Pour M. Wilson, ce n’était pas seulement une journée calme au centre commercial. C’était plutôt un autre signe de l’économie chancelante de l’Alberta, et encore une autre indication que les dépenses de consommation dans la ville et dans le pays étaient en train de ralentir. Ces cinq dernières années, les dépenses des Canadiens se sont accrues à un rythme solide, en moyenne de 3,2 % par an depuis 2010.

Mais les chiffres sont en baisse. Au premier trimestre, les ventes au détail ont augmenté de 5,6 % d’une année sur l’autre, de 3,8 % au deuxième trimestre et ensuite de seulement 2 % au cours du troisième trimestre. Benjamin Tal, économiste en chef adjoint de Marchés mondiaux CIBC, s’attend à ce que la croissance des ventes au détail chute au-dessous de 3 % en 2017.

Les dépenses des consommateurs représentant plus de 60 % de la croissance économique canadienne, un ralentissement affectera certainement l’économie, mais il pourrait influer aussi sur les actions des détaillants canadiens. « C’est proportionnel, ça ne fait aucun doute », dit M. Tal sur l’impact qu’exercent les dépenses de consommation sur les bénéfices des compagnies. Si les gens dépensent moins, les affaires des détaillants sont moins bonnes et les actions finissent par chuter, dit-il.

Un marché de l’emploi déprimé et de mauvaises créances

Il y a deux raisons principales pour lesquelles les dépenses diminuent : la faiblesse du marché de l’emploi et un endettement trop élevé. Bien que le nombre des emplois se soit accru (l’économie canadienne a enregistré environ 183 000 emplois de plus depuis janvier), la plus grande partie de ce gain est due aux emplois à temps partiel. Depuis le début de l’année, 214 000 emplois à temps partiel ont été ajoutés, alors qu’environ 30 000 emplois à plein temps ont été perdus.

Travailler à temps partiel est mieux que rien, mais ce n’est pas le type de travail dont une économie a besoin pour aller de l’avant, dit M. Tal. Le nombre d’emplois à temps partiel a aussi abouti à une faible croissance des salaires, ceux-ci ayant augmenté d’un maigre 1,5 % d’une année sur l’autre en novembre, ce qui est inférieur à l’inflation.

De nombreux Canadiens sont aussi surendettés. Le dernier rapport sur l’endettement des consommateurs publié par Equifax, qui examine les dettes non liées aux hypothèques, a trouvé qu’elles s’élèvent, en moyenne, à 22 081 $, soit une hausse de 3,6 % par rapport à l’an dernier. De plus, 1,14 % des personnes endettées ont au moins 90 jours de retard dans le paiement de leurs dettes, contre 1,05 % à la même période l’an dernier. Tôt ou tard, les dépenses de consommation vont s’en ressentir.

M. Tal est particulièrement inquiet sur ce qui pourrait arriver lorsque les taux d’intérêt canadiens augmenteront. Si les taux hypothécaires augmentent, et qu’une part plus importante de l’argent est consacrée au logement, il en restera peu pour les détaillants. Rembourser les lignes de crédit ou autres dettes pourrait aussi s’avérer difficile. En fait, il pense que l’augmentation de l’endettement est le risque numéro un pour l’économie canadienne. « Il n’est pas inconcevable que la prochaine récession sera issue du consommateur », dit-il.

Baisse des dépenses et des cours boursiers

Depuis 2010, le secteur de la vente au détail a connu une croissance remarquable. L’Indice plafonné de la consommation de base S&P/TSX a augmenté de 148 % au cours des six dernières années, tandis que l’Indice plafonné de la consommation discrétionnaire S&P/TSX a augmenté de 115 %. L’Indice composé S&P/TSX a augmenté de 24 % au cours de la même période. C’est une autre histoire depuis le début de cette année. L’Indice composé S&P/TSX a augmenté de 17 % alors que les actions des biens de consommation discrétionnaire et de base n’ont augmenté respectivement que de 9 et 7 %.

