Ces firmes indépendantes, tout comme l’industrie de la gestion d’actifs dans son ensemble, sont aux prises avec les effets et conséquences de l’environnement économique.

Une combinaison de rendements médiocres, de règlements plus stricts et d’une sensibilisation accrue des investisseurs aux frais d’achat et de détention des fonds a grugé l’avantage concurrentiel dont de nombreuses boutiques de gestion d’actifs ont profité pendant longtemps. Parallèlement, l’empoigne des banques canadiennes sur les parts de marché exerce des pressions encore plus grosses sur la rentabilité des firmes indépendantes.

Témoignant de ces inquiétudes vis à vis des obstacles grandissants qu’auront à franchir les firmes indépendantes, les analystes de Morningstar ont rétrogradé les cotes de bastille économique de la Société financière IGM et de la Financière CI de forte à faible. Le concept de bastille économique fait référence à la capacité d’une société à maintenir son avantage concurrentiel pour attirer et conserver son capital.

Entre les fluctuations du marché, le rétrécissement des marges, le renfrognement des investisseurs et une surveillance accrue de l’observation des règlements, les dés semblent pipés contre les gestionnaires de patrimoine indépendants.

Une concurrence plus dure

Les banques canadiennes contrôlent, selon leurs actifs sous gestion, 43 % du marché des fonds mutuels, et 28 % du réseau de distribution des fonds au Canada. Grâce à leur vaste réseau de succursales et de fonds maison, les banques ont plus que doublé leur part de marché au cours de la dernière décennie.

Du fait qu’elles sont les plus grosses fournisseuses de fonds communs, les banques sont mieux positionnées pour faire concurrence sur les prix, forçant les autres gestionnaires à se démener encore plus pour obtenir une part du gâteau.

De plus, un ralentissement du marché de l’habitation a incité les banques à rechercher des professionnels du placement afin de renforcer leurs activités de gestion d’actifs, créant un bras-de-fer avec les firmes de courtage dans la recherche des meilleurs talents.

De plus, les firmes de courtage canadiennes indépendantes ont déployé peu d’efforts pour rechercher la croissance en dehors du Canada, contrairement à leurs homologues institutionnels, ce qui a détérioré leur capacité à être concurrentielles et à se développer.

La reprise de l’économie mondiale a créé de nouvelles occasions de croissance pour les gestionnaires, dit Raj Kothari, directeur national de la gestion d’actifs auprès du cabinet comptable PwC.

« La croissance économique rapide des marchés émergents dans le monde fait que les pays concernés deviennent des économies axées sur la consommation, dit-il. Avec la croissance du PIB et l’émergence des classes moyennes, les gestionnaires ne devraient pas négliger ces nouveaux marchés, et ainsi tirer parti de nouvelles occasions d’y investir et d’y offrir des produits de placement. »

Une surveillance règlementaire accrue

Les changements de l’environnement réglementaire imposent de plus grosses exigences sur les gestionnaires d’actifs, qui doivent adopter des stratégies et mesures de contrôle du risque plus rigoureuses.

Les firmes de réglementation canadiennes ont renforcé leurs mesures relativement à la transparence, la divulgation et les frais des fonds. L’évaluation du risque, la pertinence des produits et l’exécution exemplaire sont d’autres domaines qui font l’objet d’une surveillance réglementaire importante.

« On assiste à un débat important parmi les organismes de réglementation sur les commissions intégrées associées au fonds communs, ainsi que sur le devoir de diligence (rôle de fiduciaire) qu’ont les conseillers par rapport aux investisseurs, dit M. Kothari. Les organismes de réglementation se sont également penchés sur les pratiques de vente, la précision du matériel de vente et de marketing, le principe de connaissance du client et la lutte contre le blanchiment de l’argent. »

Tout cela signifie que les gestionnaires d’actifs doivent désormais adopter des stratégies et des mesures d’atténuation et de contrôle du risque.

Un récent rapport de PricewaterhouseCoopers Global souligne l’impact qu’ont les changements réglementaires au sein de l’industrie de la gestion d’actifs sur le climat concurrentiel. Le rapport intitulé Asset Management 2020: A Brave New World, examine les facteurs qui façonneront dans l’avenir l’industrie de la gestion d’actifs.

