«Tonus Capital est né d’une volonté qu’avait Steve Boutin de créer un produit d’investissement différent de ce qu’on offre à Montréal», relate Philippe Hynes.

Les deux hommes, qui étaient collègues chez Van Berkom, souhaitaient générer de bons rendements à long terme, sans avoir à se comparer à un indice comme le font la plupart des régimes de retraite, et sans se préoccuper de la volatilité de leurs placements.

«La grande majorité des clients de Van Berkom étaient des clients institutionnels et des fonds de pension. J’étais un spécialiste des sociétés américaines à petite capitalisation boursière (moins de 3 G$ US) et les barèmes d’investissement étaient très rigides», précise-t-il.

Par exemple, le portefeuilliste et CFA ne pouvait détenir de liquidités ni acheter une société avec une capitalisation de 3,1 G$ US, même si c’était la meilleure idée du monde, dit-il.

«Ce n’est pas de cette façon que je souhaite investir. J’achète un titre parce qu’il représente une bonne valeur aujourd’hui et que je compte doubler mon argent d’ici trois à cinq ans», résume-t-il.

Philippe Hynes s’est joint à Tonus Capital deux ans après que Steve Boutin eut démarré la firme d’investissement en mai 2007.

Rendements absolus et flexibilité

L’objectif du portefeuille Composé Tonus est d’offrir des rendements absolus à ses clients, majoritairement des particuliers.

«Nous investissons dans une quinzaine d’actions canadiennes et américaines qui se négocient sous leur valeur intrinsèque, sans égard à leur capitalisation boursière. Si les conditions du marché l’exigent, le portefeuille peut placer son argent entièrement au Canada ou aux États-Unis, tout comme il peut détenir un important montant d’encaisse. Et nous ne protégeons jamais contre le risque de devise», explique Philippe Hynes.

Cette flexibilité, qui ne convient pas toujours aux fonds de pension, a été particulièrement favorable au Composé Tonus pendant la crise de 2008, en raison de liquidités élevées et d’une allocation importante en titres américains. Le billet vert était alors perçu comme une valeur refuge.

Malgré une maîtrise en ingénierie financière, Philippe Hynes fait essentiellement de l’analyse fondamentale. «Mon modèle de gestion, axé sur la recherche de valeur, est relativement simple, mais nécessite de la patience et de la discipline», note-t-il.

Actuellement, les cinq positions les plus importantes détenues par le Composé Tonus sont Berkshire Hathaway, Comcast, Leucadia, PHI Inc. et Shawcor Industries.

Cette stratégie comporte toutefois des limites. Les aubaines sont parfois des entreprises qui ont une très petite capitalisation boursière comme dans le cas de PHI, qui offre un service de transport par hélicoptères pour l’industrie pétrolière dans le golfe du Mexique.

Sa capitalisation est d’un peu plus de 600 M$ US (PHIIK, NASDAQ). «Tant que mon fonds a un actif sous gestion inférieur à 200 M$, ce n’est pas un problème. Si je devais atteindre le milliard, la position serait trop importante pour entrer dans le portefeuille», croit-il.

Trouver la perle rare

Philippe Hynes lit rarement les recherches des firmes de courtage. Il bâtit ses modèles d’analyse et fait sa propre investigation. Plusieurs des entreprises qu’il acquiert ne sont pas suivies des analystes. Comment déniche-t-il ses perles ?

«D’abord, j’évite de placer mon argent dans des entreprises qui ne génèrent pas ou peu de flux monétaires. Même chose si la société est très endettée ou encore qu’elle présente des résultats de type binaire (coup de circuit ou banqueroute). Puisque j’investis sur un horizon de trois à cinq ans, je m’abstiens habituellement de placer mon argent dans des firmes technologiques ou minières», note-t-il.

Philippe Hynes aime bien analyser des sociétés des secteurs industriel, de la consommation et même des services aux entreprises énergétiques. «J’essaie de comprendre quels sont les principaux éléments qui feront varier les coûts et les revenus dans le temps.»

Quand une entreprise attire l’attention de Philippe Hynes, il se fait un devoir de communiquer avec les dirigeants pour leur poser ses questions. En décembre, il a pris l’avion pour l’État américain de la Louisiane afin de rencontrer les dirigeants de PHI et de visiter ses installations.

Cette inspection a renforcé ses convictions quant au potentiel de rendement de la société. «J’ai notamment appris que le PDG avait investi 15 M$ de sa poche pour racheter des actions l’an dernier. C’est rassurant pour un investisseur externe d’entendre cela», note Philippe Hynes.

