Cette recommandation reflète bien les préoccupations et les réflexions entendues au fil des ans par Alain Paquet, professeur à l’École des sciences de la gestion (ESG-UQAM), alors qu’il était en politique. Rappelons qu’il a été président de la Commission des finances publiques de 2003 à 2011, et ministre délégué des Finances de 2011 à 2012.
Pour Alain Paquet, la proposition du gouvernement va aussi loin qu’elle le doit, et une couverture du FISF étendue à plus d’activités et de pratiques risquerait d’être contre-productive, voire néfaste, aussi bien pour l’industrie que pour les épargnants-investisseurs.
«Si la couverture du Fonds était trop étendue, cela pourrait être négatif pour les épargnants-investisseurs. Si le Fonds allait trop loin, il pourrait déresponsabiliser à la fois les fraudeurs potentiels, qui se diraient que les victimes seront de toute façon dédommagées, et les épargnants, qui penseraient que ce n’est pas grave, qu’ils peuvent acheter n’importe quoi, parce qu’ils sont protégés. Il y a un équilibre à maintenir», analyse-t-il.
La pratique actuelle, qui couvre exclusivement les agissements qui se situent dans les limites permises par le certificat ou l’inscription de l’intermédiaire ayant agi frauduleusement, est reconnue dans le rapport comme «la principale problématique relative au FISF».
Outre le fait qu’elle constitue le motif le plus fréquent de refus d’indemnisation, elle fait peser sur les épaules des consommateurs un «fardeau énorme», y écrit-on.
Mario Grégoire, président du conseil d’administration et directeur général du Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF), estime pour sa part que la proposition du gouvernement accentue la pression exercée sur les professionnels et risque de déresponsabiliser le public.
«Je comprends qu’il y a eu des histoires d’horreur et c’est ce qui a mené le gouvernement à vouloir étendre la protection du public. Mais cette proposition laisse entendre que la responsabilité incombe aux professionnels, qui se retrouvent dans le même sac que les fraudeurs, alors qu’il y a aussi une responsabilité de la part du public», avance-t-il.
Une question de gros sous
L’élargissement du champ de couverture des protections pourrait se traduire par une croissance du nombre de réclamations, pense Maxime Gauthier, chef de la conformité et représentant en épargne collective chez Mérici Services financiers.
«Qui cotisera pour financer ces besoins, comment et dans quelle proportion ?», demande-t-il.
Le rapport déposé par Québec n’évoque aucune mesure en ce qui concerne le financement de cette recommandation.
Mario Grégoire déplore quant à lui l’absence d’une estimation du coût de cette recommandation.
«C’est sûr qu’il va falloir aller chercher plus d’argent pour le Fonds. Toutefois, j’ai du mal à voir comment on pourrait s’adresser aux conseillers, compte tenu des frais qu’ils assument déjà en termes d’assurance responsabilité professionnelle, de permis et de cotisations diverses, dont celle du Fonds», dit-il. Le CDPSF entend d’ailleurs consulter ses membres sur le sujet avant de se prononcer sur la question du financement.
Depuis la création du Fonds en 1999, les cotisations des entreprises qui regroupent les intermédiaires de marché représentent 93 % de son financement, selon les données publiées par l’AMF en 2011. La part restante est couverte par les sommes recouvrées dans le cadre des recours intentés par l’AMF, ainsi que par les revenus de placement.
Ce financement couvre les besoins courants du FISF, qui ne prévoit pas l’accumulation d’une réserve. Le réclamant n’a pour sa part aucuns frais à débourser, et l’indemnisation auquel il a droit est limitée à 200 000 $ par réclamation.
Maxime Gauthier espère toutefois que Québec ne choisira pas «la solution facile, qui est d’imposer des mesures uniformes et d’augmenter la cotisation de tous les professionnels de l’industrie, parce que ce n’est pas vrai que nous avons tous le même niveau de risque.»
Noyer le poisson
Deux des cinq recommandations contenues dans le rapport visent le FISF. Il y est aussi proposé que le comité d’indemnisation, actuellement composé de trois membres nommés par le ministre, soit modifié afin que des représentants de l’industrie contribuent davantage au processus décisionnel du FISF.
Pour l’AMF, le rapport «soulève des questions importantes et pertinentes, qui sont désormais soumises à l’industrie dans le cadre d’une consultation menée par le gouvernement du Québec», selon le directeur des relations médias, Sylvain Théberge.
Maxime Gauthier déplore que le débat sur le FISF se fasse en même temps que plusieurs autres discussions, dont celle sur la vente des produits d’assurance de personnes en ligne sans représentant.
«Il s’agit d’une menace beaucoup plus directe et plus urgente pour l’industrie que la question du Fonds d’indemnisation ou d’une quelconque augmentation des primes, estime-t-il. À cause des autres enjeux, la question du fonds d’indemnisation pourrait bien passer inaperçue, et l’on risque de se retrouver avec une solution qui n’est pas optimale parce que les gens ne se seront pas suffisamment penchés sur le sujet.»