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Les banques sont à un carrefour. Alors qu’elles ont vu leurs marges se réduire de plus de 25 %, au cours des 15 dernières années, elles pourraient subir une autre baisse de 20 % au cours de la prochaine décennie, révèle une étude de McKinsey.

Une transformation s’impose pour mieux répondre aux changements réglementaires et à l’intensification de la concurrence avec de nouveaux joueurs comme Amazon, Google, Microsoft, PayPal et Spotify au modèle économique largement supérieur.

Selon McKinsey, les banques qui réussiront à se réaligner deviendront plus grandes et plus rentables et se développeront plus rapidement avec une opportunité de création de valeur pouvant atteindre 20 000 milliards de dollars (G$). À la clé, des marges plus élevées, de nouvelles sources de revenus et des valorisations supérieures.

À l’ère de la « plateformisation » interindustrielle

À l’échelle mondiale, les grandes banques gèrent actuellement des actifs estimés à 370 000 G$. Au cours de la prochaine décennie, ils devraient croître pour se situer entre 500 000 et 550 000 G$.

Si les banques traditionnelles ont été des guichets uniques pratiques, nombre d’entre elles n’ont pas fait évoluer leurs produits et services au même rythme que les autres secteurs d’activité.

Pour être plus compétitives, elles devront adopter des plateformes interindustrielles qui suppriment les barrières entre les industries traditionnelles, remodèlent le comportement des clients et transforment les chaînes de valeur autrefois linéaires en écosystèmes qui répondent aux besoins des clients de manière inédite.

Selon McKinsey, environ 200 banques numériques ont été lancées depuis 2015, tout comme de nouvelles sociétés de courtage, des services de conseil en patrimoine ou des plateformes de financement participatif. Même si certains de ces joueurs ont été malmenés en 2022 — comme la plateforme de courtage en ligne Robinhood — ils ont néanmoins relevé la barre des attentes des clients, autant des particuliers que des entreprises, qui recherchent des « niveaux élevés de personnalisation et un engagement en faveur de l’impact social et environnemental ».

Contrer la baisse de valorisation

Les marchés financiers mondiaux croient aux chances de succès de cette concurrence émergente. Selon McKinsey, en septembre 2022, il y avait au moins 274 entreprises fintech dont la valorisation était supérieure à 1 G$, contre seulement 25 en 2017. Collectivement, ces entreprises ont une valeur marchande de plus de 1 000 G$.

De leur côté, les banques traditionnelles affichent une stagnation ou une diminution de leurs revenus et bénéfices. Le rendement des capitaux propres bancaire mondial moyen (ou ROE pour return on equity) était d’environ 9,5 % en 2021, en baisse par rapport aux 15 % d’avant la crise de 2008. D’ici 2030, les auteurs de l’étude prévoient qu’il passera sous la barre des 7,2 %.

Le phénomène contribue à son tour à l’affaiblissement des valorisations boursières. Par rapport aux autres secteurs, les actions bancaires s’échangent avec une décote de plus en plus importante, passant de 15 % en 2000 à 70 % en 2022.

Des modèles commerciaux émergents

Selon McKinsey, les banques devront composer avec une nouvelle concurrence dans cinq domaines spécifiques :

  • la banque au quotidien,
  • le conseil en investissement,
  • le financement complexe,
  • l’intermédiation de masse
  • et la banque en tant que service (BaaS).

Des arènes au fort potentiel de croissance où les revenus pourraient augmenter de façon spectaculaire, soit de trois à trente fois.

  • La banque au quotidien

Elle englobe les services financiers courants, tels que les comptes chèques et les comptes d’épargne, les cartes de crédit, les prêts personnels, le traitement des paiements et les lignes de crédit pour les particuliers et les PME. Il s’y ajoute également des écosystèmes de commerce électronique, des programmes de fidélisation, des remises, de la publicité et des marchés de pair-à-pair. Cela fait en sorte que les opérations bancaires deviennent une activité facile et même agréable.

Kaspi en est un bon exemple. La fintech du Kazakhstan, qui a fait son entrée en bourse à Londres en octobre dernier avec une valorisation de 6,5 G$, a prouvé qu’il était possible de transformer les services bancaires quotidiens, et ce, même dans un pays éloigné des centres de la finance mondiale. Son succès repose sur ses trois piliers :

  • des services financiers étendus (dont différents types de prêts),
  • une place de marché offrant les produits de plus de 250 000 marchands partenaires
  • et les paiements en ligne (comptes courants, factures, taxes, etc.).

