Les maîtres qu’elles servent, les propriétaires de leur entreprise et les gens qui investissent dans leurs fonds, n’ont pas nécessairement les mêmes intérêts. Par exemple, des frais élevés stimulent les revenus des sociétés de fonds, mais réduisent les rendements de ceux qui les détiennent.

Lancer des produits de créneau qui sacrifient au goût du jour peut attirer des actifs, mais ces fonds sont prédisposés à une mauvaise utilisation par les investisseurs, ce qui procure une mauvaise expérience aux porteurs de parts. Les sociétés de fonds conviviales vis-à-vis des porteurs de parts mettent les intérêts des investisseurs au-dessus de leurs intérêts propres.

Entre 2010 et 2013, selon les données de Morningstar, les sociétés de fonds ont amélioré leur culture d’entreprise et mieux aligné les mesures incitatives des gestionnaires sur les intérêts des porteurs de parts, et sont devenus plus transparentes. Il en résulte que beaucoup plus de sociétés de fonds canadiennes ont obtenu une note de gérance de B en 2013 qu’en 2010; alors que seulement six sociétés avaient obtenu un B en 2010, ce chiffre est monté à 12 en 2013. De plus, moins de firmes ont reçu un C; il y en a eu 15 en 2010 contre 11 en 2013, et aucune n’a mérité un D ou un F. Il est certain que l’industrie a encore fort à faire (aucune firme n’a été déplacée dans la colonne des A au cours de cette période, mais la tendance a été positive dans l’ensemble.

Mieux encore, une partie beaucoup plus petite des actifs des investisseurs canadiens était investie auprès de gérants de qualité moyenne en 2013 qu’en 2010. Les firmes ayant reçu une note de gérance de C représentaient 70 % des actifs de l’industrie en 2010, contre 18 % en juin 2014. En revanche, les sociétés notées B constituent actuellement près de la moitié des actifs de l’industrie, contre environ 10 % en 2010.

Ce changement spectaculaire s’explique en plus grande partie par les progrès réalisés par certaines des plus grosses sociétés de fonds au Canada : RBC, CI et Fidelity. Ces sociétés ont gagné des parts de marché aux dépens du géant de la planification financière Groupe Investors, ainsi que de grosses sociétés indépendantes comme Invesco Canada et AGF, qui ont toutes eu un C en 2013.

Il convient de noter que Morningstar a décerné moins de notes de gérance en 2013 qu’en 2010. Toutefois, les analystes ont évalué près du même nombre de sociétés mères (26 en 2013 et 27 en 2010), représentant près de 70 % du total des actifs de l’industrie. Dans les cas où nous n’avons pas pu attribuer une note de gérance, nous y avons substitué notre cote « Société », qui est une composante de la Cote des analystes Morningstar, la cote qualitative pour les fonds. La cote Société utilise les mêmes critères que la Note de gérance, quoiqu’au lieu d’une notation en lettres, les sociétés reçoivent une cote Positive, Neutre ou Négative. (Les firmes ayant reçu une cote positive reçoivent alors une Note de gérance de A ou de B, celles qui ont eu une cote négative un D ou un F, et les sociétés Neutres un C.) Dans notre étude, nous avons converti la Cote Société à la note de gérance équivalente en fonction de nos cotations internes.

La culture d’entreprise : la barre est plus haute

La culture d’entreprise est la composante la plus importante de la Note de gérance, et représente 50 % de la note totale. (La qualité des mesures incitatives pour les gestionnaires et les frais constituent le reste.) L’évaluation de Morningstar de la culture d’entreprise repose sur les deux priorités possibles de la firme en ce domaine : le succès dans les placements ou le succès dans les affaires. Ce ne sont pas des objectifs qui s’excluent mutuellement (un excellent rendement attire habituellement les capitaux des investisseurs) mais la gérance devrait avoir une précédence sur les ventes.

Les sociétés de fonds canadiennes ont aussi amélioré leur culture d’entreprise ces dernières années, même si ce n’est pas de façon spectaculaire. Parce qu’une culture est généralement enracinée, elle tend à évoluer lentement. Dans l’ensemble, les cultures d’entreprise au Canada ont fait un peu de chemin au cours de la période, et il y en a moins qui ont obtenu un zéro de conduite.

RBC et Fiera : Les fusions laissent leur marque

Au cours de la période, RBC Gestion mondiale d’actifs, la plus grosse société de gestion d’actifs au Canada, a vu sa note de culture d’entreprise passer de C à B. La firme a fait l’acquisition de Phillips, Hager & North en 2008, et en 2010 on ne savait trop si les cultures d’entreprise distinctes des deux sociétés allaient faire bon ménage. Les fusions conduisent souvent à des rotations de personnel, et quelques gestionnaires de renom venaient de partir. Heureusement, toutefois, RBC a déployé plusieurs des forces de PH&N dans toute la société. De hauts dirigeants de RBCGMA, dont le directeur général John Montalbano, viennent de PH&N.

