«Idéalement, dit-elle, il faudrait pouvoir rapporter anonymement ces cas à un guichet unique qui prendrait l’affaire en main.»

Malheureusement, la situation est loin d’être si simple, car les obligations de confidentialité du représentant limitent l’aide qu’un conseiller peut offrir à son client.

Défi de la confidentialité

Ainsi, avant de porter assistance à un client qui est visiblement en perte d’autonomie, un représentant doit veiller à se conformer à son obligation de confidentialité prévue notamment au Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

«Or, cette obligation interdit même de communiquer avec un proche du client pour lui dire que vous êtes son conseiller», note Caroline Marion, experte-conseil fiscalité, fiducie et succession à la Banque Nationale.

Il est toutefois possible de contourner légalement cette obligation.

«Lorsque la relation de confiance est bien établie avec votre client, dit Caroline Marion, vous devriez lui demander de vous donner une autorisation de communiquer avec une personne de confiance, pour le cas où vous seriez incapable de le joindre, de même qu’une autorisation de divulguer de l’information pour le protéger advenant un danger.»

Ainsi, s’il constate une diminution des capacités cognitives du client, le conseiller peut en parler avec la personne mentionnée au dossier.

Cependant, une grande prudence doit guider le conseiller dans ces actions.

«Ce n’est pas parce que vous avez une autorisation signée de votre client de communiquer avec une personne en cas d’urgence ou d’inaptitude que vous êtes libéré de toute responsabilité», souligne l’avocat Maxime Gauthier, chef de la conformité et représentant en épargne collective chez Mérici Services financiers.

Le client peut contester le jugement que son conseiller porte sur son état de santé ou sur la gravité de la situation qui l’a mené à divulguer de l’information.

Si l’autorisation est trop générale et non limitée dans le temps, un client peut même remettre en question sa validité prévient Maxime Gauthier : «Les représentants ne sont ni médecins ni juges, et ne peuvent pas déclarer l’inaptitude d’un client ou homologuer un mandat en cas d’inaptitude.»

«Je recommande à mes clients de laisser une note quelque part, soit dans leur mandat en cas d’inaptitude, soit dans leur testament, ou qu’ils avertissent leurs proches : « J’ai des affaires chez Mérici. Si jamais il m’arrivait quelque chose, voici les coordonnées de mon conseiller ». Dans ce cas, c’est valable, car c’est le client qui le fait», ajoute-t-il.

Un conseiller peut également suggérer fortement à son client de consulter son médecin, un membre de sa famille ou de venir accompagné d’une personne de confiance lors d’une rencontre ultérieure.

Perte d’autonomie constatée

Si le client visiblement en perte d’autonomie a rédigé un mandat en cas d’inaptitude, son mandataire enclenchera le processus afin de faire homologuer ce document. Pour que ce mandat soit exécutoire, le client devra être déclaré inapte par des évaluations médicales et psychosociales, et le mandataire devra faire autoriser la mise à exécution du mandat par le tribunal.

Si le client n’a pas de mandat, peu importe qu’une personne de confiance soit là ou non pour l’aider, son conseiller peut lui recommander de communiquer avec des intervenants qui peuvent organiser une prise en charge.

Au Québec, le Curateur public peut prendre ce genre de cas en tutelle, mais le client doit d’abord avoir reçu un diagnostic d’inaptitude.

Pour ce faire, une personne de son entourage doit communiquer avec le Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de sa région afin que des professionnels puissent procéder à une évaluation médicale et psychosociale de votre client.

«Malheureusement, indique Denis White, conseiller en sécurité financière chez SFL Partenaires de Desjardins Sécurité financière, le CSSS n’a pas toujours toutes les ressources nécessaires. Et il y a souvent des listes d’attente.»

Pour contrer ce problème, le représentant peut informer le client de l’existence d’organismes qui offrent des services d’accompagnement aux personnes âgées. Les bénévoles et le personnel de ces organismes pourront veiller sur le client en attendant que le CSSS procède à l’évaluation.

Denis White recommande Les petits frères (www.petitsfreres.ca). Cet organisme, qui accompagne jusqu’à la fin de vie les personnes de plus de 75 ans socialement isolées, mène des activités dans plusieurs villes du Québec.

