L'activisme actionnarial sous la loupe
konstantynov_123RF Banque d'images

Selon des données compilées par le Wall Street Journal, 221 campagnes ont été lancées cette année (en date du 18 août). On a atteint un sommet en cinq ans en 2015, avec 379 campagnes.

Cela dit, ces interventions ne sont pas toujours bien vues. «Des politiciens et des médias tendent à croire que les activistes sont néfastes pour la viabilité à long terme des entreprises», affirme Alon Brav, professeur de finance à l’Université Duke, qui vient de publier une étude au National Bureau of Economic Research (NBER) sur les effets de l’activisme (http://bit.ly/2bzwgXJ).

Effets bénéfiques en R-D

Selon Alon Brav, aucun des inconvénients redoutés par les pourfendeurs de l’activisme n’est validé par les études empiriques sur le sujet.

«Un consensus commence à émerger dans la littérature. Rien ne prouve que ce soit mauvais ni pour la valeur des actions ni pour la profitabilité, ni pour la productivité ni en matière d’innovation.»

C’est sur ce dernier sujet, l’innovation, que porte sa dernière étude. Il avance que les effets bénéfiques d’une intervention par un fonds spéculatif se font sentir jusqu’à cinq ans plus tard. En effet, les sociétés touchées par une campagne feraient enregistrer plus de brevets, et ceux-ci seraient plus utilisés pour la mise au point d’autres technologies.

Les activistes ont pour effet d’amener les entreprises à recentrer leur mission, juge Alon Brav. Des activités dites «périphériques» sont abandonnées, des brevets vendus.

Par ailleurs, même si les dépenses en R-D diminuent généralement après une intervention, les entreprises utiliseraient néanmoins leurs investissements plus efficacement, précise Alon Brav.

Problèmes méthodologiques

François Dauphin, directeur de recherche à l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), est fort sceptique face aux résultats d’Alon Brav, qu’il côtoie à l’occasion dans des conférences.

«Cela fait deux ans que les deux visions s’affrontent», affirme-t-il d’emblée.

Il reproche essentiellement aux quelques chercheurs qui font partie du consensus évoqué par Alon Brav de ne pas faire suffisamment de distinction en ce qui concerne les particularités des entreprises qui sont étudiées.

«Dans notre propre étude [http://bit.ly/2bY1wRt], nous avons examiné les objectifs des activistes qui sont divulgués formellement aux autorités», dit François Dauphin. Parmi les transactions faites par les activistes, seulement 10 % sont liées à une volonté de changer les manières de faire en matière de recherche et développement.

François Dauphin voit d’autres «problèmes méthodologiques» dans les «études à grande échelle». «Les auteurs ne regardent pas non plus si les entreprises ont fait ce que les activistes demandent, fait-il remarquer. Tout ça rend l’étude un peu difficile à digérer.»

Bénéfique pour qui ?

Et évidemment, lorsqu’on parle de bénéfices, il faut savoir pour qui.

«Est-ce que c’est positif pour l’entreprise ou pour l’actionnaire ? Ça peut être très différent, souligne le chercheur de l’IGOPP. Ensuite, il faut se demander si c’est positif pour l’actionnaire activiste ou pour les actionnaires en général.»

Ses collègues et lui ont vérifié quel était l’impact pour un actionnaire qui était présent avant l’arrivée d’un activiste et qui y demeurait deux ans après son départ (les activistes demeurent actionnaires un an et demi en moyenne en Amérique du Nord). Aucun impact n’a été décelé, par rapport à des sociétés témoins dans le même domaine.

Il y a cependant un gros «mais». Cela est vrai, sauf dans les cas où l’activiste réussit à faire vendre l’entreprise, auquel cas tous les actionnaires profiteront de la prime à la vente. Et, selon François Dauphin, dans 30 à 40 % des cas, c’est précisément le but de l’investisseur activiste.

«Si nous ne considérons que les sociétés que les activistes ont poussées à se mettre en vente, le rendement composé sur une base annuelle est toutefois très bon (32,9 % à la médiane).»

C’est d’ailleurs dans cette optique qu’il envisage les résultats d’Alon Brav en matière d’innovation. «En effet, si l’objectif est de vendre, l’idée, c’est de rendre l’entreprise la plus alléchante possible pour un acheteur potentiel. Donc, effectivement, la recherche qui ne semble pas déboucher sur des choses à très court terme, ça devient moins intéressant», explique François Dauphin.

La «beauté» de l’activisme

De son côté, Alon Brav admet que les réaménagements en matière de R-D peuvent mener à la vente d’une ou de plusieurs divisions. Mais il voit cela essentiellement comme de la gestion plus efficiente qui profite à «tous les actionnaires.»

«C’est la démocratie, plaide Alon Brav. La seule manière pour un activiste d’avoir du succès, c’est de convaincre les autres actionnaires de voter avec lui. C’est ce à quoi on s’attend du système : penser à ce qui est bon pour l’entreprise.»

Pour lui, c’est là la «beauté de l’activisme».

François Dauphin ne partage pas cette vision. L’activisme, selon lui, pousse les conseils à satisfaire encore davantage aux impératifs de nature financière à court terme.

«Pour nous, le fait de considérer l’activisme dans son ensemble comme positif, de l’envisager comme un bloc monolithique, c’est une généralisation. Il faut faire attention aux généralisations», dit-il.