«PPI, conjointement avec les gens de l’industrie, va s’asseoir avec des gens du ministère des Finances pour voir s’il n’y aurait pas lieu d’introduire des clauses grand-père, puisque quand nos conseillers ont proposé ces stratégies, c’était tout à fait légal. Ils l’ont fait de bonne foi», indique Jocelyne Gagnon, directrice de la fiscalité chez Conseils PPI Québec, une firme qui faisait la promotion des stratégies 10/8.

Même son de cloche chez Kevin Wark, président de la Conference for Advanced Life Underwriting (CALU), qui représente les intérêts d’Advocis.

«Accorder des droits acquis aux arrangements existants est un principe très important chez nos membres et leurs clients lorsque des changements aux lois surviennent. Cela s’explique par la nature à long terme de l’assurance vie, par les soucis concernant l’assurabilité et parce que les clients ne peuvent pas transférer leur contrat chez un autre assureur selon un système à imposition différée», ajoute le président.

Pourtant, le ministère des Finances a également suggéré d’abolir une autre stratégie lors de la présentation du budget, soit la rente assurée avec effet de levier, tout en lui accordant une clause de droit acquis. Le ministère entend agir différemment pour les arrangements 10/8.

Petite histoire

Les stratégies 10/8, qui ont vu le jour au début des années 2000, étaient dans la mire de l’Agence du revenu du Canada (ARC) depuis quelques années déjà.

L’autorité fiscale contestait les avantages liés à ce type d’arrangement et a cherché à lui imposer la règle anti-évitement. Le ministère des Finances a finalement proposé d’y mettre fin dans le dernier budget.

Pour un client, une stratégie 10/8 consiste à souscrire une police d’assurance vie permanente, généralement de type vie universelle, et d’utiliser cette police afin de garantir un prêt à un taux de 10 %.

Le prêteur, qui est aussi l’assureur à l’origine de la police, garantissait également que la valeur accumulée de sa police augmente à un taux de 8 %.

Le manque à gagner de 2 % pour le client (10 % d’intérêt moins le taux de 8 %) était compensé par la déduction annuelle pour frais d’intérêt, puisque cet emprunt servait à gagner un revenu.

Le client profitait aussi du fait que le revenu d’intérêt sur le montant investi dans la police n’est pas inclus dans son revenu, parce qu’il s’agit d’une police exonérée aux fins de l’impôt sur le revenu.

Pour un emprunteur imposé à 49,97 %, le coût net de l’emprunt après impôt ne s’élevait qu’à environ 5 %, d’où la rentabilité de cette stratégie. Celle-ci était généralement offerte aux clients fortunés ou à des sociétés privées comptant peu d’actionnaires.

«À la base, avant de recommander la stratégie 10/8, il y a une planification successorale pour déterminer le besoin en assurance. Après, c’est un choix de financer le produit d’assurance. Vous pouvez le faire de façon traditionnelle ou vous pouvez utiliser un levier», explique Jocelyne Gagnon.

Contestations

Ottawa n’était toutefois pas du même avis, qualifiant ces stratégies de mouvements circulaires de fonds.

«En l’absence d’avantages fiscaux, il n’y aurait ni investissement ni emprunt», souligne le ministère des Finances dans le plan budgétaire.

Dès 2014, le gouvernement fédéral propose donc d’éliminer les avantages de la déductibilité de l’intérêt payé sur l’emprunt, de la déductibilité de la prime payée, ainsi que de l’ajout, au compte de dividendes en capital, du montant de la prestation de décès en vertu de la police et qui est lié à l’emprunt.

Cependant, le ministère entend alléger l’impact fiscal d’un retrait sur une police aux termes d’une stratégie 10/8 qui est effectué pour rembourser un emprunt si ce retrait est effectué avant janvier 2014. Ces changements permettront au gouvernement d’économiser 260 M$ pendant les cinq prochaines années.

«Tous les arrangements du même genre sont visés, sans égard au taux. Cette mesure s’applique donc pour les stratégies 10/8, 9/7 ou 8/6. Si vous avez des clients dans cette situation, il faudra vous pencher sur tous les détails techniques liés à cette mesure», indique Annie Boivin, vice-présidente, planification fiscale et successorale, au bureau montréalais de Richardson GMP.

On ignore pour le moment si Québec emboîtera le pas au gouvernement fédéral quant à l’abolition des avantages des stratégies 10/8 ou quant aux allègements prévus pour le retrait de sommes pour rembourser l’emprunt.

«C’est une question qui est examinée actuellement au ministère des Finances», indique Mélanie Malenfant, attachée de presse au cabinet du ministre des Finances et de l’Économie du Québec, Nicolas Marceau.

Des frais de rachat ?

Quoi qu’il en soit, certains clients qui ont récemment mis en place un arrangement 10/8 pourraient être pénalisés par la disparition de ces stratégies.

Si un client n’avait pas les liquidités nécessaires pour rembourser l’emprunt, il risque de devoir utiliser la valeur accumulée dans la police pour ce faire.

Or, dans ce cas, il pourrait devoir abandonner la police et payer des frais de rachat.

Ceux-ci sont généralement décroissants au fur et à mesure que la police vieillit. Les frais sont habituellement nuls pour les polices souscrites il y a plus de dix ans.

«Il est possible que les assureurs puissent proposer d’autres options de prêts qui permettraient d’éviter l’application des nouvelles règles et de conserver les fonds dans la police», note Kevin Wark.

Toutefois, selon ce dernier, «la grande majorité» des clients conserveront la police d’assurance pour couvrir leurs besoins successoraux.

«Les détenteurs de certaines polices vie universelle voudront les conserver, car ils ne pourraient probablement pas les remplacer sans subir une augmentation significative de la prime», indique Kevin Wark.

«Comme il s’agissait de clients fortunés et qu’ils avaient besoin de protection au départ, il est fort probable qu’ils conserveront la police, même s’ils abandonnent le 10/8, estime Jocelyne Gagnon. Même s’ils peuvent utiliser la valeur de rachat sans impact fiscal, plusieurs choisiront de rembourser à même leur portefeuille de placement.»

Dans le doute…

Kevin Wark s’inquiète par ailleurs de la date butoir fixée par Ottawa pour l’abolition des stratégies 10/8, soit le 31 décembre 2013. Selon lui, il est important que les conseillers commencent à examiner la situation du client et tentent de déterminer les meilleures options.

«Toutefois, nous ne pensons pas que des mesures immédiates doivent être prises, car de nouvelles options pourraient être possibles. Même si [les discussions avec le ministère des Finances] étaient terminées rapidement, il serait prudent d’attendre au moins jusqu’à la mi-année.»