Lorsque le QE3 arrivera à son terme, la situation sur les marchés financiers pourrait bien s’envenimer, prévoient Luc Lapointe et André Marsan, gestionnaires chez Sigma Alpha Capital.

«Bien que notre vision soit optimiste à court terme, il n’y a aucun doute dans notre esprit que tout cela finira mal !» écrivaient-ils dans leurs commentaires de septembre 2013.

D’après les gestionnaires, une accélération éventuelle de l’inflation obligera les autorités monétaires du monde entier à relever de façon marquée les taux d’intérêt à court terme. Et une crise majeure du service des dettes publiques et privées s’ensuivra.

Certains observateurs sont plus tempérés. Pierre Czyzowicz, directeur et gestionnaire privé sénior chez Gestion de fortune UBS, pense que l’ampleur de la réaction des marchés dépendra de la manière dont la sortie du programme sera faite.

«C’est sûr que les banques centrales n’ont pas remporté beaucoup de succès lorsqu’elles ont retiré leurs effets stimulants, mais parler d’hyperinflation ou d’une crise est un peu incendiaire.»

Désengagement prévu

Un désengagement prématuré nuirait à la reprise, alors qu’un dénouement trop lent de ces mesures entraînerait un excès de liquidités et alimenterait les tensions inflationnistes, avertissent Éric Santor et Lena Suchanek, analystes de la Banque du Canada, dans un article intitulé «Les politiques monétaires non traditionnelles : évolution des pratiques, effets et coûts potentiels», paru au printemps dernier.

À l’heure actuelle, les chiffres ne montrent pas d’inflation démesurée. Jean Turmel, président et gestionnaire de Perseus Capital, remarque qu’il y a encore beaucoup de capacité inutilisée dans les économies américaine et mondiale.

Francis Généreux, économiste principal chez Desjardins Études économiques, est d’accord et ne redoute pas l’inflation. Francis Généreux pense que la Fed n’arrêtera pas ses politiques accommodantes tant que la croissance du produit intérieur brut (PIB) ne sera pas au rendez-vous.

Selon Jean-Pierre Langevin, vice-président aux opérations et gestionnaire de portefeuille chez Gestion Cristallin, l’argent imprimé s’est retrouvé entre les mains des banques d’investissement américaines, qui l’ont redéposé à la Fed au lieu de financer l’économie.

«Les banques sont allées chercher 25 points de base gratuits en ne faisant rien. L’argent imprimé ne s’est jamais retrouvé dans le circuit. Tout est resté en vase clos. Ce qui explique que la reprise est faible et que l’inflation aux États-Unis soit proche de 1,25 %.»

Maurice Marchon, professeur titulaire à l’Institut d’économie appliquée de HEC Montréal, estime que le taux de croissance annualisé de l’économie américaine devra atteindre 3 % avant que la Fed ne mette fin à son programme.

Par conséquent, à l’instar de Francis Généreux, Maurice Marchon s’attend à une diminution du programme d’achat à compter du début 2014. La baisse devrait être progressive, et le programme totalement arrêté dans un espace de 8 à 12 mois, prévoit l’économiste.

De l’avis de nombreux experts, même si la transition est effectuée en douceur, toutes les catégories d’actif traditionnelles seront mises à rude épreuve lors de l’abandon du QE3.

Pour Desjardins, le pire problème à court terme est que si le QE3 a entraîné une euphorie chez les investisseurs, son ralentissement pourrait avoir l’effet inverse, risquant d’ébranler leur confiance.

Obligations sous pression

Selon le Fonds monétaire international (FMI), lorsque le QE3 cessera, les clients ajusteront leur portefeuille pour s’adapter à un nouveau régime où les taux d’intérêt seront plus élevés et la volatilité plus grande.

«Les réductions structurelles de la liquidité des marchés et les positions de levier financier […] pourraient amplifier la poussée des taux d’intérêt et s’étendre aux marchés mondiaux», prévient le FMI dans son «Rapport sur la stabilité financière dans le monde» d’octobre.

Le FMI souligne aussi que des risques menacent la stabilité financière de nombreuses économies émergentes.

Les marchés obligataires des pays émergents sont devenus plus sensibles aux politiques accommodantes des pays avancés. De nombreux investisseurs étrangers se sont rués sur les marchés développés et risquent de se retirer des économies avancées.

Selon les estimations de l’organisme, les portefeuilles mondiaux d’obligations pourraient subir une perte de 2,3 billions de dollars américains si la sortie du QE3 est effectuée trop rapidement.

Maurice Marchon pense aussi que les obligations seront sous pression. L’économiste remarque que les taux à long terme actuels (rendement des obligations gouvernementales américaines à 10 ans) avoisinent 2,65 %.

«C’est encore bien en dessous de la norme de long terme qui se situe entre 4,5 et 5 %. Si on monte les taux à 4,5 %, les obligations vont souffrir», dit-il. L’augmentation des taux pèsera aussi sur l’immobilier, croit Maurice Marchon.

Cependant, Francis Généreux estime que les effets les plus négatifs sont passés. «La hausse des taux obligataires a eu un effet sur les taux hypothécaires, qui a eu une incidence sur le marché de l’habitation américain. Les dernières statistiques montrent déjà que les ventes de maisons neuves aux États-Unis sont moins fortes», souligne-t-il.

Maurice Marchon constate également que la hausse de taux a eu un effet notable sur l’immobilier et les mises en chantier ont fortement baissé.

Quant à la Bourse, Jean-Pierre Langevin estime que les marchés sont actuellement surévalués. «Nous nous attendons à une correction de 15 %», remarque-t-il.

Alors que le ratio cours-bénéfices est de l’ordre de 14 aux États-Unis, Maurice Marchon pense aussi que les cours actuels ne sont «pas bon marché».

Toutefois, il reste que les marchés boursiers recèlent un certain potentiel de croissance à court terme, de l’avis de plusieurs experts interviewés dans le cadre de cet article. Les dernières prévisions de Desjardins pour 2014 sont une hausse d’environ 6 % des marchés américains et de 9 % pour la Bourse de Toronto.