Ces marchés frontières constituent en fait une sous-catégorie des marchés émergents, et se trouvent dans quatre pôles géographiques : l’Asie, l’Europe de l’Est, l’Afrique et le Moyen-Orient.
Les investisseurs envisagent les marchés émergents par besoin de diversification. Or, il y a un risque de corrélation de ces marchés avec les marchés développés, importateurs de matières premières, ce qui minerait inévitablement cette diversification.
Une telle corrélation persistera en 2013, en raison de l’interdépendance croissante de ces deux marchés. Ce ne serait pas le cas pour les marchés frontières.
Selon la banque Credit Suisse, on observerait en ce moment un phénomène de découplage entre marchés frontières et marchés émergents traditionnels. «Cette tendance confère un bon pouvoir de diversification» aux marchés frontières, rapporte un article (juin 2012) de Credit Suisse.
«Une démographie prometteuse et un endettement plus bas» des pays frontières produisent ce découplage, affirme la banque. Gestion globale d’actifs HSBC abonde dans ce sens. «Les marchés frontières constituent une catégorie d’actif moins volatile que la vaste catégorie des marchés émergents. Il s’agit de la catégorie d’actions la moins corrélée mondialement, elle offre une occasion de diversification attirante», écrit HSBC dans un rapport (octobre 2012).
Engouement et nuances
L’attrait de ce pouvoir de diversification se mesure dans l’industrie. Les outils de placement fondés sur les marchés frontières sont «populaires» en ce moment, confirme Serge Pépin, vice-président, stratégie de placement, chez BMO Gestion mondiale d’actifs.
Au début de janvier, cette dernière annonçait d’ailleurs que son fonds de marchés frontières destiné aux investisseurs institutionnels a franchi le cap des 250 M$ d’actif sous gestion.
En septembre dernier, Black-Rock a lancé un fonds de marchés frontières négocié en Bourse (FNB). Ce fonds qui s’échange sur le marché new-yorkais réplique la performance de l’indice MSCI Frontier 100.
Franklin Templeton a lancé un fonds de marchés frontières en 2011. Géré par Mark Mobius, ce fonds représente aujourd’hui un actif sous gestion de 75 M$.
L’expression «marchés frontières» reflète des réalités fort différentes, souvent selon la région concernée. Certains pays sont intégrés à des zones commerciales dynamiques, comme la Mongolie, le Kirghizstan et le Laos, qui gravitent tous autour de la Chine.
«Ces pays ont un avantage clé», explique le Français Thierry Apoteker, expert en économies émergentes et président du cabinet de recherche économique Thierry Apoteker Consultants (TAC).
L’Amérique latine ou l’Europe de l’Est sont des régions moins prometteuses. Elles gravitent autour des blocs économiques plus déprimés que sont l’Europe et les États-Unis, selon Thierry Apoteker. L’accès aux ressources naturelles change la donne.
Généralement, des pays tels que l’Angola ou l’Azerbaïdjan, qui bénéficient de ressources naturelles importantes, décollent rapidement. Cependant, «ces pays sont sujets à plus de corruption», explique-t-il.
Un retournement de situation défavorable peut survenir inopinément.
Des pays sans ressources significatives comme le Maroc miseront sur les services et sur le secteur manufacturier. Dans ce cas, le démarrage est plus long, mais la performance est «plus durable», souligne l’expert.
La sélection de titres dans ces marchés exige donc un oeil exercé.
Croissance et risque
Quels sont les choix d’investissement d’experts et d’observateurs de l’industrie ? «Sur cinq ans, nous préférons l’Asie», explique Serge Pépin.
La performance attendue en Chine y est pour beaucoup. L’empire du Milieu entraînera vers le haut les pays qui sont dans sa sphère : la Mongolie, le Laos, le Kirghizstan en sont des exemples.
«Nous nous attendons à un rebondissement de l’économie chinoise», déclare Serge Pépin. BMO Gestion mondiale d’actifs sous-pondère actuellement l’Europe de l’Est.
«Il y a des occasions en Afrique», affirme Thierry Apoteker. Plusieurs font le même constat.
Selon Gestion globale d’actifs HSBC, «les évaluations en Asie demeurent élevées», alors que «l’Afrique subsaharienne recèle ce que les marchés émergents ont à offrir de meilleur aux investisseurs en matière de rendement potentiel à long terme», lit-on dans un rapport de la banque déjà cité.
«Les marchés frontières ont un potentiel de croissance important», convient Thierry Apoteker, mais «le degré de risque est substantiel», ajoute-t-il. Il note qu’on ne peut pas compter sur une relation mécanique entre la performance macroéconomique d’un pays frontière et la performance de son actif financier.
Les marchés sont opaques, illiquides et inefficients. «Les mouvements de marchés peuvent être erratiques», corrobore Serge Pépin. «Particulièrement en Afrique, où on retrouve des systèmes politiques plus ou moins favorables aux investisseurs», renchérit-il.
Les spécialistes consultés par Finance et Investissement affirment qu’un investisseur ne devrait pas dépasser une pondération de son portefeuille de plus de 25 % dans les marchés émergents en général. En ce qui concerne les marchés frontières, le seuil des 10 % est considéré comme imprudent.
Les investisseurs qui détiennent déjà des fonds d’actions mondiales ou même de pays émergents doivent vérifier la composition des fonds déjà détenus, et ce, avant d’investir. Doubler par inadvertance les pondérations d’un portefeuille allouées aux marchés émergents ou frontières pourrait causer de mauvaises surprises dans un scénario défavorable.
Il existe grosso modo trois façons d’investir dans ces marchés, selon Thierry Apoteker.
Tout d’abord, l’investissement indiciel, par l’intermédiaire d’un FNB. Il s’agit d’une option facile et accessible, mais son efficacité n’obtient pas un consensus. Pourquoi ? Les investissements indiciels exposent davantage l’investisseur à des risques de nature systémique, plus présents dans ces marchés, ce que la gestion active permet d’éviter.
Ensuite, l’option de l’acquisition de fonds d’investissement fondés sur une gestion active, qui selon certains serait mieux adaptée aux marchés frontières. Le talent du gestionnaire, qui procède à une sélection judicieuse de titres, peut être déterminant dans des marchés opaques et illiquides, par opposition aux marchés sophistiqués que constituent les pays riches.
«L’analyse individualisée des sociétés est importante» dans les marchés frontières, soutient Serge Pépin, de BMO gestion mondiale d’actifs.
Enfin, il y a l’option d’investissement direct dans des sociétés canadiennes qui ont des intérêts dans les marchés frontières. Il pourrait s’agir, par exemple, d’acquérir les titres de sociétés telles que Turquoise Hill Resources, qui exploite des projets miniers au Kazakhstan et en Mongolie, Talisman Energy, présente au Vietnam ou Barrick Gold, active au Kenya. Cette option est souvent sous-utilisée, selon Thierry Apoteker. Pourtant, «parfois il vaut peut-être mieux miser sur une minière canadienne installée en Mongolie que sur le marché financier de ce pays», conclut-il.