Ian Russell : « une norme réglementaire non nécessaire »
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C’est essentiellement le message qu’Ian Russell, chef de la direction de l’ACCVM, a livré aux hauts dirigeants de l’Autorité des marchés financiers, organisme membre des ACVM, lors d’un entretien, en mars.

Selon lui, l’encadrement réglementaire actuel et à venir est largement suffisant pour préserver le bien-être financier du client. Cet encadrement comprend notamment celui de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), les nouvelles obligations de divulgations découlant du modèle de relation client-conseiller et, éventuellement, les réformes ciblées concernant la connaissance du produit, la connaissance du client, la convenance et la gestion des conflits d’intérêts comprises dans le document de consultation 33-404.

« La norme d’agir au mieux des intérêts n’ajouterait rien de nouveau et est non nécessaire. Cependant, elle créerait des conséquences potentiellement sérieuses, dont de l’incertitude sur ce que cette norme veut dire pour les clients et les courtiers. Et elle exposerait les courtiers à des risques règlementaires découlant de plaintes disciplinaires et de poursuites judiciaires », indique Ian Russell, en entrevue.

Selon Ian Russell, les conflits d’intérêts sont inhérents à plusieurs rapports client-courtier dans l’industrie financière. La norme pourrait être interprétée d’une manière à ce que tout conflit d’intérêts n’est pas dans l’intérêt d’un client.

Il donne l’exemple du rôle d’un courtier qui agit comme intermédiaire dans une négociation d’une action provenant d’une entreprise émettrice du marché primaire. Dans ce cas, le courtier a deux clients : l’émetteur, d’une part, qui souhaite obtenir le prix le plus élevé pour son action et l’investisseur, d’autre part, qui souhaite payer le moins cher possible pour ce titre.

« Comme courtier, je suis donc en situation de conflit d’intérêts. Un client pourrait dire : « Vous ne me donnez pas le prix le plus bas possible et vous ne servez pas mes meilleurs intérêts » », note-t-il.

Pour éviter ceci, les courtiers risqueraient de limiter plusieurs activités conflictuelles, comme de négocier des obligations ou des nouvelles émissions pour les investisseurs individuels, au détriment de ces derniers.

« Si les régulateurs vont de l’avant avec cette norme réglementaire, ils doivent démontrer ce que ça apporte de plus et surtout, définir clairement ce qu’ils s’attendent des courtiers », dit Ian Russell.

L’Ontario agira-t-elle seule?

Selon la consultation 33-404, les régulateurs provinciaux de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick sont en faveur de l’introduction d’une telle norme réglementaires d’agir au mieux des intérêts du client. Elles estiment que cette norme renforcerait la relation client-personne inscrite et permettrait de répondre aux préoccupations que soulève le faible niveau de littératie financière de nombreux investisseurs.

Les autorités réglementaires du Québec et de l’Alberta, entre autres, émettaient alors de sérieuses réserves, notamment quant aux risques juridiques d’une telle norme et du fait qu’elle pourrait exacerber le décalage entre les attentes des clients et les obligations des personnes inscrites en raison des catégories d’exercice restreint existantes et des modèles d’entreprise exclusifs autorisés au Canada.

Comme les valeurs mobilières sont de juridiction provinciale, l’Ontario pourrait faire cavalier seul et imposer cette norme, forçant indirectement les autres provinces à emboîter le pas de ce marché dominant au Canada.

« Je pense que l’Ontario préfèrerait un consensus. L’Ontario a indiqué sa préférence pour cette norme réglementaire. Est-ce que cette préférence est assez forte pour qu’il fasse ce qu’il veut seul? Je ne suis pas sûr. Mais ça pourrait arriver. Et si c’était le cas, ça serait dommage pour l’industrie, car on aurait alors deux ensembles de règles, ce qui serait coûteux et inefficient », estime Ian Russell.