du milieu et les 30 % offrant les dividendes les plus élevés, de mai 1953 à la fin 2012.

J’ai établi un classement des changements mensuels de rendement par rapport aux obligations sur 10 ans du Trésor américain, et défini le quartile des mois qui ont connu les poussées de rendement les plus importantes comme ceux qui ont connu une hausse des taux. Le quartile inférieur représente une conjoncture de chute des taux, et les 50 % du milieu une conjoncture de taux constants. J’ai ensuite examiné comment chacun des quatre portefeuilles à dividendes se serait comporté dans chacune de ces trois conjonctures de taux d’intérêt (Il ne s’agit pas ici d’illustrer une stratégie de placement, mais de savoir comment les actions à dividendes tendent à se comporter dans différentes conjonctures de taux d’intérêt). Le tableau suivant montre les rendements annualisés de chaque portefeuille.

J’ai aussi procédé à une analyse de régression sur les rendements excédentaires de ces portefeuilles en utilisant comme variables explicatives la prime de risque boursier et les changements de rendement des obligations sur 10 ans du Trésor américain. Cette approche nous permet un contrôle en fonction des fluctuations boursières et isole la manière dont les changements de taux affectent le rendement de chaque portefeuille. Les coefficients mis en lumière par ces régressions, présentés dans le tableau suivant, indiquent le degré de sensibilité de chaque portefeuille aux changements boursiers ainsi qu’aux changements de taux.

Un chiffre positif indique que le rendement du portefeuille évolue dans la même direction que la variable correspondante, alors qu’un chiffre négatif indique une relation inverse. Plus ces chiffres sont loin de zéro, plus la relation est forte. Par exemple, un bêta boursier de 1 indique que le portefeuille s’accroît de 1 % pour chaque accroissement de 1 % de la valeur du marché. Ces résultats corroborent les conclusions exposées plus haut. Il est intéressant que les actions ne versant pas de dividendes tendent à évoluer dans la même direction que les taux d’intérêt (garder le marché constant), alors que les actions à rendement plus élevés tendent à évoluer dans la direction opposée.

La sagesse conventionnelle suggère que cette relation inverse entre rendement en dividendes et sensibilité aux taux d’intérêt se produit parce que les investisseurs se précipitent sur des actifs à plus haut rendement (et souvent à plus haut risque) lorsque les taux d’intérêt chutent pour compenser le manque à gagner. À l’inverse, quand les taux augmentent, les investisseurs reviennent aux actifs à revenu fixe. Il se peut que ce soit un facteur important. Il y a certainement de nombreux investisseurs au détail (notamment les retraités) qui suivent ce schéma pour préserver le revenu de leurs placements, mais ce groupe n’est probablement pas assez important pour expliquer à lui seul cet effet. Les actions à dividendes tendent à avoir des flux de trésorerie plus stables que leurs homologues sans dividendes.

Ces sociétés ne s’engageraient par à des versements réguliers de dividendes si elles n’avaient pas confiance en leur capacité de les honorer dans tout le cycle commercial. Par conséquent, leurs flux de trésorerie tendent à être moins sensibles à la santé de l’économie, et aux taux d’intérêt, que ceux des actions sans dividendes. Avec une croissance des flux de trésorerie inférieure pour compenser l’effet négatif d’une hausse des taux, les actions à rendement élevé se comportent plus comme des obligations que leurs pairs plus avares et ont plus de chances de souffrir quand les taux montent. Mais la stabilité de leurs flux de trésorerie intervient aussi à leur avantage lors des chutes de taux.

Si cette explication est exacte, nous devrions nous attendre à ce que les secteurs plus défensifs se sous-classent dans une conjoncture de hausse des taux et se surclassent aux périodes de chute. C’est exactement le schéma que nous trouvons. J’ai fait le même calcul de régression que celui que j’ai décrit plus haut sur plusieurs groupes sectoriels de mai 1953 à la fin de 2012. Le tableau suivant illustre les résultats obtenus.

Les actions des soins de la santé, du tabac, des produits non durables, des télécommunications, des services financiers et des services publics ont évolué dans la direction opposée de celles des taux d’intérêt. La demande d’actions des soins de la santé, de tabac, des télécommunications et des services publics est non cyclique. La plupart des produits non durables subissent aussi une demande relativement stable par rapport aux achats de produits durables, que le consommateur peut différer plus aisément. Les services publics ont été clairement les plus gros perdants lorsque les taux d’intérêt ont augmenté, et ce parce que les autorités de réglementation limitent souvent les prix qu’ils peuvent faire payer et ajustent ces taux seulement après un délai après que la hausse des taux a érodé la rentabilité des services publics. À la différence de ces secteurs défensifs, les flux de trésorerie des actions des services financiers sont étroitement liés aux taux d’intérêt, mais à l’opposé d’autres secteurs cycliques, leurs flux de trésorerie peuvent baisser alors que les taux augmentent. Les actions des produits cycliques durables, du domaine manufacturier, des équipements de bureau et de l’énergie ont plutôt évolué dans la même direction que les taux d’intérêt.

