
Certains économistes se montrent de plus en plus optimistes quant au conflit tarifaire entre le Canada et les États-Unis, estimant que l’économie devrait pouvoir éviter les pires scénarios liés à cette guerre commerciale.
Cela ne signifie pas pour autant que l’économie canadienne s’en tire à bon compte. Selon de nouvelles prévisions publiées mercredi par Deloitte Canada, une légère récession frappera les deuxième et troisième trimestres de l’année, alors que l’incertitude et la faiblesse causées par les droits de douane commencent à se faire sentir.
« Nous pensons que l’économie va vraiment ralentir considérablement », a indiqué Dawn Desjardins, économiste en chef chez Deloitte Canada.
Après un premier trimestre étonnamment solide, qui a vu de nombreuses entreprises passer leurs commandes à toute vitesse pour devancer l’arrivée imminente de droits de douane, les exportations canadiennes montraient déjà des signes de forte baisse en avril.
La faiblesse du marché du travail du secteur manufacturier devrait s’accentuer dans les mois à venir, a avancé Deloitte Canada. Le taux de chômage devrait atteindre 7,3% d’ici la fin de l’année, contre 7% en mai.
Dawn Desjardins a toutefois mentionné que ce ralentissement économique aurait pu être bien pire si le Canada n’avait pas obtenu d’exemptions tarifaires pour les exportations conformes à l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) lors des premières négociations avec les États-Unis.
La décision du président américain Donald Trump de doubler les droits de douane sur l’acier et l’aluminium à 50% plus tôt ce mois-ci signifie que ces secteurs risquent d’être encore plus durement touchés, a-t-elle ajouté, en particulier si le Canada impose des droits de douane réciproques supplémentaires à l’issue de la période de négociation de 30jours, en juillet.
Deloitte a indiqué que certaines régions de l’est et du centre du Canada, ainsi que de la Colombie-Britannique, connaîtront une croissance modérée cette année en raison du conflit tarifaire, tandis que les provinces des Prairies et Terre-Neuve-et-Labrador verront leur production augmenter, principalement grâce aux exportations d’énergie.
Dans l’ensemble, Dawn Desjardins a souligné que le statu quo, s’il est maintenu, ne représente pas le « pire scénario » pour l’économie canadienne que certains auraient pu craindre il y a quelques mois, lorsque les négociations sur les droits de douane s’intensifiaient.
Malgré deux trimestres négatifs, Deloitte prévoit que le Canada affichera une hausse du PIB réel de 1,1% cette année. Cette croissance s’accélérerait pour atteindre 1,6% en 2026, une croissance loin d’être fracassante, mais meilleure qu’un ralentissement économique prolongé.
Le chômage retomberait également sous la barre des 7% au début de l’année prochaine, selon le rapport.
Une tendance observée ailleurs
Deloitte n’est pas le seul à apporter un peu d’optimisme à ses prévisions.
La Banque royale du Canada (RBC) a publié le 13juin un rapport qui met également l’accent sur les risques à la hausse pour le Canada — une abréviation économique désignant une amélioration potentielle — dans un contexte de perspectives « sombres » concernant la guerre commerciale à ce jour.
« Bien que la trajectoire économique du Canada demeure difficile, elle semble considérablement moins périlleuse qu’il y a quelques mois à peine, un discours qui n’a pas encore imprégné l’esprit canadien », peut-on lire dans le rapport de la RBC.
La confiance des consommateurs et des entreprises a été ébranlée, alors que les Canadiens attendent l’issue des négociations commerciales avec les États-Unis. La RBC a cependant souligné que les données concrètes montrent que les ménages continuent de dépenser malgré l’incertitude.
Dawn Desjardins estime également qu’une fois que les entreprises auront obtenu un peu plus de clarté sur le front commercial — les discussions semblent productives jusqu’à présent, selon elle — elles auront également la confiance nécessaire pour reprendre leurs investissements.
Elle prévoit que cela favorisera une reprise économique dès le second semestre, alimentée en partie par deux baisses de taux supplémentaires d’un quart de point de la Banque du Canada au cours des prochains mois.
La RBC, quant à elle, considère que l’économie est suffisamment dynamique pour ne pas avoir besoin de nouvelles baisses de taux cette année.
La situation pourrait changer si des fissures commençaient à se former dans l’économie, mais l’économiste en chef adjoint de la RBC, Nathan Janzen, s’attend à ce que la banque centrale maintienne le statu quo compte tenu de la « résilience » de l’économie.
« La Banque du Canada a encore la possibilité de réagir en augmentant son soutien monétaire si l’économie en a besoin », a-t-il précisé.
Des mesures qui aident
La RBC et Deloitte soulignent que les récentes mesures prises par le gouvernement fédéral ont permis de protéger l’économie canadienne contre un ralentissement économique plus marqué.
La Chambre des communes a adopté le projet de loiC-5 à la fin de la semaine dernière, un vaste ensemble de mesures législatives visant à réduire les barrières commerciales interprovinciales et à accélérer le développement de grands projets.
Selon Dawn Desjardins, ce projet de loi contribue à résoudre des problèmes de réputation persistants: l’industrie canadienne est lente à évoluer et s’enlise dans les lourdeurs administratives avant même de pouvoir démarrer.
Alors que les économistes insistent depuis longtemps sur la faiblesse des investissements des entreprises et la baisse de la productivité au Canada, elle a affirmé que la « secousse » de la guerre commerciale a finalement « mis ce sujet en tête de nos priorités ».
« Cela indique aux entreprises que le Canada est maintenant prêt à adopter des règles du jeu plus strictes », a-t-elle indiqué.
La RBC a convenu que « des mesures visant à éliminer les barrières commerciales interprovinciales pourraient porter leurs fruits à long terme et contribuer à soutenir l’investissement et la croissance de la productivité ».
L’incertitude entourant le marché américain dans le contexte des bouleversements commerciaux mondiaux offre également au Canada, riche en ressources, l’occasion de soutenir la demande mondiale croissante de minéraux essentiels nécessaires à l’intelligence artificielle et aux produits de défense, selon la RBC.
D’après Dawn Desjardins, il pourrait s’écouler des années avant que les mesures prises aujourd’hui pour éliminer les barrières commerciales interprovinciales et développer les infrastructures nationales ne portent leurs fruits. Réorienter les chaînes d’approvisionnement prend du temps, et les industries manufacturières de certaines provinces seront encore touchées pendant l’ajustement.
Elle a toutefois soutenu que le signal est presque aussi important que le résultat lorsqu’il s’agit de donner aux entreprises la confiance nécessaire pour investir.
L’adoption de ce cadre d’« économie canadienne unique », comme l’a surnommé Ottawa, « n’est pas une baguette magique qui change la donne », a affirmé Dawn Desjardins.
« Cela renforce la résilience de l’économie et élargit les possibilités de croissance », a-t-elle souligné.