homme qui tend un sac d'argent d'où sort de l'argent
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Pour les banques de la planète, les 18 derniers mois ont été les meilleurs depuis la crise financière de 2007. Cependant, selon une étude de McKinsey, cela ne peut cacher des changements de fond qui voient les banques perdre de façon spectaculaire leur importance relative.

Le salut des banques a passé par la hausse de 500 points de base des taux d’intérêt depuis le deuxième trimestre de 2022. Alors que le rendement sur équité était en moyenne de 9% depuis 2010, il est passé à 12% en 2022, et devrait se hisser à 13% en 2023, prévoit McKinsey. Du coup, les profits du secteur ont explosé de 280 milliards de dollars américains (G$US) en 2022, à 1,4 billions $US.

Les chiffres mondiaux montrent qu’en servant d’intermédiaires à 402 billions $US de fonds, les firmes financières de tous les horizons produisent des revenus totaux de 7 billions $US. Excluant la Chine, ces actifs s’élèvent à 326 billions $US. Alors que le PIB mondial croissait annuellement de 3%, les revenus d’intermédiation le faisaient au rythme de 6%.

Or, excluant la Chine où la présence des banques est encore prépondérante, les fonds détenus par les banques ont connu un exode majeur. Ainsi, de 2015 à 2022, les actifs financiers détenus dans les bilans des banques sont passés de 89 à 120 billions $US, soit une hausse annuelle moyenne de 4%. Les actifs détenus hors des bilans des banques ont affiché une hausse annuelle moyenne de 7%, passant de 125 à 206 billions $US.

Trois quarts des actifs hors banques

Résultat : 73% des actifs financiers se retrouvent maintenant hors du bilan des banques, dans des institutions autres, constate McKinsey. C’est un scénario qui se déploie maintenant depuis quelques années. Alors que les clients recherchent des rendements plus élevés, un financement en capital plus faible ou une meilleure adéquation des durées, les actifs financiers ont augmenté et ont migré hors du bilan des banques – c’est-à-dire hors des dépôts d’entreprises et de particuliers, hors des obligations bancaires et d’autres éléments de passif et d’actions. Ils sont allés vers des non-banques, des véhicules hors-bilan tels que des fonds de pension, des actifs numériques, du capital privé, des investissements alternatifs.

Cet exode est surtout visible dans l’abandon des comptes de dépôt bancaire au profit des fonds de marché monétaire. Une grande partie est facilitée et accélérée par les changements technologiques. Et l’exode est inégal. Aux États-Unis, plus de 75% de la hausse des actifs se retrouve désormais hors banque, en Europe, c’est 55%. En Chine, par contre, c’est seulement 30%, en Amérique latine, 40%. Le capital privé est un des grands gagnants de l’exode, sa croissance annuelle moyenne de 19%, ayant vu ses actifs sous gestion passer d’environ 2,3 billions $US en 2015 à 8 billions $US en 2022.

Un ratio cours/valeur comptable déprimé

Dans son ensemble, le secteur bancaire souffre d’un important stigmate que révèle un ratio cours/valeur comptable de 0,8. « Les institutions financières dans leur ensemble continuent de se négocier en dessous de leur valeur comptable, écrit McKinsey, ce qui suggère que les acteurs du marché pensent qu’elles continueront collectivement à avoir un rendement sur capital inférieur au coût du capital, comme c’est actuellement le cas pour plus de la moitié des institutions bancaires. »

Parmi les 14 plus importants secteurs industriels, les banques se languissent au bas du classement. Au sommet, les géants technologiques dominent avec un ratio cours/valeur comptable de 9,2, suivi des technologies de l’information, à 4,5, des soins de santé, à 3,9 et des produits de consommation de base, à 3,6. Au 6e rang viennent les « autres » institutions financières, avec un ratio de 2,4. Tout en bas, viennent les banques traditionnelles avec leur ratio de 0,8.

Entre les « autres » institutions financières et les banques traditionnelles, on retrouve d’importants écarts. Par exemple, les spécialistes de paiement affichent un ratio cours/valeur comptable de 8,7, très proche de celui des géants technologiques, et les fournisseurs de plateformes (parquets électroniques, gardiens de titres, etc.), un ratio de 3,0, et les gestionnaires d’actifs, de 1,9.

En parallèle à ces développements, la géographie bancaire se déplace. Alors qu’on pensait à un moment que ce déplacement se faisait vers les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), il se concentre plutôt dans la zone que McKinsey appelle le croissant de l’Océan Indien, qui s’étend de Singapour à l’Afrique de l’Est en passant par l’Inde et Dubaï. C’est là qu’on trouve plus de 50% des banques qui présentent la plus forte croissance annuelle.

« Les secteurs bancaires d’Asie, d’Amérique latine, du Moyen-Orient et d’Afrique augmentent globalement leurs revenus plus rapidement que ceux des marchés développés, et cette tendance devrait se poursuivre dans les années à venir, constate McKinsey. En 2022-23, par exemple, le Moyen-Orient et l’Afrique ont vu leurs revenus augmenter de 11 %, soit presque le double de la croissance annuelle moyenne des revenus bancaires de la région de 2016 à 2022. »

Un simple répit

Les résultats encourageants des 18 derniers mois ne se poursuivront probablement pas, juge McKinsey. « Notre analyse suggère que la contraction à long terme de la marge bénéficiaire et du rendement sur capital pourrait reprendre, sujet à la perspective à long terme sur les taux d’intérêt. Les gains nets en intérêt pourraient être courts vécus et les marges d’intérêt pourraient baisser si, et quand, les hausses de taux vont ralentir et, ultimement, se renverser. » De plus, de nouvelles exigences en réserves de capital issues des Accords de Bâle III pourraient substantiellement affecter les banques.

Dans ce mouvement planétaire de l’argent hors des banques, McKinsey invite les banques à établir cinq priorités, la première étant de mieux saisir les gains potentiels de productivité qu’offrent les nouvelles technologies, au premier chef l’intelligence artificielle. Par contre, il y a un aspect crucial que son étude néglige : tout cet argent qui échappe au secteur bancaire quitte également un environnement règlementaire mieux rodé. Plusieurs des avenues qu’empruntent les actifs en exode ne sont pas aussi bien balisées. On en a vu certains effets dans la crise de 2007-08.