«L’industrie traverse en quelque sorte une tempête parfaite», indique Jacques Desbiens, président du conseil d’administration et président-directeur général d’UV Mutuelle.
Outre la faiblesse persistante des taux d’intérêt qui accroissent la valeur actuarielle des promesses des assureurs, Jacques Desbiens déplore l’incertitude qui entoure l’implantation éventuelle des normes comptables internationales IFRS 4 phase II.
Ces nouvelles normes, qui risquent d’entraîner une importante volatilité dans les résultats financiers des assureurs, pourraient sonner le glas des produits assortis de garanties à long terme. «On ne sait pas encore comment ça va tourner», note Jacques Desbiens.
De plus, les assureurs s’attendent à composer avec de nouvelles réglementations, en plus de normes plus strictes en matière de capital réglementaire et d’une hausse des investissements en technologie afin de rejoindre les clients.
Consolidation en cascade
À ces défis s’ajoute la vague récente de consolidations marquée par l’acquisition des activités canadiennes de la Standard Life par la Financière Manuvie et la vente de Transamerica Vie Canada au réassureur américain Wilton Re par l’assureur hollandais Aegon N.V.
Cette vague d’acquisitions est conditionnée par les nouvelles obligations de conformité, qui sont «extrêmement exigeantes», d’après Richard Gagnon, président et chef de la direction de Humania Assurance.
L’embauche de «deux avocats et trois techniciens en conformité n’est pas à la portée de tous», dit-il.
Étonné de l’ampleur de ce mouvement de consolidation, Richard Gagnon avance différents facteurs qui peuvent expliquer le phénomène. «Nous constatons de la part des distributeurs la volonté de développer des marques de commerce fortes, ce qui requiert un certain volume».
Le chef d’Humania Assurance évoque aussi «le peu de relève prête à prendre le relais des entrepreneurs qui ont développé les cabinets d’aujourd’hui, et qui font partie pour la plupart de la génération de baby-boomers, ce qui force inévitablement les regroupements et la consolidation».
Pour sa part, René Rouleau, président du conseil et chef de la direction de La Capitale groupe financier, s’attend à une autre vague de consolidation «d’ici les trois à quatre prochaines années.»
Selon lui, «les cinq plus grands assureurs vont continuer à contrôler près de 80 % des parts de marché, alors que sur un horizon de cinq à huit ans, les 20 % de parts de marché restantes pourraient être partagés entre moins d’acteurs».
René Rouleau croit aussi que «les accords de Bâle 3 et les tests de capitaux amènent les banques à se retirer des compagnies d’assurance».
La vague de consolidation s’explique par la baisse des taux d’intérêt et l’application des nouvelles IFRS, avance Gino Savard, président de Mica Services financiers : «L’augmentation des réserves actuarielles pour les produits d’assurance, c’est de l’argent qui dort, de l’argent passif», avance-t-il.
Impact important des normes IFRS
En ce qui concerne les exercices ouverts depuis le 1er janvier 2011, les normes comptables IFRS sont les normes de référence lors de l’établissement des états financiers pour les entités qui ont une obligation d’information du public.
La mise en place de ces normes, qui ont pour objectif «d’améliorer l’information financière en fournissant des règles uniformes pour la comptabilisation des contrats d’assurance», requiert des ajustements importants de la part des assureurs. L’implantation de la phase I est en cours, lit-on dans le rapport de l’AMF.
L’entrée en vigueur d’une phase II est prévue en 2018. «Des modifications substantielles devraient être apportées aux différents systèmes de gestion de données des assureurs et pourraient avoir un impact sur certaines décisions stratégiques en termes de produits ou de marché», lit-on également.
Le référentiel proposé, s’il est adopté sans modification, «pourrait entraîner un niveau de volatilité très important des résultats des assureurs de personnes», précise-t-on dans le rapport.
Pour René Rouleau, un bon rattrapage a été accompli en matière de règles comptables depuis la crise de 2008. Il considère qu’il est important que les règles à cet effet soient plus claires.
«L’absence de nuance dans l’application de ces règles peut toutefois entraîner des effets pervers, s’inquiète-t-il. Si ces règles ont pour but de geler artificiellement du capital ou de nous amener à rehausser nos réserves indûment, ce n’est pas bon pour l’économie.»
Encore faut-il que tous les acteurs, les petits comme les grands, acceptent de jouer le jeu, lance-t-il aussi.
«Il s’agit d’un courant mondial, mais plusieurs s’interrogent quant à la décision des Américains de ne pas y adhérer, illustre René Rouleau. Si seuls l’Europe et le Canada sont dans le coup, il y a un biais dans le système.»
De fait, le Financial Accounting Standards Board (FASB), l’organisme responsable de l’adoption de ces normes en sol américain, a abandonné «le projet de convergence en février 2014», indique le rapport de l’AMF.
«Les résultats financiers des assureurs opérant au Québec mais ayant aussi des opérations au sud de la frontière ou ailleurs dans le monde, pourraient être différents [de ceux] des autres assureurs à cause de ces règles comptables, ce qui pourrait possiblement avoir un impact sur leur niveau de compétitivité», apprend-on dans le rapport.
Lignes directrices constructives
Le renforcement de la réglementation s’est poursuivi en 2013. Ainsi, un rapport d’application en relation avec la Loi sur les assurances a été déposé par le gouvernement. L’objectif est de «rafraîchir et de consolider l’encadrement de la vie corporative de ces institutions», lit-on dans le rapport.
Selon René Rouleau, les directives de la réglementation ont changé : de «plutôt défensives» au sortir de la crise financière, les lignes directrices sont désormais davantage constructives. «Elles visent à protéger le consommateur et à consolider la distribution».
L’actualisation et la mise en forme de ces lignes directrices constituent toutefois un défi, selon René Rouleau, en regard notamment de leur fréquence et de leur diversité. «Je ne suis pas un grand acteur, et la couverture de ces lignes directrices qui rentrent parfois aux trois mois demande de l’énergie et du savoir-faire.»