La présidente d’Altervest, Geneviève Blouin, rapporte que le géant californien CalPERS (California Public Employees’ Retirement System) a transmis 9,4 G$ d’actif à des gestionnaires émergents, soit environ 4 % de ses 244 G$ d’actif sous gestion.

Elle décrit Altervest comme «la seule firme de rendement absolu québécoise dirigée par des femmes». L’autre gestionnaire, Caroline Bédard, était jusqu’en août dernier à la tête de Gestion d’investissements Planum et de son fonds immobilier à rendement absolu.

La définition de ce qu’est un «gestionnaire émergent» varie selon les interlocuteurs. Elle implique généralement un certain seuil d’actif – par exemple, de 100 M$ ou de 150 M$ – ainsi que des antécédents historiques limités, c’est-à-dire moins de quatre, cinq ou sept ans d’existence.

Pas assez de mandats

L’été dernier, l’organisme Finance Montréal a mené un sondage auprès de «15 à 20» gestionnaires émergents de la métropole.

«Ces gestionnaires nous ont dit que leur principale difficulté consiste à obtenir leurs premiers mandats. C’est ce qu’on appelle le capital de départ, ou seed capital en anglais», indique Michel Delisle, directeur de projet au sein de cet organisme de promotion de l’industrie financière de Montréal.

«S’ils décrochent un premier mandat d’au moins 10 M$ d’actif, ils boucleront leur budget sans faire de profits. Le défi consiste à obtenir ensuite des mandats qui les feront vivre, ce qui est loin d’être évident», précise-t-il.

Un gestionnaire d’actif qui tient à garder l’anonymat nous a dit que les gestionnaires émergents de la métropole doivent composer avec beaucoup plus de pression que s’ils avaient pignon sur rue aux États-Unis.

«Au-dessous de 100 M$ d’actif, nous n’intéressons pas les investisseurs institutionnels. Une mauvaise année de rendements et c’est la catastrophe. Car contrairement aux États-Unis, l’erreur ne pardonne pas chez nous, au Québec. Il faut être fait fort.»

Un avantage : le talent

Les firmes montréalaises de gestion alternative disposent cependant d’un avantage comparatif très important : «l’abondance des talents», selon Louis Fortin, responsable des relations clients et du développement des affaires de RDA Capital, en référence aux universités de la métropole, à l’Université de Sherbrooke, à l’Université Laval, ainsi qu’à l’abondance des CFA (Chartered Financial Analysts) du Québec.

Créée en 2009, RDA Capital emploie six personnes et gère un fonds de 25 M$ selon une approche multistratégie qui vise à générer des profits absolus.

«Nous avons les talents. Par contre, ce qui manque aux firmes de notre secteur, ce sont les mandats de gestion», soutient Louis Fortin, qui suggère qu’on s’inspire de l’Irlande.

Les investisseurs institutionnels d’Irlande ont une culture de soutien aux gestionnaires émergents, sous forme de pourcentages d’actif qui leur sont octroyés, explique-t-il.

La résistance s’organise

Geneviève Blouin met actuellement sur pied une association de gestionnaires émergents du Québec (voir l’article «L’inaccessible 1 %», en une).

Cet organisme tentera de sensibiliser les caisses de retraite et de les convaincre de l’utilité de confier une partie de leur actif aux gestionnaires émergents de la communauté financière québécoise et montréalaise.

«Il s’agirait de leur part d’un engagement social, sans obligation légale, ce qui ne comprendrait donc pas de pourcentage spécifique et prédéfini d’actif, dit-elle. Si plusieurs caisses de retraite prenaient un engagement social de ce genre, il serait alors mal vu pour les autres de ne rien faire.»

Elle affirme que de tels mandats de gestion stimuleraient la croissance de l’industrie financière montréalaise et procureraient des rendements très satisfaisants.

«Des études montrent que les jeunes gestionnaires sont de nature plus créatifs que la moyenne. Ils développent de nouveaux produits. C’est en innovant qu’ils se font une place dans l’industrie de la gestion des capitaux», poursuit-elle.

Autres SARA demandés

Anciennement vice-président de Jefferies Financial Products à Stamford, au Connecticut, Yves Martin a eu l’occasion d’observer de près la scène américaine de la gestion d’actif.

Outre l’allocation de mandats de caisses de retraite, il estime que la place financière montréalaise sortirait gagnante de la «multiplication» d’initiatives similaires à celle du Fonds SARA.

Géré par HR Stratégies, ce fonds de fonds multistratégies est financé à hauteur de 215 M$ par la Caisse de dépôt et placement du Québec, par Fondaction, le fonds de travailleurs de la CSN, par le Fonds de solidarité FTQ et par le Régime de retraite des employés de la CSN. Une banque canadienne qui souhaite ne pas être nommée y a dernièrement investi 25 M$.

Le Fonds SARA est composé de neuf fonds à rendement absolu. Ils sont gérés par neuf gestionnaires, selon neuf stratégies différentes.

HR Stratégies sélectionne les gestionnaires en fonction des stratégies choisies, et en change en fonction de ses critères de rendement ou de sa définition des mandats, qui peuvent être modifiés au fil du temps.

Selon Philippe Dubois, vice-président de HR Stratégies, le Fonds SARA vise à «produire un effet structurant» au sein de l’industrie des produits alternatifs de Montréal.

«Nous ciblons les gestionnaires émergents, les gestionnaires établis qui ont des stratégies à rendement absolu éprouvées par le temps et même les gestionnaires traditionnels qui voudraient développer de nouveaux créneaux. En augmentant la taille de l’actif sous gestion grâce à SARA, ils pourront ensuite s’attirer de nouveaux investisseurs», dit-il.

Philippe Dubois estime que d’autres investisseurs institutionnels miseront éventuellement sur le Fonds SARA : «Certains veulent un historique de rendement de deux ou trois ans avant d’investir», dit-il. Il souhaite que le Fonds réunisse jusqu’à 500 M$ d’actif.

La Caisse à la rescousse ?

Richard Morin, qui a été pendant dix ans chef des opérations chez Landry Morin (désormais Gestion de portefeuille Landry), renchérit quant à la nécessité de créer d’autres sources de capital de départ.

«Nous avons besoin de plusieurs SARA !», s’exclame ce connaisseur de la stratégie momentum.

En effet, contrairement aux États-Unis, observe-t-il, les promoteurs québécois de fonds alternatifs ont très peu de marge de manoeuvre.

«Si un projet québécois de création de fonds est refusé par deux ou trois acteurs, il est presque certain qu’il ne pourra pas aller plus loin, faute de capital de départ suffisant», dit-il

C’est pourquoi, selon lui, la Caisse de dépôt doit jouer un rôle actif, compte tenu de sa taille et de son rôle pivot dans la gestion des fonds de retraite du Québec.

De plus, ajoute-t-il, la Caisse se doit de maintenir le cap au fil des gouvernements qui se succèdent à Québec.

«Les gestionnaires d’actif et les investisseurs ont besoin de stabilité. Ils doivent être assurés que les engagements de la Caisse seront tenus au fil du temps», affirme-t-il.

La Caisse de dépôt et placement du Québec n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue.