Hausse de taux de la Fed: trois gestionnaires se prononcent


Dans la première partie de notre couverture de la table ronde Morningstar sur les titres à revenu fixe, trois gestionnaires évaluent la probabilité d’une augmentation du taux si influent des fonds fédéraux américains d’ici la fin de l’année, et expliquent pourquoi le Canada ne va probablement pas suivre cet exemple.
 

Question : Quand la Réserve fédérale américaine augmentera-t-elle son taux d’intérêt directeur? Le taux cible se situe entre 0 et 0,25 % depuis la fin de 2008.

Michael McHugh, vice-président et chef des titres à revenu fixe à 1832 Gestion d’actifs (MM): Certains facteurs mondiaux ont récemment pris plus d’importance dans la décision de la Fed. La faiblesse des marchés boursiers mondiaux semble provenir des marchés émergents, en Asie, et plus précisément en Chine. On craint un ralentissement encore plus général dans les marchés émergents, et cela a eu récemment un impact plus important sur les marchés financiers. La Fed y est sensible et cherche à contenir la volatilité des marchés financiers américains. On ne sait pas très bien quelles seront les ramifications à long terme d’une faiblesse persistante des marchés financiers mondiaux. Comment cela va-t-il influer sur le dollar américain, et potentiellement sur l’économie intérieure des États-Unis? L’incertitude, la volatilité et l’instabilité vont probablement inciter la Fed à marquer une pause et à retarder la hausse des taux.

David Stonehouse, vice-président et membre de l’équipe des titres à revenu fixe chez Placements AGF  (DS): À la base, le double objectif de la Fed est de maximiser l’emploi et de contenir l’inflation dans une limite d’environ 2 %. La Fed a pris conscience d’un troisième volet de la politique monétaire, qui est la stabilité financière. La Fed n’a pas fait mystère de son intention de se concentrer sur l’économie intérieure des États-Unis en prenant les mesures appropriées quant à son taux directeur. Par ailleurs, la Fed a aussi indiqué qu’elle était préoccupée par la stabilité financière. Il est impossible pour la Fed d’ignorer l’impact de ses décisions sur le reste du monde.

Les récentes turbulences des marchés émergents et des marchés des capitaux, et par conséquent des marchés financiers américains, ont probablement influencé la réflexion de la Fed quant à la possibilité de commencer à augmenter son taux directeur en septembre.

MM : Les conditions intérieures aux États-Unis auraient tendance à militer en faveur d’une hausse des taux cette année, mais les conditions mondiales pourraient la retarder.

DS : Les chiffres de l’économie américaine ont été suffisamment anémiques pour que, seulement sur ces bases, la Fed ne souhaite pas augmenter son taux, à supposer qu’on ignore où se situe actuellement sa politique monétaire. La croissance économique américaine est modeste, les ventes au détail et la production industrielle n’ont pas été à la hauteur, et l’inflation américaine est faible. Cela pourrait suggérer que la Fed n’a pas besoin de bouger. L’argument en faveur d’une augmentation des taux est que le taux directeur de la Fed est de zéro et que cela ne se justifie plus. Cela s’inscrivait dans une politique d’urgence vis-à-vis de la crise financière mondiale.

Q : Alors, à quand la hausse du taux?

DS : Chez AGF, nous croyons que la Fed ne haussera pas les taux avant 2016, et nous le pensons depuis 2014. Je crois que Michael a raison, et qu’il y a une forte probabilité que la Fed retarde la hausse. Toutefois, elle risque de perdre de sa crédibilité; à un certain point, il va falloir qu’elle intervienne en faveur d’un niveau de taux fédéraux plus normal.

MM : Les débats sont ouverts sur une hausse en décembre ou repoussée jusqu’en 2016. Il se peut que le moment pour le faire soit passé. De faibles rendements créent une mauvaise affectation du capital et une distorsion du prix des actifs.

Steve Locke, vice-président principal et chef de l’équipe des placements à revenu fixe à Placements Mackenzie (SL) : Je pense que la Fed va intervenir en décembre. L’instabilité des marchés financiers l’incite à retarder ce qui aurait été autrement une hausse de 25 points de base en septembre, avec une lente trajectoire de hausses pendant une année ou deux. La Fed devrait augmenter les taux, en rapport principalement avec le prix des actifs, les bulles d’actifs et l’endettement dans le monde. La Fed et d’autres banques centrales ont exacerbé cette situation par des conjonctures de taux directeurs faibles combinés à un allègement quantitatif. La bulle des actifs financiers devient de plus en plus fragile, à moins qu’on ne la perce pour la dégonfler un peu.

MM : D’autres facteurs sont déjà en train de percer la bulle.

SL : Les risques qui ont déjà été créés par des conjonctures à faible rendement et par des taux directeurs très bas nous ont conduits à ce degré de volatilité sur le marché.

MM : Oui, cela a gonflé le prix des actifs.

SL : Il y a eu la panique sur certains marchés, notamment dans les pays émergents, ces derniers mois.

