En réponse à la nouvelle normalité
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Investisseurs accrédités

Le règlement 45-106 sur les dispenses de prospectus et d’inscription du Règlement sur les valeurs mobilières permet à certains investisseurs qui répondent à un critère parmi une liste de critères d’exemption d’effectuer des placements offerts par notice d’offre (NO)1. Cette catégorie de placement intègre à la fois les placements de nature privée dans des sociétés fermées et les placements dans des fonds d’investissement qui ne sont pas offerts par prospectus pour une ou plusieurs raisons. Les investisseurs accrédités ont accès à un coffre à outils si grand qu’ils peuvent dans une large mesure reproduire l’énorme diversification des investisseurs institutionnels.

Contrairement aux placements traditionnels, ces produits sont en majorité assortis d’une liquidité mensuelle plutôt que quotidienne. Évaluer la liquidité du produit acheté ainsi que celle des placements sous-jacents en cas de risque systémique important est probablement l’enjeu le plus important des fonds alternatifs. Plusieurs des stratégies sont du même type que celles qui s’adressent normalement aux investisseurs institutionnels. Bien que cela varie, les seuils d’investissement minimums oscillent le plus souvent entre 10 000 et 250 000 $.

La gamme de produits avec NO est beaucoup plus grande, compte tenu de la flexibilité qu’ils offrent. Voici quelques exemples concrets.

Stratégies sur les marchés publics. Plusieurs fonds de couverture (acheteur/vendeur, neutres face au marché) offrent une exposition limitée au potentiel de hausse et de baisse du marché. Ils sont généralement axés sur les rendements absolus (supérieur à 0 %). Bien qu’il existe de nombreux fonds de nature spéculative, surtout aux États-Unis, les fonds disponibles au Canada pour les conseillers qui visent des clients de détail sont généralement de nature défensive. Certains grands distributeurs, comme les Fonds Dynamique et Fiera Capital, ont de telles stratégies, tout comme plusieurs sociétés de plus petite envergure. Dans tous les cas, la capacité de vendre à découvert n’est limitée que par la politique de placement du fonds. Aucune exigence réglementaire ne touche en l’espèce les fonds offerts par NO.

Certains fonds utilisent des produits dérivés pour générer des rendements sans s’exposer directement aux titres sous-jacents. On compte notamment les fonds «global macro», les fonds de vente d’options de vente garanties et les stratégies d’achat d’options de vente sur titres en position acheteur en portefeuille (protective puts) dans ce lot.

L’utilisation du levier et l’absence de contraintes d’investissement favorisent une grande latitude pour les gestionnaires. D’autres fonds utilisent des stratégies de vente d’options d’achat couvertes, mais elles sont surtout utilisées dans des fonds à prospectus.

Certains portefeuilles NO avec uniquement des positions acheteur se distinguent du lot. L’absence de liquidité mensuelle et leur utilisation variable d’effet de levier leur permet de ne pas avoir à gérer d’incessantes entrées et sorties de fonds et d’ajouter du levier pour des sociétés dont les bilans «manquent» de dette. De façon générale, plusieurs gestionnaires de fonds alternatifs s’entendent pour affirmer qu’une moindre liquidité est un avantage plutôt qu’un inconvénient dans la gestion de leur fonds.

C’est par exemple le cas de la société Turtle Creek Asset Management, qui est en mesure d’attribuer le gain en capital aux investisseurs selon le moment où ils ont fait l’acquisition de leurs unités, plutôt qu’une seule fois en fin d’année aux investisseurs qui détiennent des unités à ce moment.

Le fait d’avoir une liquidité mensuelle permet également d’échelonner les achats d’une façon ordonnée selon les flux de trésorerie sur une plage transactionnelle de quelques jours, plutôt que de devoir acheter sans discrimination tous les jours des titres selon la juste valeur marchande (JVM) par unité du fonds.

Placements privés. Très nichés, ces fonds sont une denrée extrêmement rare au pays. Seules quelques sociétés ont une telle offre. Exception dans l’industrie, la société Sprott Asset Management dispose de deux fonds oeuvrant dans les créances privées, l’un avec une stratégie de prêts adossés à des actifs, et l’autre, avec une stratégie de prêts à court terme adossés à des actifs ou à des comptes à recevoir.

Un autre exemple est Kensington Capital, qui propose le seul fonds d’actions privées en offre continue au pays, ainsi qu’un fonds d’hypothèques résidentielles privées. Les mandats de créances privées ont pour principale caractéristique de procurer des rendements positifs mois après mois, tout en fournissant des rendements égaux ou supérieurs aux obligations à rendement élevé. Les prêts sous-jacents ont une liquidité très variable, ce qui rend les fonds vulnérables à des demandes de rachats massives.

D’autres sociétés offrent également des produits de prêts privés, mais ils sont plus méconnus et le plus souvent ne sont pas approuvés dans les grandes firmes de courtage actives au Québec.

Immobilier. Les placements immobiliers hors marchés distribués par notice d’offre dans les firmes de courtage sont très rares. Le fournisseur canadien de tels placements qui a la plus forte empreinte dans le marché est certes Walton Capital, qui permet aux particuliers d’investir aux côtés d’autres particuliers et d’institutions dans des projets de développement de terrains dans différentes régions en Amérique du Nord.

La force de tels placements est d’offrir un rendement qui n’est absolument pas corrélé avec les marchés publics traditionnels. Il existe de multiples émetteurs de placements immobiliers privés de plus petite envergure au Canada, mais ils ont rarement des ententes de distribution avec des firmes de placement.