Malgré un actif sous gestion d’un peu moins de 50 M$, Philippe Hynes n’a généralement aucun problème à joindre ces gros bonnets.

«La plupart d’entre eux ignorent la taille de mon portefeuille. Ils savent que je suis un gestionnaire qui souhaite investir dans leur firme à long terme et le contact est souvent facile. Je n’ai jamais parlé à Warren Buffett, mais j’ai discuté avec plusieurs chefs de la direction financière de sociétés, notamment celui de Weight Watchers, dont je détiens des actions,» illustre-t-il.

Barrières à l’entrée

S’il y a si peu de petites firmes d’investissement comme Tonus Capital à Montréal, c’est que les barrières à l’entrée sont élevées, croit Philippe Hynes.

«On m’appelle régulièrement pour savoir comment nous avons procédé», ajoute-t-il. L’entreprise est enregistrée dans les provinces de l’Ontario et du Québec à titre de gestionnaire de portefeuille.

«Les frais fixes sont élevés. Nous devons louer des bureaux et obtenir des licences pour la firme et le gestionnaire auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Cela peut prendre plusieurs mois, pendant lesquels le gestionnaire ne peut pas négocier de titres ni générer de revenus. Il faut passer des examens, notamment dans le cas du chef de la conformité. L’entreprise doit avoir un seuil minimum de capitaux à conserver dans un compte à part, dont le montant peut varier entre 25 000 et 100 000 $, selon le type d’enregistrement. Sans oublier tous les permis que l’on doit demander dans les autres provinces, s’il y a lieu», résume-t-il.

Après toutes ces démarches, le plus difficile et le plus important reste à faire : augmenter la taille de son actif sous gestion tout en se bâtissant un historique de rendements convaincant.

Dans le cas de Tonus Capital, les rendements sont au rendez-vous (voir le tableau). Toutefois, les clients ne se bousculent pas pour autant aux portillons.

Le battage médiatique fait autour de certains fraudeurs tels qu’Earl Jones et Vincent Lacroix n’a pas facilité la tâche, reconnaît Philippe Hynes. L’entreprise a tout de même réussi à doubler son actif géré depuis un peu plus d’un an.

La firme compte une quarantaine de clients, pour la plupart des individus et des familles fortunées, auxquels s’ajoutent deux institutions qui recherchent des rendements absolus.

Selon Philippe Hynes, des entreprises comme la sienne pourraient se tailler une place plus aisément si à talent égal, les petites caisses de retraite ou les fonds de pension québécois acceptaient de les encourager.

«Leur taille ne leur permet pas toujours de placer de modestes montants, mais ils pourraient créer des fonds de fonds pour contourner ce problème», remarque Philippe Hynes.

Président malgré lui

Philippe Hynes est devenu président de Tonus Capital un peu malgré lui. En 2011, quatre ans après avoir lancé sa firme, Steve Boutin lui vend ses parts et accepte une offre de Gestion d’actifs Burgundy. C’est cette dernière qui leur loue des bureaux au 1501, rue McGill College.

«Gagner de nouveaux actifs était plus difficile que prévu, et les frais fixes ne nous permettaient pas de bien gagner notre vie. Steve souhaitait, pour des raisons familiales notamment, avoir des revenus plus stables», explique-t-il.

Que répond alors Philippe Hynes au client potentiel qui craindrait qu’il ne fasse la même chose dans quelques années ?

«La grande différence réside dans notre actif sous gestion, qui a beaucoup augmenté depuis 2011. La firme est actuellement profitable et je peux me verser un salaire et accumuler du capital au sein de l’entreprise. L’investissement en vaut la peine. Et je n’aurais pas embauché Aaron Warnongbri pour me seconder si je n’avais pas cru à la viabilité à long terme de Tonus Capital.»

Philippe Hynes a recruté l’étudiant lors d’un cours qu’il donne depuis sept ans à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia sur l’analyse des actions et la gestion de portefeuille.

Comme Warren Buffett l’a fait à l’époque, Philippe Hynes a investi tout son avoir dans le Composé Tonus. Selon lui, c’est la meilleure façon de convaincre ses clients qu’il croit en son produit.

«Je ne me lève pas à 5 h tous les matins pour réaliser 1 % de plus que les indices. Mes clients constatent la performance du portefeuille tous les mois. Je ne suis pas là pour faire des rendements spectaculaires une année et perdre beaucoup l’année suivante. J’ai une vision à long terme et je ne prendrai pas de risques inutiles. Mes intérêts et ceux de mes clients sont les mêmes», affirme-t-il.