Plusieurs membres de l’industrie financière déplorent le flou de la règle proposée, étant donné que ce document ne définit pas ce qu’est une «situation fiscale de base». Le régulateur «devrait préciser quelles sont ces informations qu’il souhaite retrouver dans les dossiers», lit-on dans le mémoire de MICA Capital.

Cette règle entrerait en conflit avec les politiques de certains courtiers, qui mettent en garde et même interdisent aux représentants de donner des conseils fiscaux. «S’ils ne donnent pas de conseils sur les plan fiscal ou ne peuvent pas donner de tels conseils, qu’est-ce qu’on attend qu’ils fassent de cette information ?», écrit le cabinet d’avocats Borden Ladner Gervais.

Outre son imprécision, cette éventuelle obligation risque d’être difficile, voire impossible, à appliquer, selon MICA : «Souvent, le client lui-même ne comprend pas toutes les subtilités de sa propre situation fiscale, et ne les connaît pas.»

La Banque Nationale partage cette crainte. La réforme proposée «suppose que les clients seront suffisamment informés de leur propre situation fiscale et prêts à partager cette information avec leur représentant, deux conditions qui nous semblent loin d’être évidentes», selon Martin Gagnon, premier vice-président à la direction, Gestion de patrimoine, de la Banque Nationale, et coprésident et cochef de la direction de la Financière Banque Nationale.

Plusieurs mémoires déposés soulignent que certains clients peuvent vouloir garder confidentiels les renseignements fiscaux demandés. «Ce ne sont pas tous les clients qui ont besoin ou veulent le même type de service. Beaucoup de clients sophistiqués ont déjà leurs propres conseillers fiscaux», écrit Martin Gagnon.

Selon le Groupe Cloutier, certains clients désirent simplement obtenir des conseils sur la meilleure façon d’investir une somme d’argent : «Nous ne croyons pas que ces clients seront nécessairement intéressés à se faire imposer une analyse fiscale de base. Nous croyons donc que le conseiller devrait être la personne la plus appropriée pour définir avec le client les attentes de ce dernier concernant le niveau de service qu’il désire recevoir».

Mauvais message ?

Même si un client était prêt à divulguer des renseignements fiscaux supplémentaires, les recueillir pourrait lui prendre beaucoup de temps, lit-on dans le mémoire de Fidelity Investments : «Cela demandera-t-il tant de travail que les épargnants éviteront d’investir, et ainsi, n’auront pas accès au conseil ? Nous doutons que ce soit le résultat souhaité. Nous recommandons donc que les ACVM élaborent une dérogation afin que les clients puissent se soustraire aux exigences requises de fournir ces renseignements.»

Actuellement, les représentants sont aptes à reconnaître les limites de leur expertise et s’efforceront de référer les clients qui ont besoin de conseils fiscaux avancés à des experts, note iA Groupe financier. «C’est ce qu’on peut attendre d’un conseiller puisque la fiscalité est si compliquée», écrit Normand Pépin, vice-président exécutif et adjoint du président de cet assureur.

Cependant, poursuit-il, «obliger les représentants à une collecte d’information fiscale standardisée ne serait pas nécessaire et ne serait même pas ce que les clients attendent. Cela créerait un fardeau inutile, qui se traduirait en coûts supplémentaires pour les clients. […] Nous croyons également que le fait de collecter plus que les renseignements fiscaux de base donnera lieu à des attentes plus élevées des clients en ce qui concerne les responsabilités du conseiller, même si les conseillers ne sont peut-être pas spécialistes dans ce domaine.»

Cette dernière crainte est partagée par Raymonde Crête, professeure associée et avocate, directrice du Groupe de recherche en droit des services financiers à l’Université Laval, ainsi que par sa collègue Cinthia Duclos, professeure assistante et avocate.

«Le client pourrait croire que la divulgation de tous ces renseignements permettra au représentant d’analyser l’ensemble de sa situation financière en vue de proposer une planification financière globale, incluant la prise en compte des incidences fiscales des stratégies proposées», écrivent-elles.

«Pour éviter toute méprise à ce sujet, il serait important que le représentant explique clairement au client la portée limitée de ses services et, selon les besoins de ce dernier, qu’il lui suggère de faire appel à un planificateur financier», suggèrent les deux avocates.

Sans avoir à se transformer en fiscalistes, les conseillers devraient toutefois comprendre la situation fiscale de base de leur client, notamment l’impact des régimes enregistrés et le traitement fiscal des différents placements offerts, soulignent plusieurs mémoires.

«Exiger seulement une compréhension superficielle de la situation fiscale d’un client peut entraîner des résultats négatifs dans certaines circonstances. Lorsque la situation fiscale d’un client est complexe, le conseiller devrait référer celui-ci à un fiscaliste», écrit la direction canadienne du CFA Institute.

Par ailleurs, les avis sont partagés au sein de l’industrie quant aux compétences des représentants en matière de fiscalité. «De façon générale, les représentants maîtrisent bien les concepts principaux de la fiscalité générale applicable à leurs clients», écrit MICA.

«De nombreux représentants n’ont pas les connaissances suffisantes pour fournir des conseils appropriés en matière de planification fiscale», écrit quant à lui Martin Gagnon.

Le dirigeant de la Banque Nationale souligne qu’exiger des inscrits ce genre de compétences «augmenterait considérablement les coûts» pour ces services.

Le Mouvement Desjardins juge aussi que les conseillers n’ont pas nécessairement les compétences requises pour comprendre la situation fiscale de leur client.

«Les exigences de scolarité et d’expérience du Règlement 31-103 actuellement en vigueur n’incluent pas la connaissance de la situation fiscale du client. Nous croyons que la formation sur les connaissances en matière de fiscalité ne devrait pas être imposée aux conseillers, puisqu’ils ne devraient pas fournir de service de planification fiscale», écrit Desjardins.