Le plus grand problème de ces types de placement est qu’il n’y a pas de marché secondaire organisé et que la valeur des placements est difficile, voire impossible à établir. Vu l’entrée en vigueur des nouvelles normes du Modèle de relation client-conseiller phase 2 (MRCC 2), cela signifie que plusieurs placements se retrouveront avec une valeur nulle dans les états de compte des clients, puisqu’on n’est pas en mesure de leur attribuer un prix. Pas très commode lorsqu’une valeur s’affiche à zéro dans un compte, puisque cela nuit à la présentation des rendements et peut amener les investisseurs à s’interroger sur la crédibilité des placements.

La différence majeure entre ce type de placement et l’achat de fonds de placement immobiliers (FPI) est l’absence de corrélation au marché. Les FPI offrent toutefois la possibilité d’être négociés de façon régulière sur les marchés et d’avoir une corrélation inverse aux taux d’intérêt, puisqu’ils sont utilisés en remplacement d’outils de placement à revenu fixe.

Infrastructures. Sur les placements hors marchés, deux firmes offrent des fonds d’infrastructure disponibles aux investisseurs : Fiera Capital et Kensington Capital. Ces fonds investissent dans des projets d’infrastructure non offerts sur les marchés publics. Fiera offre un produit de façon continue avec un rendement cible de 8 %, dont 5 à 7 % en revenu courant. Le portefeuille de Fiera vise à conserver un niveau de liquidités de 20 % et à apparier les investisseurs entrants et sortants. Le fonds de Fiera investit dans l’électricité, le transport et certaines installations de nature dite sociale, dont un exemple serait la participation dans le projet de prison en partenariat public-privé (PPP) à Sorel. Le fonds est structuré de sorte que l’investisseur achète un fonds de revenu à court terme, jusqu’à ce que le gestionnaire permette l’accès au fonds d’infrastructure principal lors d’appels de fonds. Les clients doivent donner un préavis de 60 jours pour retirer leurs sommes investies.

Kensington offre des investissements dans des sociétés en commandite pendant des périodes limitées. Le portefeuille est beaucoup plus concentré, de plus petite taille, et il investit dans des projets de production et de transport d’électricité seulement. Le rendement cible est de 8 à 10 %, et il est assorti d’avantages fiscaux significatifs, puisque les investissements sont en énergies propres et permettent de profiter de l’amortissement de divers coûts imputés aux commanditaires, c’est-à-dire les investisseurs. La liquidité est mensuelle et assortie de pénalités pendant les quelques premières années de détention. Il vaut mieux ne pas prévoir retirer des sommes de ce placement lorsqu’on y investit.

Dans les deux cas, l’investissement initial minimum est de 25 000 $.

Mises en garde

Les placements proposés par notice d’offre nécessitent une vigilance accrue par rapport aux produits traditionnels. Les gestionnaires ne sont pas dans l’obligation de divulguer les titres qu’ils achètent ou vendent, pas plus que leur pondération d’ailleurs.

La structure de frais est souvent plus complexe pour les fonds par notice d’offre. Bon nombre d’entre eux ont des frais de gestion et des frais de performance, qui peuvent être calculés selon la plus haute valeur atteinte par le fonds (high-water mark), un pourcentage des profits distribués ou une partie de l’excédent d’un niveau de rendement cible (par exemple, 20 % des profits au-delà de 10 % de rendement net par an).

Les fonds offerts par notice d’offre peuvent également faire usage de levier, ce qui a le potentiel d’augmenter le risque de perte si les choses ne se déroulent pas comme prévu.

La liquidité est également un enjeu non négligeable. Les stratégies qui investissent sur les marchés publics peuvent le plus souvent liquider leurs positions en cas de problème. Toutefois, si les marchés deviennent très chaotiques, des rappels de titres empruntés pour ventes à découvert peuvent survenir, tout comme l’interdiction de vendre à découvert ou une certaine difficulté à se départir de titres de plus petite taille, moins liquides.

L’évaluation de la valeur des titres détenus dans les fonds privés peut parfois être arbitraire. Il peut être compliqué de dire quelle serait la véritable valeur liquidative d’un prêt privé ou d’un compte à recevoir dans un fonds de créances privées, advenant que le fonds fasse l’objet d’importantes demandes de rachats. Il en va de même pour les fonds d’infrastructure, dont la valeur est généralement auditée sur une base annuelle seulement.

Les firmes de courtage ont souvent des limites internes quant à la détention de fonds alternatifs, soit selon le profil ou sur le plan de la concentration par produit pour les outils d’investissement offerts par notice d’offre. Les classifications de risque sont également différentes d’une firme à l’autre, dépendamment de l’hésitation qui accompagne l’évaluation du risque de chaque solution.

Enfin, certaines sociétés de l’industrie ont fait la manchette au cours des dernières années après avoir connu des problèmes opérationnels. L’exemple de la firme ROI Capital est frappant. Cette société a offert des fonds d’hypothèques commerciales privées assortis d’une liquidité quotidienne pendant plusieurs années, jusqu’à ce qu’un groupe d’importants investisseurs décide de faire des demandes de rachat. Puisqu’une vente rapide n’était pas dans l’intérêt de tous les investisseurs, les rachats ont été suspendus. S’en est suivi une saga de modifications coûteuses à la structure du fonds, après quoi celui-ci est devenu un fonds fermé négocié à la Bourse de Toronto – à fort escompte par rapport à la valeur liquidative, par ailleurs. Depuis cette histoire, certaines firmes refusent d’ajouter des produits de nature privée sur leur liste de fonds approuvés.