Chaque crise financière est différente... mais la meilleure réaction reste la même
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Peut-être qu’il en sera de même avec le vote du Brexit. Peut-être que l’Oscar du meilleur film en 2025 ira à une satire décapante sur l’absurdité collective des riches de la nation, qui ont réalisé des profits colossaux sur leurs portefeuilles après la crise de 2008 pour seulement restituer ces gains durant la dépression mondiale causée par le démantèlement de l’Europe. La vérité se trouvait devant leur nez, mais ils étaient aveugles! Le public part satisfait; les riches ont récolté ce qu’ils ont semé.

Il pourrait en être ainsi. Ou alors, il se peut que le Brexit affectera le cours des actions comme l’ont fait la crise financière grecque, les actes d’agression du président Poutine, la décote des obligations américaines du S&P, et le bras de fer politique sur le budget à Washington. Ces éléments ont éclaboussé les places boursières comme un ballon rempli d’eau qui frapperait un éléphant. À ce moment-là, chacun d’entre eux semblait important à l’échelle mondiale, causant plusieurs semaines de pertes boursières accompagnées de commentaires angoissés.

Voici un aperçu de ce qui se disait en 2011 à propos de la décote par S&P (tiré du Wall Street Journal, 6 août 2011: « Mais cette décision du S&P pourrait alimenter la thèse psychologique d’une reprise économique américaine qui ne trouve rien à quoi s’accrocher, et qui pourrait endommager encore davantage la foi de plus en plus vacillante des investisseurs en un système politique qui a du mal à trouver le consensus même sur les questions de politique quotidienne. Cela pourrait mener à des décotes de crédit rapides de nombreuses firmes et états et faire augmenter leurs coûts d’emprunt. Les décideurs s’inquiètent aussi de toutes les chausses trappes que cette décision pourrait soudain révéler. »

À ce moment-là, ce passage semblait très sensé. L’économie crachotait, la croissance était bien plus lente qu’on ne l’espérait après une forte récession. La confiance des entreprises et des consommateurs était faible, les politiciens se querellaient, et la cote de crédit des États-Unis venait d’être réduite. Nul besoin d’avoir l’imagination active pour prévoir que ces secousses allaient mener à un effondrement, l’augmentation des écarts de crédit entraînant la fuite des investisseurs vers les titres de qualité, les entreprises prenant peur et réduisant leurs dépenses, et ainsi de suite.

Le S&P 500 a dérapé, puis a gagné 16 %, 32 % et 14 % au cours des trois années suivantes. Personne ne produira de film pour se moquer de la folie des investisseurs présomptueux de 2011.

Où je veux en venir? Il n’est jamais évident de prévoir les tournants de la bourse avant qu’ils ne se produisent. Bien sûr, les actions technologiques étaient très chères en 2000 et cela a fait l’objet de débats fervents qui frôlaient l’hystérie. (Les analystes d’actions technologiques de Morningstar ont reçu plusieurs menaces, y compris de mort, pour leur manque d’optimisme.) Pas besoin d’être un génie pour réaliser qu’on n’avait pas grand-chose à y gagner. Mais ça n’avait pas non plus été le cas quatre ans auparavant, lorsqu’Alan Greenspan déplorait l’apparente irrationalité de l’exubérance des marchés.

Une réponse raisonnable à cela serait que les tournants des marchés ne sont peut-être pas évidents pour un blogueur, mais ils peuvent certainement l’être pour les meilleurs et les plus intelligents. Comme l’a montré Le Casse du siècle, des investisseurs de divers milieux ont su détecter la bulle immobilière avant qu’elle n’éclate. Plus nombreux sont ceux qui ont anticipé l’éclatement du secteur de la technologie de 2000-2002, car des centaines de fonds spéculatifs avaient évité complètement cet effondrement. Beaucoup de gestionnaires ont aussi évité le crash de 1987, notamment plusieurs d’entre eux qui dirigeaient des fonds de placement.

Malheureusement, presqu’aucun d’entre eux n’a su reproduire son succès. Les héros et héroïnes de 1987 ont échoué lamentablement durant le marché haussier des années 90, si bien qu’ils ne géraient plus de fonds lorsque le marché baissier suivant est apparu. Les fonds spéculatifs qui ont si bien réussi au début du nouveau millénaire ont été surpris par le marché baissier qui a suivi en 2008. Les vedettes de la crise financière ne brillent plus non plus. Notamment, le plus grand champion de la vente à découvert en 2007, John Paulson, a récemment été forcé de réinvestir certains de ces profits dans son fonds spéculatif en difficulté.

Par conséquent, pour ce qui est du vote du Royaume-Uni approuvant la sortie de l’Union européenne, voici ce que nous pouvons dire :

1- Cela pourrait marquer le pic du marché haussier actuel, ou peut-être pas.
2- Si c’est vraiment le pic du marché haussier, certains gestionnaires de portefeuille le savent, et en profiteront grassement.
3- Malheureusement nous ne savons pas qui sont ces gestionnaires. Il ne s’agit pas de personnes qui ont évité les marchés baissiers précédents. Ce sont plutôt des nouveaux venus. Ils auront raison cette fois-ci, mais seulement cette fois-ci. Ils n’anticiperont pas le prochain marché baissier, et probablement aucun autre marché baissier.

Dire que les vedettes du marché baissier aient été chanceuses, à la manière dont des singes lançant des fléchettes ou un chat faisant sauter des souris pourrait reproduire leur exploit, est vraiment simpliste.

Assurément, certains gestionnaires de portefeuille ont bel et bien eu de la chance. Ils ont pressenti certains aspects de réalité qui allait s’imposer, sans arriver à une totale compréhension des problèmes. Ils ont investi en suivant leur intuition, et lorsque le marché baissier est survenu, ils ont fini par se faire croire à eux-mêmes et convaincre les observateurs qu’ils l’avaient toujours su. Ils espéraient avoir raison, et la pièce est tombée du bon côté.

Mais d’autres méritaient totalement leur succès. Ils avaient effectué la bonne analyse et réalisé qu’un revirement de situation était inévitable. Les pertes devaient survenir, c’était fatal. (Bien sûr, comme le montre de façon éclatante Le Casse du siècle, on ne peut pas connaître avec précision le moment de l’avènement d’un marché baissier, et on peut beaucoup souffrir en l’attendant. Quand à profiter des marchés baissiers, on peut avoir raison, et pourtant se tromper.)

Le problème est que les marchés baissiers potentiels ne se ressemblent pas nécessairement. Chaque bouleversement boursier diffère dans ses caractéristiques, suffisamment pour qu’un gestionnaire qui effectue une analyse correcte dans un cas puisse ne pas voir le problème dans le cas suivant. (Ou peut-être que le gestionnaire a le problème opposé, et prévoit huit des deux prochains marchés baissiers.) Le talent d’un génie des marchés baissiers n’est pas transférable.

Chaque crise financière est différente. Pour cette raison, nous ne pouvons pas appliquer les enseignements du passé pour connaitre l’avenir. Nous ne pouvons pas non plus compter sur ceux qui ont eu raison la dernière fois. Il n’y a rien à faire, logiquement, que de suivre le mouvement cahin-caha comme toujours, et de se référer à une logique selon laquelle les marchés augmentent plus qu’ils ne baissent et que, sans connaitre l’avenir, nous ne pouvons pas savoir quel spécialiste du placement aura raison pour cette crise-ci.