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Les banques s’intéressent de plus en plus au marché du crédit carbone.

Ces crédits compensatoires peuvent aussi être utilisés par le nombre croissant d’entreprises qui ont fait vœu de carboneutralité.

Comme il est encore impossible de réduire complètement les émissions de gaz à effet de serre, les entreprises se fient au crédit carbone afin d’atteindre leur objectif de carboneutralité. Malgré le scepticisme ambiant sur l’efficacité du système, les banques veulent se placer pour un rôle de courtier.

Par exemple, la Banque de Montréal a acheté l’été dernier Radicle Group, un développeur de crédits carbone qui aide les organisations à mesurer et à réduire leurs émissions. En septembre, Valeurs Mobilières TD annoncé la création de l’unité Services-conseils en carbone. L’entreprise a aussi investi 10 millions de dollars (M$) dans le projet Terres boréales piloté par Conservation de la nature Canada.

« On a assisté au cours de la période s’étendant des 12 aux 18 derniers mois à une plus grande intégration du marché du carbone, signale le directeur général du Services-conseils en carbone, Andrew Hall. Nous constatons que sa croissance a été très, très rapide. Je m’attends à ce que cette tendance se poursuive. »

De son côté, la Banque canadienne impériale de commerce cherche à établir les fondations d’une nouvelle plateforme technologique pour le marché volontaire du carbone nommée Carbonplace avec d’autres institutions bancaires.

La Banque Royale du Canada avait lancé dès 2008 « ses capacités mondiales de négociation de droits d’émission de gaz à effet de serre ». Selon elle, le crédit carbone représente une part importante de toutes les transactions commerciales. Ce marché devrait connaître une forte croissance.

Le projet Carbonplace couvre une grande variété de projets pouvant aller des cuisinières moins polluantes jusqu’à la préservation des tourbières. La valeur des échanges a dépassé 1 G$ US en 2021, un volume modeste comparativement aux systèmes déjà en place, comme celui en place en Europe qui gère plusieurs centaines de milliards de dollars.

Le marché volontaire du carbone pourrait atteindre 50 G$ d’ici 2030, prédit la firme de consultants McKinsey & Co. L’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, parlait l’an dernier d’une échelle de 100 G$ d’ici la fin de la décennie.

Mark Carney est actuellement envoyé spécial des Nations Unies pour le financement de l’action climatique. Il a été l’un des personnages importants derrière la création du groupe de réflexion Taskforce on Scaling Voluntary Carbon Markets en 2020, dont les objectifs étaient de proposer des solutions à l’accroissement de la demande.

En mars, le groupe a changé son nom, devenant l’Integrity Council for the Voluntary Carbon Market. Elle porte son attention davantage sur la crédibilité du marché que sur sa croissance.

Selon la Banque Royale, la normalisation sera importante pour renforcer la crédibilité et piloter la croissance. La Banque TD, quant à elle, donne encore sa confiance aux quatre normes de vérification déjà en place depuis des années et en ses propres capacités d’analyser un projet.

« Nous serons très sélectifs pour déterminer avec qui nous ferons affaire. Nous allons nous assurer d’utiliser les meilleurs registres disponibles », soutient Amy West, directrice générale et chef mondiale chez Solutions ESG des Valeurs Mobilières TD.

Elle ajoute que l’institution concentrera ses efforts sur des secteurs qu’elle connaît bien en Amérique du Nord. Elle espère insuffler de la confiance et de la transparence dans le système.

Des opposants

Le concept même de marché volontaire du carbone n’a pas que des partisans.

« Fondamentalement, cela légitime et autorise l’extraction permanente des carburants fossiles », déplore Kate Ervine, une professeure agrégée de l’Université St. Mary en Nouvelle-Écosse.

Selon elle, les entreprises qui présentent des projets compensatoires ne sont pas nécessairement fiables, notamment sur le plan des résultats financiers ou environnementaux. Ce système d’échange est une source de distraction de ce qui est réellement urgent: une réduction directe des gaz à effet de serre.

« Les banques qui s’intéressent à ce marché veulent procurer à leurs clients un instrument dont elles pourront tirer profit. Cela n’a rien à voir avec les changements climatiques. »

Le groupe Greenpeace n’a jamais caché son opposition au marché volontaire. Son responsable canadien de la campagne Nature & Alimentation, Shane Moffatt, parle même de « greenwashing » à son sujet. « C’est un obstacle aux réductions des émissions », souligne-t-il.

Le système ne trouve grâce à ses yeux que si des entreprises de bonne foi font de sérieux efforts de réduction, mais sont aux prises avec des problèmes à court terme. Sinon, ce n’est qu’une simple panacée.

Mais les banques en semblent bien conscientes. Ainsi, pour l’Alliance bancaire zéro émission nette, qui regroupe de nombreuses institutions internationales et canadiennes, dit que les crédits compensatoires ne doivent être utilisés que dans les endroits où les solutions ne sont pas pas possibles d’un point de vue technique ou financier.

Ils ne sont qu’un moyen complémentaire pour atteindre la carboneutralité.

« On n’atteindra pas la carboneutralité sans les crédits compensatoires de carbone. Ce système ne sera pas efficace tant qu’il ne sera pas mis en place de façon permanente. Il doit être complémentaire, mesurable, vérifiable et transparent », déclare Levent Kahraman, cochef des Marchés mondiaux, chez Marché des capitaux BMO.