DS : En résumé, compte tenu de l’arrière-plan macroéconomique et du niveau élevé d’endettement, des difficultés que créent une stimulation de la croissance économique par la politique monétaire, et des pressions désinflationnistes, voire déflationnistes, nous demeurons dans une conjoncture persistante de faibles taux d’intérêt. Nous avons devant nous un cycle de hausses graduelles des taux. Normalement, une augmentation des taux provoquerait une liquidation dans les moindres recoins du marché obligataire. Ce n’est pas nécessairement comment les choses vont se dérouler cette fois.

MM : Le taux directeur auquel la Fed marquera probablement une pause ou s’arrêtera d’augmenter les taux sera vraisemblablement plus bas que les niveaux historiques atteints à la fin d’un cycle de hausse des taux. L’objectif de la Fed dans ce cycle est d’obtenir un taux réel positif des fonds fédéraux. Comment les investisseurs réagiront-ils à la hausse initiale? Historiquement, cela les a incités à vendre des obligations. La probabilité est forte, mais risque d’être tempérée par la réalisation que le chemin pris cette fois est plus modéré.

SL : Entièrement d’accord. Une fois que commencera cette série d’augmentations des taux par la Fed, il faudra s’attendre à une liquidation plus brève sur le marché obligataire.

MM : Il y a une grande inconnue dans les cartes, si les gestionnaires des réserves de change, notamment ceux de l’Asie émergente, vendent des bons du Trésor américain pour soutenir leur devise ou financer des programmes fiscaux. La Chine est une des grandes détentrices de bons du Trésor américain. Cette décision pourrait mettre une importante pression à la vente des bons du Trésor américain et faire augmenter leurs rendements. Cela pourrait resserrer les conditions financières aux États-Unis en faisant augmenter les rendements et les primes de risque. Cela pourrait s’inscrire en faux contre l’intention de resserrement de la Fed. La question est la suivante : ce mouvement de vente des banques centrales des marchés émergents pourrait-il provoquer une hausse encore plus importante des rendements obligataires aux États-Unis? On a peur que cette liquidation ne soit pas mesurée et cause des dommages collatéraux. Si elle reflète des inquiétudes sur l’affaiblissement de la croissance économique aux États-Unis, elle coïncidera probablement avec un mouvement de liquidation des actions et aura un impact délétère sur le sentiment des investisseurs. Cela pourrait aussi en avoir un sur les entreprises et les décisions d’investissement. Les ramifications négatives d’une liquidation aussi soudaine et importante ne manquent pas.

Q : Et la Banque du Canada et le marché obligataire canadien? Le Canada suit la trajectoire opposée de celle des États-Unis. (La Banque du Canada a maintenu son taux directeur à 0,50 % le 9 septembre.)

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Q : Et la Banque du Canada et le marché obligataire canadien? Le Canada suit la trajectoire opposée de celle des États-Unis. (La Banque du Canada a maintenu son taux directeur à 0,50 % le 9 septembre.)

SL : Ce que nous pensons, c’est que la Banque du Canada va encore réduire son taux directeur. Il y a eu d’abord une baisse surprise du taux en janvier (de 25 point de base, pour atteindre 0,75 %), et le marché s’attendait à ce qui cela fût suivi d’une deuxième réduction en mars ou en avril. Cela fut retardé jusqu’en juillet, date à laquelle une autre réduction de 25 points de base est intervenue pour porter le taux à 0,50 %. L’économie canadienne s’est clairement sous-classée par rapport aux projections de la Banque du Canada pour l’année à ce jour. À en croire les deux derniers trimestres, le Canada est théoriquement en récession. Il y a une érosion importante de certaines statistiques, surtout dans les régions touchées par le prix des matières premières, comme l’Alberta ou la Saskatchewan. Compte tenu des données économiques et du niveau des cours pétroliers, nous pensons que la Banque du Canada devrait procéder à une autre réduction.

MM : Je crois qu’une autre réduction serait une erreur. Les rendements sont déjà extrêmement faibles au Canada. Il faut se rappeler que l’affaiblissement causé par le cours des matières premières est principalement régional, et pas national. Puisque ce problème est lié aux matières premières, une baisse des taux d’intérêt ne le résoudra pas. Plus important encore, l’endettement des familles canadiennes est élevé et continue à augmenter. Réduire le taux bancaire risque de renforcer cet endettement et de créer le potentiel d’un problème beaucoup plus important plus tard.

DS : Je suis d’accord avec Michael.

Q : Le résultat des élections fédérales d’octobre aura-t-il un impact sur le marché obligataire canadien?

MM : Le risque, c’est que s’il y a un gouvernement fédéral de gauche et que la perception du public est qu’il va dorénavant augmenter l’imposition et les dépenses de l’État, cela pourrait inciter les investisseurs étrangers à se défaire de leurs avoirs obligataires canadiens. Compte tenu de l’évaluation élevée des titres à revenu fixe canadiens par rapport à leurs homologues américains, il n’y a aucune protection contre cette tendance que pourraient avoir les investisseurs étrangers.