« Cette surveillance réglementaire continuera de s’intensifier jusqu’en 2020 et les firmes devront recruter en conséquence du personnel de conformité pour faire face à l’augmentation des exigences réglementaires et aux défis liés à l’implémentation efficace de la réglementation, a fait ressortir l’étude. Le prix à payer pour ne pas relever ces défis sera sans doute important, aussi bien en termes d’amendes monétaires que de mauvaise réputation, ce que l’industrie ne peut pas vraiment se permettre. »

Les autorités de réglementation au Canada surveillent également de très près les tendances internationales sur les frais de gestion et l’élimination des commissions intégrées de certains produits de placement. Il est donc légitime de penser que les gestionnaires d’actifs au Canada auront du mal défendre des frais de gestion et des ratios de frais de gestion (RFG) élevés.

Suivant l’intensification de la surveillance réglementaire en Europe et aux États-Unis, les exigences réglementaires deviennent plus pesantes au Canada. On exige maintenant que les gestionnaires d’actifs fassent preuve de plus de transparence vis-à-vis du client, qu’ils aient des produits pertinents et qu’ils répondent à d’autres obligations de gouvernance. Par conséquent, les profits des gestionnaires sont amputés par les dépenses liées au risque et à la conformité aux règlements, occasionnées par le déploiement nécessaire des nouveaux talents et des nouvelles technologies.

Des frais sous pression

Les frais ont fait l’objet de grands débats à l’échelle mondiale, qu’ils doivent être payés directement aux conseillers ou aux gestionnaires.

« Depuis la fin de la crise financière, les investisseurs exigent davantage de leurs conseillers pour moins d’argent, dit M. Kothari. En réponse à ces pressions exercées sur les frais, les gestionnaires de placement ont également été amenés à réduire les coûts afin de maintenir des marges convenables. »

Un rapport de Morningstar publié en 2013 au sujet de l’expérience des investisseurs de fonds dans le monde, a révélé que le Canada possédait les ratios de frais les plus élevés pour les fonds communs, les plus élevés pour les fonds de répartition d’actifs et les deuxièmes plus élevés pour les fonds obligataires.

Il n’est pas surprenant que les autorités continuent à demander une transparence accrue, en exigeant des firmes de courtage qu’elles communiquent les frais facturés aux investisseurs.

M. Kothari identifie trois facteurs clés qui exercent des pressions baissières sur les marges de profits des gestionnaires : les coûts de conformité avec la réglementation, les coûts de distribution et la demande croissante de transparence et de frais compétitifs émanant des investisseurs, des autorités et des décideurs.

Les gestionnaires d’actifs indépendants au Canada auront également à faire face à une longue période de baisse des frais de gestion, occasionnée par des alternatives à coût plus faible comme les FNB, dont les RFG sont bien inférieurs à ceux des fonds communs.

Un paysage changeant

L’étude de PwC révèle un changement de tendance, indiquant que les nouveaux acteurs de l’industrie de la gestion d’actifs pourraient provenir de secteurs non reliés. Cela pourrait avoir d’importantes répercussions sur la structure actuelle de l’industrie qui n’a connu dans l’ensemble aucun changement depuis plusieurs décennies.

« Une source de perturbation pourrait provenir des médias sociaux ou des compagnies technologiques, qui pourraient combiner leur envergure, leur expertise et leur influence avec des partenaires bancaires afin d’offrir des solutions de gestion d’actifs attrayantes, indique le rapport de PwC. Une société de médias sociaux comme Facebook ou Twitter pourrait par exemple offrir des services de distribution et s’allier avec une banque ou une firme de services administratifs pour créer une structure intégrée de gestion d’actifs. »

Le grand public a entière confiance dans les grosses sociétés technologiques, comme en témoigne la transaction effectuée en 2013 par laquelle Alipay a acheté Tianhong Asset Management Co., une filiale de la société de commerce électronique chinoise Alibaba Group. Les clients d’Alipay sont désormais en mesure d’investir l’argent dont ils disposent dans le fonds de marché monétaire Yu E Bao, lancé par la nouvelle entité issue de la fusion.

Cela accentuera les pressions exercées sur les frais, car les firmes technologiques efficaces seront en mesure de fournir des services à un coût réduit.

Les changements constants et futurs apportés à la dynamique de l’industrie vont nécessairement affecter la capacité des gestionnaires canadiens à gagner un avantage concurrentiel et à le conserver. Ceux qui refusent de respecter les nouvelles règles du jeu pourraient finir par se retrouver à la croisée des chemins, avec d’un côté une consolidation, de l’autre une fermeture.