Louis Morisset, président-directeur général de l’AMF (L. M.) : La vente de produits en ligne est une tendance lourde. Il faut composer avec la volonté de la population de négocier ainsi sans négliger l’importance du conseil auquel on croit. Mais il faut trouver un juste équilibre entre cette volonté et la nécessité de continuer à obtenir des conseils.
Dans nos orientations, nous avons tenté de baliser et d’obtenir cet équilibre en exigeant, par exemple, des outils d’auto-évaluation. Le consommateur ne sera pas laissé à lui-même : on lui rappelera l’importance du conseil. Il sera important de rappeler qu’il aura accès en tout temps à des conseils d’une personne physique, au-delà de sa propre évaluation de ses besoins.
L’industrie devra démontrer sa valeur ajoutée. Il y a des produits très simples pour lesquels on recourt aujourd’hui à des représentants, ce dont on n’aura pas nécessairement besoin dans une nouvelle ère Internet. Par contre, il y a des produits fort complexes pour lesquels le conseil sera essentiel. Ce sera à l’industrie de s’adapter et de convaincre le consommateur à avoir recours au conseil. On verra ce que le gouvernement décidera.
FI : Quelle est votre position par rapport au devoir fiduciaire du représentant ?
L. M. : Bien que je ne dirais pas que ce que nous avons au Québec, avec le Code civil, est exactement le devoir fiduciaire, nous sommes un petit peu plus avancés ou mieux outillés au Québec sur cette question que dans les provinces de Common Law. Ça, c’est sur le plan juridique.
Il faut faire fi de l’interprétation purement juridique et examiner cette question dans un contexte canadien. Je ne verrais pas comment une interprétation pourrait être retenue en Ontario ou en Alberta, et qu’au Québec, on puisse s’en tenir à une interprétation purement juridique. Nous travaillons aux Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) afin de trouver une interprétation commune.
Le devoir fiduciaire constitue une belle idée, mais avons-nous besoin d’aller jusque-là pour corriger les lacunes visées par ce principe, dont les conflits d’intérêts, ou existe-t-il d’autres façons d’arriver au résultat souhaité, par exemple en renforçant les exigences : connaître son client, connaître son produit ?
Ces exigences existent, mais dans le bureau des conseillers, comment se matérialisent-elles ? Peut-être faut-il renforcer la mise en oeuvre de ces devoirs ? Il y a tout un spectre de mesures potentielles pour arriver à corriger les lacunes constatées, et la mise en oeuvre d’un devoir fiduciaire en est une.
FI : Y a-t-il lieu d’abolir les commissions de suivi ?
L. M. : C’est un dossier qui est assez complexe et sur lequel nous sommes encore en réflexion, aux ACVM. À l’instar du projet sur le devoir fiduciaire, c’est un projet important qu’il va falloir mener à terme.
Toutefois, nous sommes très conscients de ce que l’on met en oeuvre au Canada depuis quelques années. L’aperçu du fond est déjà une réalité, tout comme le Modèle de relation client-conseiller – phase 2. Avant de prendre position, nous désirons voir quels seront les impacts de ces mesures.
De même, ce type de mesure a été mis en oeuvre sous certaines juridictions dans le monde ces dernières années et nous sommes conscients dans certains cas de la présence de conséquences inattendues. Nous avons l’avantage de pouvoir analyser ce qui s’est fait ailleurs.
FI : Est-ce qu’un conseiller devrait divulguer à son client la rémunération qu’il reçoit lorsqu’il change de courtier (que ce soit en plein exercice ou en épargne collective) ?
Autorité des marchés financiers (AMF) : Le nouvel article 14.17 du Règlement 31-103 qui obligera le courtier ou le gestionnaire de portefeuille inscrit en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières à transmettre à chaque client un rapport annuel sur les frais et les autres formes de rémunération entrera en vigueur le 15 juillet 2016. Il n’a jamais été envisagé que cette nouvelle exigence s’applique à la compensation que pourrait recevoir un représentant pour l’inciter à passer d’une firme à une autre.
Ceci étant dit, l’AMF suit avec intérêt les développements en matière de réglementation à l’international, ce qui comprend les États-Unis. Nous sommes au fait que le 19 septembre 2014, la Financial Industry Regulatory Authority (FINRA), l’organisme d’autoréglementation des courtiers en placement aux États-Unis, a annoncé que son Conseil des gouverneurs avait approuvé la publication d’un projet de règle portant sur la compensation versée à un représentant pour l’inciter à changer de firme.
Contrairement au projet initial de décembre 2012 de la FINRA qui aurait exigé la divulgation aux clients de toute compensation de 50 000 $ et plus versée à un représentant pour l’inciter à passer d’une firme à une autre (seuil augmenté à 100 000 $ dans le projet de septembre 2013), la dernière mouture du projet est une version édulcorée par rapport au projet initial.
En effet, la dernière proposition de la FINRA ne porte même plus sur une obligation de divulgation, mais plutôt sur la mise à la disposition des clients de matériel éducatif pour les amener à poser les bonnes questions à leur représentant avant de prendre la décision de transférer leurs comptes. Il reviendra donc aux clients de déterminer si des incitatifs sont versés à leurs représentants.
Aucun projet de développement en matière de réglementation semblable à celui de la FINRA n’est actuellement à l’étude à l’AMF ou au sein des ACVM.
FI : Quelle est la position de l’AMF sur les transferts en bloc de clientèles ou de book d’affaires ?
AMF : Le transfert en bloc de comptes consiste à transférer un groupe de comptes détenus auprès d’une société inscrite à une autre société inscrite, sans obtenir au préalable l’autorisation écrite de chaque client. L’article 14.11 du Règlement 31-103 permet l’utilisation du transfert en bloc par une société inscrite dans des circonstances limitées.
À titre d’exemple, le transfert en bloc s’effectue actuellement dans les circonstances suivantes : lorsqu’une société inscrite cesse ses activités et vend tous ses comptes clients à une autre société inscrite : et lorsqu’une société inscrite vend une succursale à une autre société inscrite, ce qui comprend les comptes clients de cette succursale.
Lorsqu’un représentant quitte une société inscrite pour se joindre à une autre, ce représentant ne peut utiliser la procédure de transfert en bloc, prévue à l’article 14.11, pour transférer à sa nouvelle société inscrite l’ensemble des comptes clients qui lui étaient attitrés à son ancienne firme.
Nous sommes conscients que le secteur du courtage en épargne collective, lorsqu’il était assujetti à la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF), utilisait la procédure du transfert en bloc quand un représentant quittait un cabinet de courtage en épargne collective pour en joindre un autre. Cette procédure était autorisée par une directive émise par le Bureau des services financiers le 5 décembre 2001 et intitulée «Disciplines en valeurs mobilières – Procédure de transfert en bloc des dossiers clients entre cabinets». Lors du transfert des disciplines en valeurs mobilières (courtage en épargne collective et en plans de bourses d’études) de la LDPSF à la LVM le 28 septembre 2009, cette directive permettant le transfert en bloc a été retirée.
Il est important de comprendre que l’ouverture d’un compte en valeurs mobilières suppose un lien contractuel entre le client et la firme de courtage, et cette dernière ne peut rompre ce lien sans l’autorisation du client. Seul le client peut prendre une décision concernant le sort de son compte ouvert auprès d’une firme de courtage. Dans des circonstances normales, tous les transferts de comptes nécessitent obligatoirement l’autorisation préalable et écrite du client.
Il n’existe actuellement aucun projet de l’AMF ou des ACVM de permettre le transfert en bloc lorsqu’un représentant quitte une société inscrite pour entrer dans une autre.