Bien qu’ils soient tous les deux en hausse pour l’année, c’est la première fois depuis 2009 que les deux secteurs se sont sous-classés par rapport à l’indice principal. Cela n’est pas une coïncidence : des dépenses inférieures signifient une croissance des bénéfices inférieure, si bien que ces actions sont moins attrayantes qu’elles ne l’étaient par le passé, dit Zain Akbari, analyste d’actions à Morningstar. « La certitude des dépenses a des implications réelles et très importantes sur ce que les compagnies peuvent faire à l’avenir », dit-il.

D’autres forces pèsent aussi sur l’espace du commerce au détail. L’incertitude entourant les projets de Donald Trump quant aux accords commerciaux pourrait être un obstacle pour ce secteur car les détaillants canadiens pourraient être touchés par d’éventuelles barrières tarifaires appliquées à l’importation et l’exportation de marchandises, dit M. Wilson. De plus, le passage du commerce en magasin au commerce en ligne, bien qu’encore à ses débuts au Canada, rend tout le secteur plus concurrentiel, et il est donc encore plus difficile pour les compagnies traditionnelles d’augmenter leurs marges, dit M. Tal.

Dans l’espace de la vente au détail, les marges bénéficiaires et les volumes des ventes sont essentiels pour réussir. Si les marges n’augmentent pas en raison de la réduction des coûts ou de la faiblesse des ventes aux consommateurs, les compagnies ne peuvent pas assurer la croissance. À l’heure actuelle, l’accroissement de ces marges ne s’annonce pas. « Le pouvoir de tarification ne cesse de baisser, dit M. Tal. Il y a moins de volume, moins de marges bénéficiaires et cela aura un impact sur les évaluations. Il devient difficile de gagner de l’argent dans cette conjoncture. »

Il est peu probable qu’à l’avenir, le commerce de détail soit le secteur de prédilection comme il l’était autrefois. Toutefois, les investisseurs peuvent toujours choisir leurs créneaux. Adrienne Young, directrice de la recherche sur le crédit à Franklin Bissett Investment Management, pense que les détaillants à prix réduit, comme Dollarama (DOL), ou les épiceries meilleur marché comme la très populaire chaîne No Frills, propriété de Loblaw Cos. Ltd. (L), s’en sortiront bien si les dépenses sont mises sous pression. Elle pense aussi que les sociétés de consommation discrétionnaire dotées de produits différenciés continueront à bien se comporter. « Si vous pouvez trouver un article générique moins cher ailleurs, les gens achèteront l’article le moins cher, dit-elle. L’article vraiment unique en sera avantagé. »

L’exploitant de commerce de détail Alimentation Couche-Tard (ATD.A) est une autre firme qui devrait bien réussir dans cette conjoncture, dit M. Wilson. Non seulement vend-elle de nombreux produits de consommation de base, qui sont moins affectés que les biens de consommation discrétionnaire durant les périodes économiques difficiles, mais c’est une entreprise internationale qui affiche un historique éprouvé de croissance par acquisitions. « C’est l’un des meilleurs exploitants », dit M. Wilson.

Bien que des occasions se présentent toujours dans des opérations à croissance plus élevée qui continuent à conquérir des parts de marché, les investisseurs devraient peut-être demeurer dans l’expectative vis-à-vis des détaillants à l’heure actuelle. Nous ne sommes pas dans un scénario apocalyptique (certains avoirs continueront à générer de l’argent), mais jusqu’à ce que les projets commerciaux de M. Trump soient plus clairs, et jusqu’à ce que les emplois canadiens à temps plein augmentent à nouveau, il serait préférable de ne pas ajouter trop de détaillants canadiens à votre combinaison d’actifs. « Le commerce au détail ne constitue pas une option évidente en ce moment, dit M. Wilson. Cependant, bien que le Canada ait ses propres difficultés, nous ne sommes pas en récession, mais il faut que règne moins d’incertitude. »