Le problème est important, puisque ces sommes représentent 30 % du budget de l’Alberta. Lorsqu’ils sont abondants, ces revenus permettent à la province de combler l’écart entre ses impôts très bas et ses dépenses publiques. Le tiers du budget albertain est donc à la merci de la fluctuation des prix du pétrole.

Le chroniqueur Jeffrey Simpson écrivait dans les pages du Globe and Mail qu’il n’était pas surpris que l’Alberta se retrouve dans cette situation précaire. Citant un rapport publié originellement en 2011 par le Conseil du Premier ministre pour la stratégie économique, Jeffrey Simpson rappelait que le fait «de se fier à ce point aux revenus tirés du pétrole et du gaz naturel pour financer ses dépenses est un risque pour l’avenir de la province».

Dans un contexte où le pétrole albertain se voit de plus en plus concurrencé par le pétrole de schiste américain, les Albertains doivent revoir leur stratégie. En effet, les États-Unis sont maintenant, après la Russie, le producteur de pétrole le plus important en dehors de l’OPEP. Toutefois, les producteurs américains manquent toujours d’infrastructures, selon Sherry Cooper, économiste en chef de BMO Marchés des capitaux.

«Amener le pétrole aux raffineries est un problème, et actuellement, les raffineries américaines n’ont pas la capacité nécessaire pour gérer tout ce nouveau pétrole. Les prix restent donc liés à celui du North Sea Brent Crude, qui se maintient à un niveau élevé en raison des inquiétudes suscitées par les risques liés à l’Iran ou par les problèmes géopolitiques du Moyen-Orient», expliquait-elle dans une lettre ouverte publiée dans les pages du Financial Post.

Ces problèmes logistiques pourraient bien être temporaires, puisque les entreprises sont prêtes à mettre les bouchées doubles en la matière. À titre d’exemple, la société pétrolière Enbridge fait actuellement transiter près de 275 000 barils de pétrole par jour entre le Montana, le Dakota du Nord et la Saskatchewan, une région qui recèle d’importants gisements. Grâce à la construction de nouveaux pipelines, près d’un million de barils pourraient bientôt y être transportés quotidiennement.

Nouveaux débouchés

Avec tout ce nouveau pétrole sur les marchés, les Américains n’auront vraisemblablement plus besoin d’en acheter autant qu’avant du Canada. Pour le moment, les États-Unis importent près de 10 millions de barils de pétrole par jour. De ce montant, 30 % proviennent du Canada. Selon les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les États-Unis produiront près de 11,1 millions de barils de pétrole par jour d’ici 2020, par rapport à 8,1 millions en 2011.

Le ministre fédéral des Ressources naturelles, Joe Oliver, a pris connaissance des chiffres avancés par l’AIE, et en entrevue au Globe and Mail, il a affirmé que ce retournement de situation mettait «considérablement en lumière la nécessité pour le Canada de trouver de nouveaux marchés» puisque les Américains «n’achèteront simplement plus autant de pétrole qu’avant, et nous ne pouvons donc plus compter autant sur ce marché».

Existe-t-il un avenir pour le pétrole canadien ? L’Asie représente une bonne porte de sortie pour l’Alberta et pour l’industrie pétrolière canadienne : «L’industrie canadienne du pétrole et du gaz doit exporter en Chine et dans le reste de l’Asie pour contrebalancer les effets d’une demande réduite des États-Unis», suggère Sherry Cooper.

L’économiste en chef de la Banque Scotia, Patricia Mohr, est du même avis : «Si nous ne diversifions pas nos capacités d’exportation dans des marchés en croissance comme l’Asie, nous risquons de stopper la progression de l’industrie pétrolière dans l’Ouest canadien. Et je crois que ce serait très risqué pour le pays, considérant que si on freine la croissance de la plus grande industrie non liée aux services du Canada, il y aura des effets secondaires.»

Toutefois, le boom pétrolier américain n’aura pas que des efets négatifs sur le Canada puisqu’il amènera beaucoup de croissance économique dans des régions qui ont traversé des années difficiles après la crise de 2007. En effet, l’industrie crée de nouveaux emplois, et elle permet par ailleurs à plusieurs autres secteurs de se développer, et au marché immobilier de se refaire.

«Les entreprises canadiennes de construction de pipelines bénéficieront du boom pétrolier américain, prédit Sherry Cooper. Tout comme d’autres exportateurs canadiens, puisque de nouveaux emplois sont créés et que les salaires remontent aux États-Unis, ce qui permet à l’économie américaine de continuer à prendre du mieux.»