Pour sa part, Nadia Caron, porte-parole du Ministère de la Famille et des Aînés, suggère les Carrefours d’information pour aînés, qui offrent un ensemble de services aux aînés vulnérables.

Cette aide se fait par l’intermédiaire de divers organismes et associations régionales, notamment le Parrainage Civique Abitibi Témiscaminque, le Carrefour communautaire Montrose (Montréal) et Le Pivot (Québec).

Une fois que les évaluations médicales et psychosociales menées par le CSSS auront permis de déterminer que le client est inapte, et dépendamment de son degré d’inaptitude, un régime de protection pourra être enclenché.

Qui peut le demander ? «Le majeur lui-même, son conjoint, ses proches parents et alliés, toute personne qui démontre pour le majeur un intérêt particulier ou tout autre intéressé, y compris le mandataire désigné par le majeur ou le curateur public», répond Aline Charest, conseillère en communication au bureau du Curateur public du Québec.

Signaler un abus

Si un conseiller soupçonne que le client est victime d’un abus financier, il doit là encore se montrer prudent et respecter ses obligations de confidentialité.

«Nous avons déjà eu le cas d’une représentante qui souhaitait vérifier si elle pouvait rapporter à la police anonymement que sa cliente était possiblement victime de fraude. Nous avons vérifié avec la Chambre de la sécurité financière (CSF), qui considère que même sous couvert d’anonymat, c’est un manquement à l’obligation de confidentialité», indique Maxime Gauthier.

Le conseiller pourrait se retrouver dans une situation délicate si le client ou son mandataire effectuait une transaction inhabituelle, comme un retrait important. «En tant que conseiller, vous ne pouvez pas refuser de faire la transaction, note Caroline Marion. Vous avez une obligation d’exécution.»

Si la demande vient du client, le représentant devrait tout de même tenter de comprendre ses motivations. Il pourrait ainsi essayer de l’influencer, voire retarder la transaction, afin que le client puisse laisser mûrir sa décision.

«En revanche, si la demande vient du mandataire, dit Caroline Marion, communiquez avec le client pour l’en informer et ne faites la transaction que si vous obtenez son consentement.»

En cas de soupçon d’abus, le conseiller peut proposer à son client d’agir et l’orienter vers divers organismes.

Une fois de plus, le Curateur public du Québec peut intervenir. Cependant, cet organisme ne mènera une enquête que si le signalement concerne une personne majeure sous régime de protection ou ayant un mandat de protection en cas d’inaptitude homologué.

En revanche, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse prendra les signalements qui concernent une personne majeure apte, et donc capable de s’occuper d’elle-même et de ses biens.

Par ailleurs, si un conseiller suspecte un abus financier commis par un professionnel en services financiers avec qui le client fait affaire, il devrait orienter celui-ci vers l’Autorité des marchés financiers (AMF). Si l’abus met en cause un ministère ou un organisme gouvernemental (par exemple Revenu Québec ou un CHSLD), il faudra aviser le Protecteur du citoyen (www.protecteur ducitoyen.qc.ca).

Lorsqu’il s’agit d’une fraude commise par une personne autre qu’un conseiller, il est aussi possible de porter plainte auprès de la Sûreté du Québec (www.sure tequebec.gouv.qc.ca) ou du poste de police d’une municipalité. Cependant, comme une telle plainte ne peut se faire de façon anonyme, le conseiller devrait avoir l’autorisation de son client.

«Même en ayant une autorisation écrite, je serais excessivement prudent. Il faudrait que ce soit bien rédigé et très balisé, car même s’il y a une autorisation écrite, cela pourrait jouer contre le représentant et non en sa faveur», prévient Maxime Gauthier.

Une autorisation spécifique permet d’éviter qu’on reproche à un représentant d’avoir abusé de sa possibilité d’utiliser une autorisation générale, selon l’avocat.

Enfin, si le client refuse de porter plainte, son conseiller peut toujours tenter de le référer au Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (www.cavac.qc.ca), qui offre un service d’accompagnement.