RBC a introduit l’outil de surveillance du risque quantitatif de PH&N, BondLab, à sa gamme de titres à revenu fixe et a étoffé l’équipe de recherche quantitative de PH&N pour confectionner des outils à l’intention des fonds RBC et PH&N. RBC n’a pas non plus cessé de s’améliorer depuis son acquisition de PH&N. Par exemple, depuis que la société a attiré Bill Tilford, un ancien de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada et de Connor Clark and Lunn, en 2011, elle a gonflé dans l’ensemble son effort quantitatif et confectionné des outils de filtrage et de construction de portefeuille solides.

Alors que RBC a évolué au fil de ses acquisitions, Fiera Capital en a été transformée. Morningstar a attribué un D à l’organisation précédant Fiera, les Conseillers en placements Sceptre, en 2010; la société avait été un investisseur majeur dans une opération de gonflage et de largage, ce qui révélait de piètres mécanismes de contrôle du risque, et avait subi une vague de départs de gestionnaires illustres. Bien que la cote de Fiera n’ait pas été des toutes meilleures (un B en 2013), la société s’est accommodée de tout un tas d’acquisitions sans être perturbée par des rotations de personnel. Et bien que sa propension naturelle aux acquisitions ne soit pas fondamentalement axée sur les porteurs de parts, Fiera a plafonné les fonds à croissance trop rapide et évité des lancements de produits-gadgets, comportement qui révèle une bienveillance vis-à-vis des porteurs de parts.

Invesco et AGF : La rotation de gestionnaires est coûteuse
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Invesco et AGF : La rotation de gestionnaires est coûteuse

Une rotation massive de gestionnaires a conduit Morningstar à baisser en 2012 la note de culture d’entreprise d’Invesco Canada. Invesco avait déjà perdu des individus brillants à la fin des années 2000, mais cette tendance s’est poursuivie lors de la nouvelle décennie. Son directeur du placement Graham Anderson s’est vu montrer la porte en 2011 et a été remplacé par une équipe de gestionnaires de portefeuilles composée de cinq membres.

À l’année 2013, deux des cinq étaient partis. L’équipe obligataire d’Invesco a été remplacée dans sa totalité au cours de cette période, et son nouveau chef Mme Jennifer Hartviksen a reconstruit le groupe avec des gens venant de l’extérieur. Le côté des placements en actions a lui aussi connu des départs remarqués, comme ceux de Dana Love et Darren McKiernan. Même si cette rotation ne relevait pas de problèmes d’ordre culturel (beaucoup de gestionnaires sont partis contre leur gré pour des raisons de performance), cela crée encore pas mal d’incertitude.

Les départs de gestionnaires de premier plan ont aussi été ce qui a assombri notre vision de la culture d’entreprise d’AGF en 2012. La gestionnaire-vedette des marchés émergents Patricia Perez-Coutts est partie en emportant avec elle la quasi-totalité de l’équipe de recherche mondiale de la firme, laissant un trou béant. Par ailleurs, la société avait pris des décisions contestables en relation avec ses produits, confiant par exemple un mandat d’actions canadiennes à une équipe de Dublin peu experte du marché canadien, équipe qui a elle-même subi d’énormes pertes lors de la crise financière de 2008, remettant en question les pratiques de contrôle du risque d’AGF.

Nous avons remonté la note de culture d’entreprise d’AGF de D à C en 2013, la société ayant montré qu’elle avait fait de gros progrès pour nettoyer ce gâchis. En 2013, elle avait remplacé Mme Perez-Coutts et son équipe selon un processus bien mûri. Elle avait aussi gonflé son groupe d’analystes canadiens sous la férule de Terri Ellis, adepte d’une méthode de recherche plus disciplinée. AGF avait aussi réduit ses frais, quels que fussent les sommets vertigineux qu’ils avaient précédemment atteints, et introduit des mesures permettant un meilleur alignement entre gestionnaires et porteurs de parts.

Le Groupe Investors prend du retard en restant immobile

Une détérioration pure et simple est ce qui a provoqué la plupart des baisses de notes, mais le Groupe Investors est passé de C à D en 2013 parce que la société n’avait pas bougé alors que ses rivales avaient amélioré leur jeu.

Malgré sa solidité financière, le GI a montré peu de signes de réinvestissement dans sa propre entreprise, lui laissant moins de moyens que d’autres grandes sociétés rivales. Mark Rarog, gestionnaire du Fonds canadien petite capitalisation Investors , couvre l’univers entier des actions canadiennes à petite capitalisation sans le soutien d’un analyste attitré, alors que l’équipe obligataire du GI, dirigée par Jeff Hall, a des effectifs trop faibles pour sa charge de travail. L’analyse obligataire de la firme paraît aussi faible par rapport à ses grandes rivales comme RBC et la TD.

