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La Banque Nationale ne veut pas couper les ponts avec l’industrie pétrolière et gazière. Mieux vaut accompagner les entreprises qui ont un plan « agressif » de réduction de leur intensité carbone que d’éviter complètement le secteur, croit son président et chef de la direction, Laurent Ferreira.

« Il y a encore 80 % de l’économie mondiale qui utilise du charbon, du pétrole et du gaz, explique le banquier en entrevue, vendredi, en marge de l’assemblée annuelle des actionnaires. Nous, ce qu’on veut faire dans la transition énergétique, pour les producteurs de pétrole et de gaz, c’est d’accompagner ceux qui ont un plan sérieux et très clair de décarbonation. »

La Nationale veut que ses efforts permettent de réduire de 31 % l’intensité carbone de ses prêts accordés au secteur pétrolier et gazier d’ici 2030 par rapport à l’année de référence 2019, a annoncé Laurent Ferreira lors de l’assemblée. Cet objectif concerne les émissions des domaines un, deux et trois, ce qui veut dire que l’objectif tient aussi compte de la combustion de pétrole par les utilisateurs finaux, comme les ménages et les entreprises.

Durant l’assemblée des actionnaires, le directeur du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC), Willie Gagnon, a salué le fait que la Banque Nationale se dote de cibles. « On aurait évidemment souhaité que les cibles soient plus ambitieuses, mais on constate que c’est un effort qui est louable. »

Si elle laisse la porte ouverte à l’industrie pétrolière et gazière, l’institution financière avait déjà adopté plusieurs balises, insiste Laurent Ferreira en entrevue. « On a déjà pris des décisions importantes. On n’est plus dans le charbon thermique. On ne fera pas de forage dans l’Arctique. On n’est pas dans les sables bitumineux. »

À la fin octobre, les créances dans les énergies non renouvelables représentaient 3,5 % du portefeuille de prêts de la Banque Nationale. Ce poids était de 7,1 % au début de l’exercice 2014. En contrepartie, la part du portefeuille de prêts consacrés aux énergies renouvelables est passée de 1,6 % à 3 % durant la même période.

L’automne dernier, les six grandes banques canadiennes, dont fait partie la Nationale, se sont jointes à l’Alliance bancaire net zéro dans le cadre de Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP26). Le but du regroupement est d’encourager l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050. Les institutions financières avaient 18 mois pour identifier une première industrie où elles mesureraient les émissions de domaines un, deux et trois.

La Banque Nationale a décidé de prioriser le secteur pétrolier et gazier. « C’est sûr qu’on va travailler sur les autres [industries], mais pour l’instant, c’est seulement le pétrole et gaz », précise Laurent Ferreira.

La banque montréalaise avait déjà fait connaître ses intentions de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25 % d’ici 2025 en vue d’atteindre la carboneutralité en 2050. Ces objectifs ont d’ailleurs été inclus dans les critères d’évaluation des hauts dirigeants de l’entreprise, en novembre dernier.

Les banques sous pression

Les grandes banques canadiennes sont dans la mire des environnementalistes et d’investisseurs, qui remettent en question le financement des activités pétrolières. Le secteur représente 10 % de l’économie canadienne et les banques du pays sont d’importants bailleurs de fonds de l’industrie.

Signe de l’intérêt des investisseurs, la proposition du MÉDAC d’adopter un vote consultatif sur la politique environnementale de la Banque Nationale a obtenu l’appui de 23 % des actionnaires lors de l’assemblée. Il s’agit d’un taux d’appui relativement élevé pour une proposition d’un actionnaire activiste. En comparaison, les deux autres propositions du MÉDAC, dont l’une portant sur la langue française, ont obtenu un soutien de 3 % et 1 %.

Le conseil d’administration avait recommandé aux actionnaires de rejeter l’adoption du vote consultatif, estimant qu’un dialogue avec les actionnaires était plus efficace. « Ce n’est pas deux idées qui s’opposent, estime Willie Gagnon. Il y a un moyen de combiner les deux: un vote consultatif et du dialogue. »

Les risques économiques augmentent

Sur l’économie, Laurent Ferreira admet qu’il n’aimerait pas se trouver dans les souliers des banquiers centraux qui doivent mener la guerreà l’inflation. Dans un contexte où l’inflation semble exacerbée par le conflit en Ukraine, il s’interroge à savoir si la hausse des taux d’intérêt sera suffisante pour contenir l’augmentation des prix. « Est-ce que la hausse des taux d’intérêt va avoir un impact sur l’inflation? On pense tous que oui, mais il y a des déclencheurs qui ne sont pas sous notre contrôle. Il y a pas mal d’incertitude alentour de tout ça. »

Le resserrement de la politique monétaire vient augmenter les probabilités d’une récession, mais le banquier croit que l’économie du Québec reste forte. « On a encore une économie qui est solide au Canada et au Québec. Il y a encore beaucoup de liquidités chez les consommateurs, ce qui permet de croire qu’ils seront en mesure d’absorber le choc des taux d’intérêt et le choc de l’inflation lors du renouvellement de leur hypothèque. »