J’ai aussi effectué cette analyse sur les indices sectoriels du S&P 500, d’octobre 1989 à juin 2013. Les résultats de cet échantillon sont conformes à mes conclusions sur le long terme, bien qu’un plus petit nombre de ces relations ait été significatif. Les secteurs défensifs des soins de la santé, des services publics et des produits de consommation défensifs ont tendu à se sous-classer alors que les taux montaient, et à se surclasser alors qu’ils descendaient. Les secteurs cycliques de la technologie et des matériaux ont suivi le schéma inverse. C’est un élément qui suggère que les actions dont les flux de trésorerie sont plus sensibles à la solidité de l’économie tendent à se surclasser dans une conjoncture de hausse des taux d’intérêt et à se sous-classer dans la conjoncture inverse.

Cela pourrait expliquer pourquoi les actions à petite capitalisation ont été historiquement moins sensibles aux changements de taux que leurs homologues à grande capitalisation. Le tableau suivant illustre comment les actions à petite, moyenne et grande capitalisations se sont comportées au cours des périodes de hausse, de baisse et de stabilité des taux d’intérêt, à supposer que chacune de ces conjonctures ait suivi un calendrier parfait. Les petites capitalisations se sont mieux comportées que leurs pairs à plus grosse capitalisation lorsque les taux étaient en hausse mais se sont sous-classées lors des chutes. Les résultats de l’analyse de régression renforcent ces conclusions et suggèrent même que les actions à petite capitalisation évoluent dans la même direction que les taux d’intérêt, alors que les hausses de taux tendent à nuire aux actions à grande capitalisation.

C’est logique, puisque les actions à petite capitalisation tendent à être plus tributaires des aléas de l’économie nationale que leurs homologues à capitalisation plus grande. Les taux d’intérêt tendent à augmenter quand l’économie se renforce, ce qui aide de façon probablement disproportionnée les actions à petite capitalisation. De plus, elles sont moins bien positionnées pour s’accommoder des récessions que les actions à grande capitalisation, ce qui peut expliquer pourquoi elles tendent à se sous-classer lors des chutes des taux.

Mais le fait qu’on puisse réduire le risque lié aux taux d’intérêt en se détournant des actions à dividendes, des secteurs défensifs et des actions à grand capitalisation ne veut pas pour autant dire qu’on devrait le faire. Ces actions-là tendent à représenter des sociétés de qualité qui affichent moins de volatilité au cours de l’intégralité du cycle boursier. Les stratégies à faible volatilité pourraient aussi se sous-classer dans une conjoncture de hausse des taux parce que leurs flux de trésorerie ne s’accroissent pas autant que ceux de leurs pairs au cours des périodes d’expansion économique, et fournissent ainsi un effet compensatoire moins important pour supporter le choc des hausses de taux.

Pourtant, exactement de la même manière que les actions à dividendes élevés ont historiquement surclassé leurs homologues sans dividendes, les actions à faible volatilité ont historiquement offert de meilleurs rendements ajustés selon le risque au cours de l’intégralité du cycle boursier. Les investisseurs qui font le plein d’actions volatiles sans dividendes peuvent réduire la souffrance à court terme pendant les hausses de taux, mais aboutir à des rendements à long terme décevants.

La modération est une meilleure approche. Si vous vous inquiétez des hausses de taux, il serait peut-être préférable de moins s’engager dans des stratégies à dividendes élevés, bien qu’il ne soit certainement pas conseillé de laisser complètement tomber les actions à dividendes. Aucun besoin non plus de fuir les stratégies à faible volatilité. Toutefois, si vous possédez le FNB PowerShares S&P 500 Low Volatility CAD-Hedged, peut-être conviendrait-il de le remplacer par le FNB iShares MSCI USA Minimum Volatility, qui mise moins sur les actions défensives des services publics et de consommation. Si vous pouvez supporter un peu plus de volatilité, surpondérer les actions à petite capitalisation peut être une décision prudente. Les FNB iShares Russell 2000 Index C$-Hedged et PowerShares S&P/TSX High Beta offrent des façons bon marché de pencher vers les petites capitalisations. Quant à moi, je ne bouge pas.

Photo Bloomberg