Il y a tout de même de l’espoir pour le GI, qui a étoffé son vivier de talents ces dernières années en assurant une plus grande présence à Toronto, et son nouveau directeur du placement Jeffrey Singer a mieux organisé ses capacités de recherche. Mais la société dispose encore d’une grande marge d’amélioration.

Mawer, Steadyhand, Capital International : Les meilleurs deviennent encore meilleurs

Les meilleures cultures d’entreprise évoluent afin de maintenir leur avantage. Les points forts que nous avons identifiés en 2010 à Mawer Investment Management demeurent en place, mais la société ne s’est pas reposée sur ses lauriers. Bien qu’elle ait conservé sa discipline et son centrage sur les sociétés de haute qualité raisonnablement abordables, elle a appliqué ses outils de gestion du risque au niveau des portefeuilles.

Cette société à croissance rapide était menacée d’une perturbation de sa culture par une équipe plus nombreuse, mais elle a trié les nouveaux talents sur le volet en fonction de leur compatibilité culturelle et formé sa nouvelle génération de chefs en la personne de son directeur adjoint du placement Paul Moroz et celle de son directeur de la recherche Vijay Viswanathan.

Enfin, Mawer a continué à mettre les intérêts de ses porteurs de parts au premier plan en plafonnant (totalement ou en partie) le Fonds Nouveau du Canada Mawer et le Fonds d’actions canadiennes Mawer pour leur garder leur souplesse. La firme aura fort à faire pour maintenir sa culture alors qu’elle continue à grandir, mais elle demeure une des meilleures de l’industrie.

Alors que Mawer était déjà bien établie lorsque Morningstar a lancé ses Notes de gérance, Steadyhand n’avait que trois ans d’âge quand Morningstar lui a accordé une note de A pour sa culture d’entreprise. Son fondateur Tom Bradley, précédemment un des dirigeants de PH&N, a adopté dès le départ des pratiques de gérance de pointe dans l’industrie. Il a gardé la gamme de la firme simple et sans produits-gadgets. Il a aussi recruté des sous-conseillers compétents pour s’occuper de portefeuilles concentrés et non indiciels, et a fait payer pour ses fonds des frais raisonnables, ces deux conditions étant de nature à améliorer les chances de succès des porteurs de parts.

Les fonds de Steadyhand ont dans l’ensemble obtenu des rendements solides, et la société s’est distinguée pour l’accent qu’elle mettait sur la transparence. Sa communication avec ses investisseurs actuels et prospectifs est claire, honnête et sans jargon. En plus des commentaires très édifiants qu’apporte son site Web, celui-ci dévoile-même le montant des placements des employés dans les fonds de la firme, ce qui est rarissime dans l’industrie.

Steadyhand, comme Mawer et Beutel Goodman (autre culture notée A), supervise une gamme assez compacte de fonds et emploie les mêmes stratégies de placement au sein de son organisation. Au contraire, la plupart des gros fournisseurs de fonds offrent tout un éventail de styles de placement et une gamme plus vaste. Une telle diversité peut rendre l’édification cohérente d’une culture d’entreprise plus difficile, mais pas impossible, comme le montre le cas de Capital International. Cette société américaine, bien que relativement modeste au Canada, est l’une des plus grosses dans son marché d’origine.

Comme pour Mawer, Capital insiste beaucoup sur la compatibilité culturelle dans le recrutement de son personnel de placement. Une fois qu’ils sont engagés, les analystes et gestionnaires de portefeuilles (appelés ici « conseillers ») ont habituellement une carrière intégralement passée à travailler pour la firme, ce qui fait d’eux des spécialistes parmi les plus expérimentés du secteur. Son unique approche multi-gestionnaires, au terme de laquelle les portefeuilles sont divisés entre plusieurs gestionnaires, signifie que la firme se réclame de plusieurs styles de placement. Les gestionnaires, tout en adoptant différentes approches, n’en tendent pas moins à partager des stratégies à long terme et à faible rotation. De plus, emballer tout un ensemble de styles distincts dans un même fonds a aidé à modérer la volatilité et à garder la gamme de la société peu encombrée.

Capital n’a pas connu autant de succès dans le domaine obligataire, mais a prêté plus d’attention aux risques macroéconomiques et a fait venir des talents de l’extérieur pour améliorer son effort. La société a aussi été à la traîne dans le secteur de la transparence. Bien que Capital ait finalement commencé à donner plus de détails sur sa façon de diviser ses fonds parmi ses gestionnaires, elle ne dévoile pas toujours quels gestionnaires s’occupent d’une petite partie d’un portefeuille, ce qui montre bien que même les meilleures cultures peuvent encore s’améliorer.