Plus près de nous, il y a la Banque Royale qui a développé tout un écosystème en créant des outils ou en acquérant des start-ups par le biais de RBC Ventures pour offrir de nouveaux services à sa clientèle dans des domaines aussi variés que la conception de sites web et l’enregistrement d’entreprises avec Ownr, la rénovation domiciliaire (Smart Reno) ou la gestion financière personnelle grâce à NOMI, un outil piloté par l’intelligence artificielle.

Peu importe le modèle adopté, les services doivent être sans tracas, fiables, hautement automatisés et peu coûteux. L’objectif ultime de la banque au quotidien est l’invisibilité, souligne McKinsey.

  • Le conseil en investissement

Un domaine qui comprend la planification financière, le courtage, les fiducies, les plans de retraite et de nombreux types d’assurance proposés à différents segments de clientèle, des jeunes qui commencent tout juste à se constituer un patrimoine jusqu’aux personnes plus âgées qui ont besoin d’investissements sophistiqués sans oublier les entreprises pour des conseils B2B sur mesure (gestion d’actifs, options d’endettement, etc.).

WeBank, propriété du géant chinois Tencent, connu pour ses applications de messageries instantanées dont Wechat, est bien positionnée dans ce domaine. La stratégie de WeBank repose sur les trois A :

  • des services facilement « accessibles » via la banque mobile 24/7,
  • « abordables » pour attirer les populations sous-bancarisées
  • et des produits et services « appropriés » grâce au big data.

L’avantage de WeBank : la gigantesque base de clients et les données de l’écosystème Tencent. Elle est aussi soucieuse d’améliorer constamment l’efficacité de sa plateforme en investissant chaque année 10 % de son chiffre d’affaires annuel dans une infrastructure informatique de premier ordre, une stratégie gagnante.

  • Le financement complexe

C’est le domaine des services aux particuliers et aux entreprises qui nécessitent plus de sophistication que les services bancaires courants. Il s’agit par exemple des prêts hypothécaires, des prêts immobiliers, des prêts automobiles et des prêts aux jeunes entreprises.

Ils sont utilisés moins fréquemment, mais ont un impact important sur les clients. L’objectif est de les aider à se frayer un chemin dans des écosystèmes souvent complexes où interviennent de nombreux acteurs, que ce soit pour un achat immobilier ou l’acquisition d’équipements et de véhicules. Le but ultime : rendre les parcours pratiques, efficaces, rapides, peu coûteux et aussi personnalisés que possible du début à la fin.

  • L’intermédiation de masse

Ce domaine comprend la finance d’entreprise, la gestion de trésorerie, la gestion de portefeuille, le conseil en fusions et acquisitions, le financement par actions et par emprunt, ainsi que d’autres offres traditionnelles de banque d’investissement.

 

L’intermédiation de masse vise l’efficacité extrême et le savoir-faire. Elle s’appuie sur des modèles commerciaux comme des places de marché automatisées de négociation et de financement et des plateformes intégrées de services aux sociétés, tels que la comptabilité, le commerce des matières premières et la planification des ressources de l’entreprise.

  • La banque en tant que service (BaaS)

Les fournisseurs de BaaS créent des plateformes technologiques et d’infrastructure très efficaces, qu’ils peuvent céder sous licence à des organisations, en vue de leur permettre d’offrir des services et des liquidités robustes, sûrs et efficaces à leurs clients. Ils sont en quelque sorte l’équivalent des entreprises alimentaires fournissant des marques maison dans les chaînes d’épicerie. Il existe également des fournisseurs de bilans BaaS qui permettent d’accéder à des pools de capitaux distincts et offrent aux non-banques une gestion actif-passif et les licences requises par la réglementation. En renforçant les bilans des clients des banques, ce type de BaaS réduit considérablement leur besoin de continuer à lever des capitaux.

Malgré les défis à venir, les banques ont encore le temps de transformer leur modèle d’entreprise, soutiennent les auteurs de l’étude. Pour y arriver, elles doivent suivre ces cinq étapes clés :

  1. Décider quels sont les domaines et les modèles d’affaires sur lesquels se concentrer, en fonction de ses points forts.
  2. Aligner les ressources organisationnelles — en particulier les talents technologiques — sur les changements à venir.
  3. Commencer à développer et à tester les modèles économiques de plateforme.
  4. Redéfinir ses objectifs (y compris l’impact sur l’environnement, la société et la gouvernance) afin de créer des liens plus forts avec les clients et les talents.

5.Créer une culture plus entrepreneuriale en protégeant les projets expérimentaux des pressions conservatrices au sein de l’organisation — et donner à la direction des incitations à réussir.