Ainsi, on a demandé aux répondants du sondage (voir la méthodologie) s’ils préféraient que leur conseiller touche des commissions par l’intermédiaire de frais intégrés dans les fonds ou plutôt des honoraires (que l’étude désigne aussi par «paiement ou prélèvement direct») sous toutes leurs formes, par exemple facturés une fois l’an (frais fixes ou pourcentage de l’actif sous gestion), à l’heure ou encore à chaque transaction. Le résultat est relativement partagé : 51 % des sondés favorisent le modèle actuel des fais intégrés (commissions), et 41 %, le versement d’honoraires.
Le pourcentage de répon-dants intéressés au mode de rémunération à honoraires est supérieur à la proportion actuelle de détenteurs de fonds communs qui ont l’adopté, note d’emblée Marian Passmore, directrice associée de la Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs (FAIR Canada). «Cela me porte à croire que le mode actuel de paiement [NDLR : commissions] ne reflète pas la préférence de bon nombre d’entre eux.»
L’organisme à but non lucratif prône la disparition pure et simple des commissions de suivi, source, selon Marian Passmore, de conflits d’intérêts potentiels, où un conseiller peut par exem-ple «recommander un fonds qui lui rapporte davantage à lui qu’à son client».
En lieu et place, il préconise l’adoption au pays d’un modèle à honoraires offrant plusieurs choix à l’investisseur : pourcentage de l’actif sous gestion (par exemple 1 %), taux horaires ou encore éventail d’options automatisées et moins chères offertes en ligne.
Dans l’industrie, on ne partage pas la même lecture des résultats. Ceux-ci «nous montrent l’importance de maintenir le choix» entre les deux modes de rémunération, croit quant à elle Jan Dymond, directrice des affaires publiques de l’IFIC, en entrevue avec Finance et Investissement.
«Même s’ils savent que les frais intégrés peuvent réduire le rendement de leurs fonds communs, une bonne proportion d’investisseurs semblent toujours désireux de rémunérer leur conseiller de cette façon», enchaîne-t-elle.
«À 51 %, les gens préfèrent le modèle des frais intégrés et je les comprends, parce que c’est actuellement beaucoup plus avan-tageux» pour bon nombre de clients, estime quant à lui Michel Boutin, président de Mérici Services Financiers, regroupement de représentants indépendants dont la pratique est presque exclusivement à commissions (frais intégrés).
Deux catégories d’investisseurs ?
Les participants au sondage font toutefois montre d’opinions beaucoup plus tranchées lorsqu’on leur demande s’ils sont disposés à payer des honoraires plus élevés «que la commission courante incluse dans votre fonds commun de placement», lit-on dans l’enquête. La proportion de partisans qui continueraient «certainement ou très probablement à faire appel à leur conseiller financier» chute alors à 16 %. Près d’un sur deux (47 %) juge cette possibilité «peu probable».
Bien qu’hypothétique, la question n’est pas dénuée d’intérêt, car au sud de la frontière, où le mode de rétribution à honorai-res est très répandu, certains soutiennent avoir observé un tel phénomène. «Le passage aux frais directs sur ce marché a entraîné une hausse des frais pour de nombreux investisseurs», précisait Joanne De Laurentiis, présidente et chef de la direction de l’IFIC, par voie de communiqué, lors de la publication du sondage.
L’organisme torontois cite notamment une étude2, parue en novembre 2012, selon laquelle les frais annuels versés par les détenteurs américains de fonds communs de la classe moyenne variaient de 1 à 1,5 % de l’actif investi, soit un pourcentage plus élevé que celui généralement consenti aux investisseurs plus fortunés.
Selon les auteurs, un investisseur américain doit souvent avoir accumulé 200 000 $, voire 500 000 $, dans un «programme de fonds intégré offert par une société de courtage de plein exercice» avant de pouvoir bénéfi-cier d’un «premier seuil de réduction de frais». Bien sûr, de telles sommes ne sont pas à la portée du commun des épargnants. À titre d’exemple, plus de la moitié des Canadiens (58 %) disposent de moins de 25 000 $ lorsqu’ils commencent à investir dans des fonds de placement, selon l’enquête de l’IFIC.
Michel Boutin craint notamment l’impact du mode à honoraires sur les petits épargnants, si par exemple l’industrie commençait à facturer les services à l’heure. «Tous les petits investisseurs qui détiennent des comptes de moins de 25 000 $ n’auront plus accès à un conseiller et au marché, dit-il. Ça leur coûterait trop cher.» Il ajoute que les fonds communs, qui ont été créés notamment pour donner accès aux petits épargnants à divers marchés, «n’auront plus leur raison d’être».
«De nombreux conseillers à honoraires s’occuperont moins des comptes de clients qui possèdent moins de 100 000 $, croit de son côté Jan Dymond, de l’IFIC. Et si ces clients doivent rémunérer leur conseiller selon un pourcentage de l’actif sous gestion, ça leur coûtera plus cher que la formule des frais intégrés.»
Par exemple, «un petit compte de fonds communs de 10 000 $ procure peu de commissions au conseiller, environ 238 $, illustre Jan Dymond, de l’IFIC. Si l’investisseur devait passer à un mode de rémunération à honoraires, cela lui coûterait sûrement davantage que 238 $. Pour les petits investisseurs ou les partisans de cette option, la rémunération à commissions (frais intégrés) est non seulement appropriée, mais avantageuse.»
Concurrence accrue
FAIR Canada croit tout le contraire et est convaincu que le mode du paiement direct «stimulera la concurrence et fera baisser les coûts», soutient Marian Passmore.
«Lorsque les gens paient directement leur conseiller et sa-vent combien coûtent les conseils qu’ils obtiennent, ils sont plus portés à négocier, ajoute-t-elle. C’est plus transparent et cela éliminera les conflits potentiels.» Tout le monde en bénéficiera, y compris «les petits investisseurs qui, selon elle, ne sont pas nécessairement bien servis à l’heure actuelle.»
De plus, Marian Passmore n’est pas d’avis que le modèle à honoraires ait entraîné «une hausse des coûts aux États-Unis». Elle s’appuie notamment sur des déclarations récentes d’Atul Tiwari, directeur général de Placements Vanguard Canada, manufacturier de fonds négociés en Bourse.
«Le modèle à honoraires américain a favorisé la création de produits plus abordables destinés à cette clientèle. Par exemple, 83 % des fonds communs vendus à honoraires aux États-Unis ne comportent aucuns frais ou commissions de suivi», a affirmé Atul Tiwari lors d’une table ronde sur les frais des fonds communs tenue par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO), le 7 juin dernier.
Une chose est sûre, le débat sur la rétribution des conseillers n’est pas prêt de se conclure dans l’industrie des fonds communs. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont décortiqué pas moins de 99 documents de commentaires qu’elles ont reçus sur la question. Un premier rapport d’étape doit être rendu public d’ici la fin de l’année, a indiqué par courriel le directeur des relations médias de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Sylvain Théberge.
1. «La perception des investisseurs canadiens quant aux fonds communs de placement et à l’industrie des fonds communs 2013», recherche effectuée par Pollara pour l’Institut des fonds d’investissement du Canada, Toronto, septembre 2013, 46 p. [http://tinyurl.com/o6m5tld]
2. «Les tendances relatives au coût de détention et aux ratios de frais des fonds communs de placement. Un aperçu de la situation au Canada et aux États-Unis», étude préparée par Investor Economics et Strategic Insight pour l’IFIC, Toronto, novembre 2012, 23 p.